Pourquoi ne pas revenir au certificat en pédagogie et raccourcir le bac en enseignement?
Si certains voudraient voir renaître de leurs cendres des voies d’accès plus rapides vers l’enseignement primaire et secondaire, d’autres défendent le bien-fondé de la réforme des années 1990 qui avait professionnalisé l’enseignement.

Simon Rioux-Rivard prépare ses prochains cours dans sa classe.
Photo : Simon Rioux-Rivard
Simon Rioux-Rivard a un baccalauréat et une maîtrise en histoire. Il a suivi un programme court en enseignement postsecondaire, mais cela n’a pas suffi pour le qualifier.
Depuis trois ans, il enseigne le français en adaptation scolaire – c’est-à-dire à des élèves au profil parmi les plus exigeants qui soient – en tant qu'enseignant non légalement qualifié. J’adore mon métier. J’ai vraiment l’impression d’aider ces jeunes-là. Mais je vis avec de la frustration, de la précarité.
Malgré son manque de qualification officielle, il reçoit compliments et éloges pour sa débrouillardise et pour la qualité de sa gestion de classe. Il comprend mal pourquoi, afin d'obtenir son brevet d’enseignement et enfin réussir à enseigner sa matière d’expertise, l’histoire, il devrait s'astreindre à effectuer une maîtrise qualifiante pendant plusieurs années à temps partiel.
Pour moi, c’est un non-sens d’avoir à faire ça, aller chercher un autre diplôme de cycle supérieur, retourner faire des stages, alors que j’enseigne depuis plus de trois ans
, résume-t-il.
Ce que ça prend sur le terrain, ce n’est pas vrai que ça ne s’apprend que sur les bancs d’école.
Il voudrait voir revenir un programme plus court comme le certificat en pédagogie, qu’il était possible d'effectuer jusque dans les années 1990 dès qu’on avait étudié deux ans ou plus dans une discipline donnée à l’université pour enseigner ladite matière au secondaire.
Catherine Rea, elle, enseigne au préscolaire à Laval après avoir effectué, en 2020, un baccalauréat de quatre ans en éducation préscolaire et en enseignement primaire à l’Université de Montréal.
Elle aussi se sent à sa place et aime sa profession. Mais elle est malgré tout critique de la formation qu’elle a suivie, un baccalauréat de quatre ans qui était, selon elle, trop long et trop théorique
. Quand j’ai commencé à travailler, malgré toute cette formation, je n’avais pas l’impression d’être parfaitement outillée
, dit-elle.

Catherine Rea est enseignante au niveau préscolaire au centre de services scolaire de Laval.
Photo : Karine Maltais
Elle se rappelle avoir suivi des cours qu’elle qualifie de superflus
, que ce soit en philosophie ou en mathématiques avancées.
Elle trouve très intéressante l’option évaluée par le ministre Drainville de réduire la durée du baccalauréat en enseignement à trois ans, surtout si elle est assortie d’une année complète de stage rémunéré en milieu de travail.
Il y aurait moyen de condenser le baccalauréat : tout le monde le pense. On pourrait remplacer les cours qui ne sont pas nécessaires par une année supervisée dans une classe.
Voilà un changement qui serait excellent, à son avis.
Cependant, pourquoi la structure actuelle gravite-t-elle autour d’un baccalauréat de quatre ans, qui est, depuis 1994, la voie d’accès principale vers la profession enseignante?
Il faut faire un saut dans le temps et retourner dans les années 1990 pour répondre à cette question.
Une volonté de former des professionnels de l’enseignement
Claude Lessard, en tant que doyen de la Faculté des sciences de l'éducation de l’Université de Montréal entre 1991 et 1995, a été aux premières loges d’un important changement d’approche en ce qui a trait à la formation des enseignants.
Si, dans les années 1960, le grand changement a été l’universitarisation de la formation des maîtres, dans les années 1990, on a décidé de professionnaliser l’enseignement au sens où on voulait des enseignants mieux formés, plus efficaces et polyvalents
, explique M. Lessard.
À l’époque, ceux qui voulaient enseigner au primaire devaient effectuer un baccalauréat de trois ans qui comportait très peu de stages, suivi d’une période de probation d’un an avant d’obtenir le brevet d’enseignement. Au secondaire, il suffisait d’avoir étudié deux ans dans une discipline comme le français, les mathématiques ou l’histoire à l’université, d'obtenir un certificat (programme d’un an) en pédagogie et de faire une période d'essai d'un an pour devenir enseignant qualifié.

Claude Lessard a été un des acteurs centraux du développement du réseau de l'éducation québécois tel qu'on le connaît aujourd'hui.
Photo : Claude Lessard
En coulisses, au ministère de l’Éducation et dans les universités, un consensus a émergé au début des années 1990 : puisque la première génération des maîtres d’école issus de la Révolution tranquille commençait à prendre sa retraite, c'était là un bon moment pour revoir la formation des enseignants.
On trouvait que les professeurs n’étaient pas assez bons en gestion de classe, qu’ils étaient démunis devant des élèves avec des difficultés d’apprentissage ou de comportement
, résume Claude Lessard, qui a aussi été président du Conseil supérieur de l’éducation.
On voulait une formation qui intégrait mieux la théorie et la pratique, plus pertinente et centrée sur le développement d’une identité professionnelle forte.
En d’autres mots, on ne voulait plus former des historiens qui enseignaient. On voulait former des professeurs d’histoire.
Selon Marc-André Éthier, directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), un autre facteur entrait en ligne de compte. Il y avait une insatisfaction au sujet du taux de diplomation au secondaire. On remettait en question les enseignants. On se disait qu’il fallait rehausser la qualité de leur formation en l’allongeant.
Au secondaire, ajoute-t-il, la formule de l’époque condamnait l’enseignant à avoir des lacunes. L’enseignant n’avait étudié que dans une discipline, l’histoire par exemple, mais devait toucher à plusieurs sciences sociales comme la géographie et l’économie dans ses cours. Sa formation n’était pas congruente avec ce qu’il enseignait.
La création d’un chien de garde de la qualité de la formation
À la même époque, en 1992, le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) a été créé. Son mandat était essentiellement d’évaluer et d’accréditer les nouveaux programmes de formation qui allaient être créés par les différentes universités.
Le CAPFE permettait d’avoir un organisme qui veillerait à ce que les différents programmes respectent les normes de qualité qui avaient été convenues collectivement
, explique Marc-André Éthier, qui a été président du CAPFE jusqu’en 2022.

Marc-André Éthier a été enseignant en histoire au secondaire avant de devenir professeur de didactique à l'université.
Photo : Marc-André Éthier
La mise sur pied de ce comité, en l'absence d’un ordre professionnel des enseignants, était un bon compromis
, ajoute de son côté Claude Lessard. Ce comité avait une réelle légitimité et un réel pouvoir et il empêchait que le ministre assume à lui seul les chapeaux de l’employeur et de la gestion de la profession enseignante [ainsi que] du représentant du bien public.
Ça allait dans le sens de cette réforme, dans le sens de la professionnalisation de l’enseignement
, conclut M. Lessard.
Une réforme réussie, selon plusieurs
En 1994, après plusieurs années de concertation dans les officines internes et sous l’impulsion finale du ministre libéral Jacques Chagnon, une réforme de l’enseignement a été implantée, uniformisant ainsi le baccalauréat de quatre ans comme voie d’accès quasi unique vers la profession d’enseignant, tant au niveau préscolaire et primaire qu’au niveau secondaire.
Avec ces baccalauréats, on a déployé le principe d’alternance, c’est-à-dire d’intégrer les stages très tôt dans la formation pour permettre de créer une connexion entre la théorie et la pratique sur le terrain
, confie Stéphane Allaire, professeur au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Il reconnaît toutefois que cette transformation ne s’est pas faite sans heurts à l’intérieur des universités, notamment entre les facultés d’éducation et les départements disciplinaires, qui ont alors perdu une partie de leur clientèle.

Stéphane Allaire est spécialiste en pratiques éducatives à l'Université du Québec à Chicoutimi.
Photo : Stéphane Allaire
La formation des enseignants au Québec est certainement perfectible, mais elle est parmi les formations dans le monde qui ont une bonne réputation. Et ça, il faut l’attribuer à cette réforme des années 1990.
Cette réforme-là a été bien faite et je ne comprends pas pourquoi on veut la défaire
, lance de son côté Claude Lessard, qui déplore la pression exercée en ce moment sur le réseau universitaire pour élaborer rapidement des formations plus courtes menant au brevet en enseignement.
Une pénurie d’enseignants qui met en danger la qualité de la formation enseignante?
Tant Claude Lessard que Marc-André Éthier et Stéphane Allaire trouvent dommage, voire inquiétant, que les décideurs, notamment le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, remettent en question la structure des formations actuelles et insistent pour les raccourcir sous le couvert de la pénurie d’enseignants qui sévit actuellement au Québec.
Je considère que le bac de quatre ans doit demeurer la principale voie à la formation des enseignants. Sinon, on déprofessionnalise le métier
, prévient Claude Lessard.
Il n’est pas contre l’idée de favoriser des manières de régulariser le statut de certains des milliers d’enseignants non légalement qualifiés qui ont toutefois fait leurs preuves, mais pas au point de faire ressusciter le certificat en pédagogie d’une trentaine de crédits seulement.
Ce n’est pas une manière de construire une identité professionnelle forte. Ce n’est pas suffisant pour les équiper à faire face aux difficultés de l’enseignement secondaire public actuelles.
Stéphane Allaire est du même avis. Enseigner, c’est autre chose que maîtriser le contenu des cours et connaître deux ou trois formules pédagogiques
, soutient-il.
Surtout que la réalité des classes est de plus en plus lourde et complexe. Il y a de nouvelles exigences qui s'ajoutent et on parle de raccourcir la formation. Il y a quelque chose qui ne marche pas.
Ce que je trouve regrettable, c’est qu’à l’heure actuelle, on semble oublier de réfléchir à [la question] de la qualité de la formation.
Par ailleurs, en remettant en question la structure de la formation des enseignants, on s’attaque au mauvais problème, selon Marc-André Éthier.
Le gros du problème n’est pas lié à la formation, mais plutôt aux conditions d’enseignement. C’est pour ça que les enseignants quittent la profession en si grand nombre
, rappelle-t-il.
Il ne suffit pas d’augmenter le nombre d’enseignants. Si on ne diminue pas la lourdeur de la charge des enseignants, tout le reste aura été fait en pure perte.
Le projet de loi mal aimé
Stéphane Allaire ajoute que le projet de loi 23, qui est à l’étude cet automne, menacerait lui aussi la qualité de la formation des enseignants, car il prévoit de faire disparaître le Comité d’agrément des programmes de formation à l'enseignement (CAPFE) au profit de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE). Or, ce dernier n’aurait qu’un pouvoir de recommandation au sujet des programmes de formation à l’enseignement.
D’autres acteurs du milieu universitaire avaient d’ailleurs déjà dénoncé publiquement la volonté du ministre Drainville de dissoudre le chien de garde
de la qualité de la formation.
Ce à quoi ça ouvre la porte, c’est à des tractations université par université auprès du ministre pour se positionner avec des formations à la pièce
, dénonce M. Allaire. J’ai l’impression qu’on est en train de jeter le bébé avec l’eau du bain.
Je pleure le CAPFE parce que c’était une instance qui permettrait de ne pas centraliser toutes les décisions dans la sphère politique
, ajoute de son côté Claude Lessard. Si ce n’est que le ministre qui décide, chaque université va y aller de son lobby auprès du ministre, vous comprenez?
Leurs craintes et celles de dizaines d’autres collègues sont d’ailleurs étayées dans un récent livre en ligne intitulé Le PL23 et l’INEE : excellence ou standardisation en éducation?.
Le jeune enseignant sur le terrain Simon Rioux-Rivard, lui, comprend les réserves de ces représentants du milieu universitaire. Mais il pense qu’en contexte de pénurie d’enseignants, il faut accepter de mettre de l’eau dans son vin. Ce n’est pas dans l'intérêt de l’élève, cette intransigeance-là.