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Formés comme techniciens en éducation spécialisée, ils préfèrent travailler à l’usine

Ils quittent à regret le réseau québécois de l'éducation, mais n'en peuvent plus de leurs conditions de travail.

Des jeunes dans une cour d'école.

Quelque 60 % des techniciens en éducation spécialisée (TES) du réseau québécois de l'éducation n’ont pas de poste permanent et ne travaillent pas à temps plein.

Photo : Radio-Canada / Jean-Claude Taliana

Alors qu’il manque déjà des centaines de techniciens en éducation spécialisée (TES) dans les écoles du Québec, certains délaissent cette profession pour aller travailler dans des usines. Ils y obtiennent de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés que dans le réseau de l’éducation.

Il y a un an, Josiane Guy a quitté le réseau de l’éducation. Après 15 ans comme TES dans des écoles primaires, elle a décidé d’aller travailler à l'usine de la compagnie Rio Tinto du secteur Laterrière, à Saguenay.

Ce qui m’a fait partir, c’est vraiment l'instabilité de l’emploi, la précarité, [le fait] de ne pas savoir, chaque année, où j'allais me retrouver, combien d’heures j’allais travailler, combien de plans d’intervention j’allais avoir, explique-t-elle. J'étais épuisée psychologiquement du manque de services qu’on avait dans les écoles. J'étais épuisée du manque de reconnaissance qu’on avait [et] du trop grand nombre de plans d’intervention qui permettent d'encadrer les élèves ayant des besoins particuliers.

Cette femme de 35 ans affirme qu’elle avait toujours l'impression de mal faire son travail et d’être incapable d’aider tous ceux qui avaient besoin d’elle. Je ne faisais qu’éteindre des feux tout le temps [...]. Il y avait tellement d’élèves en même temps que c’était impossible de mener à terme des interventions pour faire avancer le jeune à sa pleine capacité.

Josiane déplore également que les TES ne soient pas rémunérés pendant les vacances estivales et pendant les congés des Fêtes et qu'ils doivent recourir à l'assurance-emploi lors de ces périodes.

Mme Guy sourit devant l'enseigne de Rio Tinto.

Josiane Guy profite aujourd'hui de meilleures conditions de travail et d'un meilleur salaire.

Photo : Radio-Canada / Jonathan Lamothe

Les données du ministère de l’Éducation du Québec indiquent que sur les 25 000 techniciens en éducation spécialisée du réseau scolaire, environ 60 % n’ont pas de poste permanent et ne travaillent pas à temps plein. Selon leur syndicat, leur salaire annuel moyen est de 34 000 $.

Depuis que Josiane Guy travaille comme opératrice à l'aluminerie de Laterrière, elle a moins de soucis.

J'arrive au travail, je punche in, je punche out, j’arrive chez nous… et j’ai la tête tranquille, souligne-t-elle. Je n’avais plus le goût de partir de mon travail et d’avoir la tête pleine, d’être inquiète pour les élèves, pour leur santé physique et psychologique. Ça devenait lourd.

En plus d’avoir de meilleures conditions de travail, elle gagne un bien meilleur salaire : plus de 100 000 $ par année.

J’ai pratiquement triplé mon salaire annuel depuis que j’ai changé.

Une citation de Josiane Guy, ex-technicienne en éducation spécialisée

Un autre ancien TES travaille à l’aluminerie de Laterrière avec elle, soutient Josiane, qui dit aussi en connaître quatre autres qui ont quitté le monde scolaire seulement depuis l’an dernier.

Et ce ne sont pas les seuls.

Le reportage de Jean-Philippe Robillard

Abandonné, dévalorisé

Après sept ans comme TES dans des écoles du Centre-du-Québec, Gabriel a laissé tomber cet emploi pour travailler lui aussi dans une aluminerie, à Bécancour.

Ça a été une grosse décision, raconte-t-il. Je me sentais de plus en plus abandonné par le système, dévalorisé dans mon travail.

Il dénonce lui aussi les conditions de travail des TES. Tant [sur le plan] financier que pour ma santé mentale, c'était rendu mieux pour moi de partir.

Gabriel n’en pouvait plus de la lenteur et de la lourdeur du réseau scolaire alors que les besoins des élèves en difficulté ne cessent d’augmenter, dit-il. Il déplore le peu de services offerts aux élèves qui ont besoin d’aide. Nos centres de services scolaires essaient tellement d’en faire avec des pinottes! Je trouve ça triste.

Il affirme lui aussi que ses conditions de travail se sont grandement améliorées. J'ai une sécurité, une stabilité qu’après sept ans, je n’avais même pas encore dans la bureaucratie de notre système d’éducation. [...] Je n'ai plus à dealer avec le chômage tous les étés, je n'ai plus à me trouver un deuxième emploi pour être capable d’arriver.

Son salaire a doublé, soutient-il, et la charge mentale liée à son travail n’a rien à voir avec celle qu'il a connue auparavant. C'est surtout que je ne ramène pas de job à la maison. Quand je punche in, punche out, je n’ai pas à m’inquiéter le soir pour un élève. Pas de culpabilité.

Gabriel soutient que deux autres techniciens en éducation spécialisée ont quitté le réseau scolaire pour travailler dans la même usine que lui.

Quitter le monde scolaire et les élèves qu’il aidait a été une décision crève-cœur, admet-il.

Il y avait des enfants que je côtoyais depuis qu’ils étaient à la maternelle quand j’ai décidé de partir. Il a eu le sentiment de les abandonner.

Je trouve juste dommage qu’on en soit venus là [...] Je trouve que ça nous envoie un gros signe que dans notre société, on ne met pas les priorités à la bonne place.

Une citation de Gabriel, ex-technicien en éducation spécialisée

La décision a été difficile pour Josiane aussi, elle qui adorait ce métier pour lequel elle avait choisi d'être formée.

J'étais très émotive parce que je laissais derrière moi des petits cocos qui avaient besoin d’aide, confie-t-elle. Même après un an, je pense encore à mes élèves.

Des conditions peu attrayantes malgré la pénurie

Nicolas Prévost.

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Le ministère de l’Éducation estime qu'il manque plus de 550 techniciens en éducation spécialisée dans les écoles du Québec. Toutefois, d'après Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement, il en manque au moins 1000.

Le gouvernement doit améliorer les conditions de travail des TES, réclame M. Prévost.

C’est un peu la problématique d’attirer des gens quand on a des postes à temps partiel.

Une citation de Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement

C'est pour des raisons budgétaires que les centres de services scolaires craignent de donner des postes permanents, qui seraient beaucoup plus attrayants, affirme M. Prévost.

Si les budgets ne sont pas là l’année d’après et qu’on se retrouve avec trop de permanents, on ne sera pas capables de les payer. Cependant, si on avait des budgets annoncés sur plusieurs années, ça nous permettrait de créer, comme centre de services, beaucoup d’emplois à temps plein, fait-il valoir.

Président de la Fédération du personnel de soutien, Éric Pronovost déplore lui aussi les conditions de travail des TES, dont la très grande majorité vit dans la précarité, dit-il. D'année en année, ils ne savent jamais le nombre d’heures qu’ils vont avoir. Ils ne savent jamais s’ils vont rester dans la même école.

On a des gens qui ont des 15, des 20 et des 25 ans d’expérience qui quittent pour aller faire autre chose.

Une citation de Éric Pronovost, président de la Fédération du personnel de soutien

Même que, parfois, le réseau de la santé leur offre des postes beaucoup plus alléchants, laisse-t-il tomber.

Éric Pronovost en conférence de presse.

Éric Pronovost, président de la Fédération du personnel de soutien. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L'enseignante Marisa Thibault insiste : les techniciens en éducation spécialisée jouent un rôle majeur dans le réseau scolaire.

Un poste de TES n'a été pourvu que tout récemment dans son école et le personnel enseignant tout comme les élèves en ont subi les contrecoups, relate-t-elle.

On se réfère souvent à l’éducateur ou à l’éducatrice spécialisée pour venir nous aider en classe, dit Mme Thibault. C'est autant de la gestion de crise que de l’aide à un élève pour s’organiser dans la classe.

Nous sommes bien au fait de cette situation, assure le cabinet du ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Savoir qu’une proportion aussi significative de TES n’ont pas de permanence soulève beaucoup de questions, surtout dans le contexte de pénurie que nous vivons. Le ministre en est très conscient et y est sensible.

Ce sont des [questions] qui font d'ailleurs l'objet de discussions aux tables de négociation, ajoute le cabinet.

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