L’art-thérapie : un outil précieux pour les toxicomanes en guérison

Céline Mundinger se dit fière du travail accompli par les clients de Crossroads avec qui elle a travaillé. Elle espère pouvoir reprendre ce projet, mené grâce à une subvention du Conseil des arts de l'Ontario, au sein de la communauté.
Photo : Avec la permission de Guillaume Héritier
Témoin tangible d’un parcours de guérison, une œuvre collective imposante meuble l’atelier de Céline Mundinger, technicienne en travail social et directrice générale de l’organisation à but non lucratif CreAction Collective.
L’œuvre est le fruit de la collaboration d’une vingtaine de clients de l’agence communautaire Crossroads, un établissement de Thunder Bay qui s'occupe de personnes en rétablissement.

Coiffée de ses deux casquettes — artiste communautaire et travailleuse sociale — Céline Mundinger dirige des ateliers de thérapie par l'art.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Mme Mundinger les a accompagnés pendant une douzaine de séances, du mois d’avril à la fin du mois de juillet 2023.
Au programme : initiation à certaines techniques artistiques, tenue d’un journal créatif, réflexions sur les expériences vécues et leur transposition plastique… Ce travail a mené à la création d'une œuvre qui a permis aux artistes de s'exprimer.

Certaines personnes ont accepté de se faire photographier pour ensuite travailler leur portrait. « C'est très personnel », dit Mme Mundinger, et cela « contribue à défaire les stigmates ».
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Les rétroactions données à Mme Mundinger et à Patrick Simons, gestionnaire de programme à Crossroads, par les participants sont unanimes : l’exercice s’est avéré extrêmement positif.
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Même si certains étaient réticents à se lancer, tous ont exprimé leur fierté d’avoir osé dépasser cette peur de créer
, raconte Mme Mundinger, et ils ont noté l'utilité de ces ateliers d'art sur le plan thérapeutique.
Nos clients ont adoré et ont créé des pièces incroyables [...]. Il s’agit définitivement d’un exercice à refaire.
Andrew Start et Lestat Rae, clients de Crossroads, ne tarissent pas d’éloges pour Mme Mundinger et le projet auquel ils ont participé.
[L’art-thérapie] m’a permis de m’exprimer davantage, d’apprendre de nouvelles techniques. Et je continue à faire de l’art-thérapie.
Le pari est donc réussi pour Mme Mundinger qui souhaite que les personnes en réhabilitation puissent mieux vivre [leur] état de sobriété
grâce à l'art.

Les collages sont composés d'images dures, notamment d'armes, de cellules de prison. Elle arborent des phrases qui traduisent les émotions tout aussi dures qui habitent les personnes en réhabilitation.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Quand il n'y a plus de mots
L'art, pour moi, c'est vraiment quelque chose qui va, en fait, intuitivement chercher dans nos valeurs profondes et qui les fait sortir, et ça c’est un outil
, croit Céline Mundinger.
La thérapie c’est bien. C’est super. L’art, c’est quand il n’y a plus de mots [...] et qu’on va chercher à l’intérieur des émotions, des outils, des forces et on l’exprime.
Et je pense que ça, les participants l'ont vécu, l'ont expérimenté et j'espère qu'ils s'en servent dans la vie de tous les jours
, ajoute-t-elle.

Pour Andrew Start et Lestat Rae, pas question de se faire photographier ailleurs que devant l'affiche où il est écrit en anglais « La guérison passe par le nous », une citation tout indiquée pour exprimer ce qu'ils ont ressenti pendant les ateliers.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Andrew Start, sobre depuis maintenant neuf mois, confirme les dires de Mme Mundinger.
L’art, s’exclame-t-il, m'a permis d’exprimer mes émotions sur papier et de chasser certaines pensées de mon esprit.
Car nous ne sommes pas capables de gérer les charges mentales et émotionnelles liées à la dépendance
, confie-t-il.
Même constat pour Lestat Rae qui a commencé son parcours de guérison aux côtés de M. Start. Il affirme que le dessin et l’art l'aident à passer le temps et à digérer des rencontres, des traitements et des thérapies difficiles.
Nos émotions et nos pensées sont réprimées depuis si longtemps que lorsque nous parvenons à trouver un exutoire qui nous permet de les exprimer sans jugement, c’est tout un soulagement.
Et c’est ce soulagement qui me pousse à y revenir
, admet-il.
Ce qui est observé en pratique, Pierre Plante, psychologue, art-thérapeute et professeur au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) l’explique par la recherche et les découvertes faites sur l’art-thérapie.

Pierre Plante, qui est aussi président de l'Association des art-thérapeutes du Québec, explique que l'art-thérapie permet de symboliser sa souffrance et ainsi ainsi de poser un regard différent sur celle-ci.
Photo : Avec la permission de l'Université du Québec à Montréal
Il s'agit d'une thérapie centenaire dont le mode d’expression, au lieu d’être verbal, [passe] par le corps
, explique-t-il.
L'art facilite [...] la mise en forme et quand j'extériorise, je suis en mesure de prendre distance des expériences vécues, de les voir autrement et de les réintégrer à ce moment-là avec la parole.
Les addictions sont une manière de se réguler face à des traumatismes vécus, [...] de se structurer, d’apaiser la souffrance [...], parce que la matière n’est pas digestible sur le plan logique et rationnel, mais elle est logée dans un cerveau reptilien
, explique-t-il.

Les clients ont également été invités à créer de l'art abstrait afin de puiser dans leur for intérieur et d'exprimer les émotions et les sentiments qui s'y trouvent.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Dès lors, la thérapie verbale et la parole ne permettent pas l’accès à ce qui a été vécu, parce que le cerveau ne permet pas l’accès à la parole lors de traumatismes vécus
, ajoute-t-il.
Les thérapies par les arts semblent trouver leur place dans ce qui est recommandé de plus en plus, parce que, justement, on accepte de manière non verbale et par le corps cette matière qu'on ne peut pas travailler de manière verbale.
En outre, M. Plante précise que les pulsions toxiques et destructrices
, comme la consommation, peuvent être transposées à l’acte créatif. Les arts deviennent ainsi une manière plus saine de traduire sa souffrance
.
Il l'observe d’ailleurs au sein de sa pratique. Ses clients recréent des espaces d’art-thérapie chez eux, parce qu’ils comprennent cette fonction régulatrice
.

Andrew Start, qui a participé au projet d'art-thérapie, continue de créer des œuvres depuis la fin du projet. Il en a fièrement présenté quatre, dont celle-ci qui cache un message : le mot «guérison» en anglais.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Toutefois, tient à préciser le psychologue, dans le cas des [dépendances], tout doit être fait pour essayer de contenir la personne dans les pulsions, donc l’art-thérapie est toujours [menée] en combinaison avec d’autres services de traitement en toxicomanie
.
Le nous
l’emporte sur le je
Céline Mundinger a toujours misé sur la création créative plutôt qu’individuelle.
Tout le challenge [...] et toute la beauté de créer ensemble, c’est qu’on doit poser ses limites, discuter avec l’autre, rechercher un terrain commun.
Lorsque questionnés sur leur contribution personnelle, Andrew Start et Lestat Rae ont d’ailleurs tous les deux préféré évoquer les bienfaits du travail en équipe.
L’art m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes [...]. Le travail d’équipe, c’est vraiment bien.

Détail de l'œuvre collective évoquant le clan de l'ours auquel appartient une des clientes qui a participé aux séances d'art-thérapie menées par Mme Mundinger.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
Quant à M. Start, il reconnaît que ce travail d’équipe lui a permis de partager ses émotions avec d’autres. Nous avons tous pu matérialiser nos luttes et nos succès sur une même œuvre
, avance-t-il.
Et ce nous
est très inclusif. En effet, l’ensemble de la population est invitée au vernissage de l'œuvre qui aura lieu à la galerie d’art de Thunder Bay au début du mois de décembre.

Certains des participants à l'atelier ont transcrit leurs écrits sur l'œuvre. Céline Mundinger espère que le public prendra la peine de lire ces passages lorsque l'œuvre sera exposée à la galerie d'art de Thunder Bay en décembre.
Photo : Radio-Canada / Céline Marti
La plupart des gens dans la communauté stigmatisent les personnes qui ont des [dépendances] ou des problèmes de santé mentale
, observe Mme Mundinger.
Quand on regarde ces pièces et qu’on voit la beauté qu’elles dégagent, on voit l’être humain derrière, et je pense que [...] ça peut vraiment amener les personnes de la communauté à avoir un autre regard, à déstigmatiser et à accepter davantage [les personnes souffrant de dépendances ou de problèmes de santé mentale].
J’espère que tout le monde viendra voir l’exposition
, s’exclame M. Start, car les gens pourront finalement comprendre que les dépendances découlent avant tout de problèmes émotionnels et de santé mentale, et que [ceux et celles qui en souffrent] méritent d’être perçus avec gentillesse
.
Allez la voir! Vous allez voir ce que nous traversons et vous nous comprendrez mieux!
La tenue d’un tel vernissage, renchérit M. Plante, fait aussi office de thérapie. La population se déplace et prend au sérieux leur expérience
, dit-il.
Les personnes sentent qu’elles sont enfin écoutées, qu’elles ont le droit de parole
, qu’elles peuvent s’affirmer et qu’elles seront entendues et écoutées. Et ça, ça développe aussi l’estime de soi et la confiance
, conclut-il.