AnalyseLe retour du mauvais film sur la paralysie à Washington

Encore une fois, des millions d'Américains risquent d'être touchés par la menace de paralysie gouvernementale brandie par des élus du Congrès.
Photo : afp via getty images / BRENDAN SMIALOWSKI
Quand il ne s’agit pas du plafond de la dette, c’est le psychodrame de la paralysie gouvernementale, le fameux shutdown, qui vient empoisonner Washington. Encore une fois, les républicains de la Chambre des représentants sont au centre de ce mauvais film.
Décidément, cette semaine est remplie de rebondissements dans la capitale américaine. Mercredi soir, c’est le deuxième débat présidentiel des candidats républicains (en l'absence de Donald Trump). Jeudi, les républicains de la Chambre des représentants tiendront la première audience publique de leur enquête pour tenter de mettre en accusation le président Joe Biden.
Et dans trois jours, si la tendance se maintient, nous assisterons à une fermeture du gouvernement qui mettra des millions d'employés fédéraux en congé, la plupart sans paie.
À moins que Kevin McCarthy, le président de la Chambre des représentants à majorité républicaine, en arrive à un accord de dépenses bipartisan de dernière minute, ce qui pourrait déclencher une tentative de le démettre de son poste. Rien de moins.

Si Kevin McCarthy fait trop de compromis avec les démocrates, certains républicains de la frange d'extrême droite feront tout pour le démettre de ses fonctions de président de la Chambre.
Photo : Getty Images / Alex Wong
En point de mire, un groupe de députés républicains d'extrême droite, qui inclut généralement les membres du Freedom Caucus et quelques républicains qui se sont opposés à la candidature de Kevin McCarthy au poste de président de la Chambre en début d'année. Ceux-ci avaient d’ailleurs exigé des concessions en échange de leur soutien.
Ce soutien vacille plus que jamais, avec les négociations de cette semaine pour en arriver à un financement normal des opérations gouvernementales. En effet, ces élus républicains rebelles font la vie dure au président de la Chambre.
Plaire à la droite radicale
Alors, pour tenter d’appâter ces représentants, Kevin McCarthy est prêt à :
réduire de 33 % les aides au logement pour les moins nantis, alors que la flambée des loyers provoque une crise nationale de l'accessibilité financière;
forcer plus d'un million de femmes et d'enfants à se mettre sur la liste d'attente d'un programme d'aide alimentaire destiné aux mères démunies ayant de jeunes enfants;
réduire de plus de 70 % les dépenses fédérales consacrées à l'aide aux frais de chauffage pour les familles à faibles revenus, alors que les prix de l'énergie sont élevés à l'approche des mois d'hiver.
Autant de mesures qui risquent de déplaire non seulement aux démocrates, mais aussi à certains républicains centristes qui sont plus ouverts à la conclusion d'un accord avec leurs adversaires.
Une solution à court terme?
Le Sénat, à majorité démocrate, a proposé sa propre solution bipartisane à court terme. Le projet de loi maintiendrait le financement du gouvernement jusqu'au 17 novembre afin de laisser plus de temps pour les négociations sur les projets de loi de dépenses annuelles.
Le plan fournirait environ 6 milliards de dollars américains pour l'effort de guerre en Ukraine (ce que refusent les élus de la droite radicale) ainsi que 6 milliards pour l'aide aux sinistrés à la suite d'une série de feux de forêt et d'inondations.

Les sénateurs ont beau vouloir proposer une solution à court terme pour financer les opérations gouvernementales jusqu'au 17 novembre, leur offre sera probablement balayée du revers de la main par des républicains de la Chambre.
Photo : Getty Images / Chip Somodevilla
Toutefois, ce projet de loi sera probablement mort-né à la Chambre des représentants, car il suscitera une vive opposition des éléments les plus extrêmes de la droite. Néanmoins, en proposant ce plan, les leaders des deux partis au Sénat mettent de la pression sur M. McCarthy, incapable de faire accepter son propre plan de dépenses temporaires.
Devant cette paralysie, d'ici la fin de la semaine, Kevin McCarthy pourrait donc être amené à faire un choix difficile : mettre à l'ordre du jour de la Chambre ce projet de loi d'urgence du Sénat, ou ne pas le soumettre à un vote et se ranger du côté des législateurs de la droite radicale pour déclencher la paralysie du gouvernement.
À ceux qui espèrent la première option, sachez qu'il est peu probable qu'il soumette à un vote la proposition du Sénat, car son adoption nécessiterait le soutien des démocrates. Bref, autant dire qu'il signerait son arrêt de mort en tant que président de la Chambre puisque les membres de la frange d'extrême droite déposeraient une motion visant à le démettre de ses fonctions illico presto.
Pas la première...
Depuis 1976, les États-Unis ont connu 21 interruptions du financement du gouvernement, qui ont entraîné des perturbations plus ou moins importantes. La plus longue est survenue en 2018 (sous Donald Trump), avec une mise à pied pendant 34 jours d’environ 800 000 employés du gouvernement fédéral.
Cette paralysie s'est terminée par une concession de l’ex-président républicain sur l'immigration, puisqu'il n'a pas reçu le financement qu'il avait exigé pour son mur à la frontière mexicaine. Fait à noter, cette fois-ci, Donald Trump a apporté son soutien aux républicains récalcitrants qui s'opposent à tout compromis pour maintenir le gouvernement en activité.
Auparavant, la fermeture la plus longue avait duré 21 jours, de 1995 à 1996, alors que Bill Clinton était président et que le président de la Chambre des représentants était le républicain Newt Gingrich.
L'ancien président républicain Ronald Reagan aura, lui, connu un nombre record de huit fermetures de gouvernement au cours de son mandat. Quant à Barack Obama, l'opposition des républicains à son plan sur l'assurance maladie, l'Obamacare, a été la cause principale d'une paralysie gouvernementale fédérale en 2013.
Que se passe-t-il en cas de paralysie?
Les quelque quatre millions d'Américains qui travaillent pour le gouvernement fédéral en ressentiront immédiatement les effets. Les travailleurs essentiels resteront en poste, mais les autres seront mis au chômage technique jusqu'à la fin de la fermeture.
Lors de la dernière « fermeture », les inspections des usines chimiques, des centrales électriques et des stations d'épuration ont été interrompues et l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA) a dû mettre à pied temporairement des milliers de travailleurs.
Autre exemple : la Food and Drug Administration (FDA) pourrait devoir interrompre les inspections de routine de la sécurité alimentaire des fruits de mer, des fruits et des légumes.
Selon la Maison-Blanche, les voyageurs pourraient par ailleurs devoir composer avec des temps d'attente plus longs et des retards dans les aéroports. En effet, les contrôleurs aériens et les agents de la TSA seraient invités à travailler sans rémunération. Autant dire, le chaos appréhendé.
Enfin, une fermeture du gouvernement pourrait affecter l'accès à certains des trésors les plus appréciés du pays, tels que les musées et les parcs nationaux.
Des exceptions à la paralysie
Les sacro-saints services essentiels ne pourraient suspendre leurs activités. C'est le cas de procureurs, d'enquêteurs fédéraux, de facteurs ou encore d'employés de l'administration de la sécurité des transports. La plupart de ces employés dits essentiels continueraient à travailler sans salaire jusqu'à ce que le financement soit rétabli avec paie rétroactive.
Les prestations du filet social telles que Medicare et la sécurité sociale ne seraient pas interrompues, car elles sont autorisées par le Congrès dans le cadre de lois distinctes qui ne doivent pas être renouvelées chaque année. Mais qu’en est-il des membres du Congrès? Sont-ils payés en cas de paralysie gouvernementale? Oui.

Le financement de programmes fédéraux qui touchent des millions d'Américains est entre les mains des élus du Congrès.
Photo : afp via getty images / NICHOLAS KAMM
La rémunération des membres du Congrès est en effet différente de celle de la plupart des travailleurs fédéraux. Et comme leurs salaires sont payés par un financement qui n'a pas besoin d'être renouvelé chaque année, ils sont à l’abri de la paralysie que certains d’entre eux brandissent pour faire avancer leur cause.
Pas la dernière...
Même en cas d'entente de dernière minute, cela ne sera pas la dernière fois que ce psychodrame reviendra hanter Washington.
Le problème, c'est que cela coûte cher aux États-Unis. Il suffit de penser aux agences de notation de crédit, nerveuses devant ce genre de gestion de catastrophes à répétition, mais surtout à tous les Américains qui ont besoin des deniers publics pour leurs salaires ou pour les programmes d'aide financière dans le cas des plus démunis.
À suivre d'ici samedi...