AnalyseLa démission du président et les sables mouvants des libéraux
Le départ d’Anthony Rota vient faire dérailler une semaine qui aurait dû être positive pour Justin Trudeau et son gouvernement. Pourra-t-il un jour s’extirper de cette mauvaise passe et espérer de meilleurs horizons?

Le gouvernement de Justin Trudeau aurait dû vérifier les antécédents du vétéran invité à la Chambre des communes, jugent les conservateurs.
Photo : La Presse canadienne / Justin Tang
À chaque fois que le gouvernement semble se diriger vers un sans-faute, on dirait qu’un événement vient soudainement éclabousser le moment et priver Justin Trudeau d’une conclusion positive dont il aurait bien besoin.
Les accolades, les bons mots, la promesse d’un Canada qui sera toujours là pour aider, et un public sous le charme de celui qui tient tête à Vladimir Poutine depuis maintenant 19 mois.
La visite officielle de Volodymyr Zelensky à Ottawa vendredi dernier devait être un bon moment pour Justin Trudeau.
Il avait commencé la semaine en convoquant les épiciers pour les forcer à stabiliser le prix des aliments. Puis il a montré du doigt le gouvernement indien qu’il soupçonne d’être derrière le meurtre du militant sikh Hardeep Singh Nijjar à Surrey en juin dernier, donnant l’image d’un leader prêt à dénoncer même un géant, au nom de la défense de la règle de droit et de ses citoyens. Aux Nations unies, il a obtenu un micro à la tribune du Sommet sur l'ambition climatique, pour vanter les initiatives de son gouvernement.
La visite du président ukrainien devait lui permettre de terminer la semaine avec un sourire au visage. Il aura été de courte durée.

« Votre combat est le nôtre », a affirmé Justin Trudeau aux Ukrainiens dans le cadre de la visite de Zelensky à Ottawa.
Photo : Reuters / BLAIR GABLE
L’indésirable invité
Anthony Rota n’avait sûrement pas l'intention de faire la promotion du nazisme quand il a invité Yaroslav Hunka à la Chambre des communes. Aurait-il dû faire plus de vérifications? Plusieurs observateurs pensent que oui, les conservateurs en sont convaincus. Surtout sachant que le vétéran avait combattu des Russes lors d’un conflit où l’Allemagne était le camp adverse.
Le gouvernement Trudeau avait-il la responsabilité de vérifier soigneusement les antécédents de l’homme? Ceux qui ont mené les vérifications de sécurité n'ont sûrement pas estimé que le vieillard en fauteuil roulant pouvait représenter une menace sérieuse aux dignitaires réunis dans la Chambre. Ils n’ont probablement pas tenté de déterminer ce qu'il faisait dans la vingtaine.
Quand l’affaire a éclaté au grand jour, il était trop tard. Anthony Rota aurait pu limiter les dommages en démissionnant dès le premier jour. Mais le sans-faute du gouvernement aurait tout de même été entaché. Au final, les résultats sont les mêmes, mais en laissant traîner les choses pendant 48 heures, en laissant le président Rota présider les débats lundi, la controverse s’est amplifiée et les conséquences se font peut-être sentir davantage : pour l’Ukraine… pour la communauté juive… pour la réputation du Canada sur la scène internationale.
Le Kremlin a rapidement saisi la balle au bond, pour alimenter sa machine à propagande et rappeler au monde que le prétexte utilisé pour envahir le voisin, c’était la dénazification.
La Pologne se demande si une enquête est nécessaire et s’il faut envisager de faire extrader le vétéran canadien de 98 ans.
Lourd bilan des dommages
Tout cela aura laissé des séquelles sur trois fronts.
Il y a l’image que cela impose sur la scène internationale. Celle d’un président ukrainien d’origine juive en train d'applaudir un homme membre d’une armée dont l’objectif était d’éradiquer ses ancêtres.
Puis il y a le gouvernement canadien de nouveau empêtré dans une affaire qui vient grever la capacité des libéraux à reprendre le contrôle du message.
Et il y a probablement aussi quelques profondes égratignures à l'aura d’impartialité dont jouit normalement la présidence de la Chambre des communes. Le chef conservateur, Pierre Poilievre, a qualifié Anthony Rota mardi de président libéral
. Une entorse aux conventions à des fins partisanes, mais qui pourrait s’incruster un peu.
Dévasté, ce président que tous respectaient a démissionné dans la honte et la tristesse. Les députés lui choisiront un remplaçant mardi. En attendant, les critiques contre le gouvernement ne risquent pas de se calmer.

Le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a annoncé sa démission mardi.
Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld
Des excuses?
Mardi, Justin Trudeau a choisi de rencontrer des fabricants de pièces automobiles à Toronto au lieu de répondre aux questions de l’opposition. Elle réclame à hauts cris des excuses du premier ministre lui-même pour le tort causé par cette controverse.
Pour l’instant, il résiste, faisant peut-être le pari que ce serait donner raison à ses adversaires qui tentent de lui faire porter la responsabilité de la crise. Mais Justin Trudeau doit se poser la question : sera-t-il plus coûteux politiquement de laisser ces attaques perdurer ou d’y mettre fin en s’excusant?
C’est peut-être la manœuvre qui lui permettrait de sortir un pied des sables mouvants.