La Mongolie coincée entre l’ours et le dragon

Le mémorial de Zaisan d'Oulan-Bator rend hommage aux soldats mongols et soviétiques tués pendant la Seconde Guerre mondiale.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
En Asie de l’Est, la jeune démocratie de la Mongolie est prise en étau entre deux voisins autocrates, la Chine et la Russie, dont elle est dépendante économiquement. Le vaste pays aride et désertique est récemment devenu d'une importance stratégique mondiale pour son sous-sol riche en minerais.
La Mongolie s’adonne à un difficile jeu d’équilibriste. D’un côté, elle bâtit des liens économiques avec le Canada, les États-Unis et l'Europe, et de l'autre, elle doit éviter de déclencher des conflits avec ses voisins historiques aux visées autoritaires. Les gouvernements des trois pays ont d’ailleurs tenu une rencontre sur les questions de sécurité la semaine dernière et professé qu’ils établiraient un nouvel ordre mondial juste et raisonnable
.
Aux portes du désert de Gobi, à quatre heures de route de la capitale, Oulan-Bator, un déroutant voyage dans le temps attend les visiteurs qui passent en coup de vent dans la petite localité de Bayantal. Un retour en arrière qui permet de comprendre l’ampleur des liens qui existent encore aujourd’hui entre la Mongolie et la Russie.
Des chevaux semi-sauvages errent tout près d’une ancienne piste aérienne militaire, au milieu d’édifices vétustes. Les baraques militaires soviétiques abandonnées, de vastes complexes résidentiels austères faits de béton aux fenêtres fracassées, transportent les voyageurs en pleine guerre froide.

Des chevaux semi-sauvages errent tout près de l'ancienne base aérienne.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
À l’intérieur de ces bâtiments, les marques de cette époque refusent de s’effacer. Des journaux soviétiques datant de 1971 ornent encore certains murs.
La base aérienne soviétique abandonnée depuis les années 1980 rappelle que la Mongolie faisait partie du bloc soviétique jusqu’en 1990. La base avait été construite avec la permission de la Mongolie afin de protéger l’URSS contre une possible offensive chinoise.
Les symboles de l’URSS sont d’ailleurs présents un peu partout en Mongolie. Un grand monument situé sur une colline surplombant Oulan-Bator a été érigé pour souligner l’amitié de longue date entre Soviétiques et Mongols. Le Kremlin aime répéter que c’est grâce à lui que la Mongolie a obtenu son indépendance de la Chine en 1921.
Malgré l’invasion russe en Ukraine l’an dernier, une majorité de Mongols perçoivent encore favorablement la Russie.

Les vestiges d'un Mig monté devant une base aérienne soviétique abandonnée depuis les années 1980.
Photo : Radio-Canada / Philippe Leblanc
En Occident, nous considérons l’Union soviétique avant tout comme un lieu autoritaire et oppressif
, soutient Julian Dierkes, professeur associé au programme sur l’Asie intérieure de l’Université de Colombie-Britannique. Mais gardons à l’esprit que cette alliance a apporté beaucoup de développement social à la Mongolie. On peut penser à des domaines comme l’alphabétisation ou la mortalité infantile, la santé publique en général, l’urbanisme et la croissance de la capitale.
La dépendance économique envers la Chine et la Russie
La Mongolie, vaste pays dont la population n’atteint pas 3,5 millions d'habitants, dépend de la Russie pour ses approvisionnements en énergie et autres denrées. Les importations de pétrole, de fer et de blé russes y ont totalisé 1,81 milliard de dollars américains en 2021.
Environ 93 % de toutes les exportations de Mongolie vont chez son autre voisin autocrate, la Chine. Les exportations de charbon, de minerai de fer et de cuivre dépassaient les 7,6 milliards de dollars en 2021. En raison de l’importance de cette dépendance économique, la Chine peut exercer d’intenses pressions sur la Mongolie.
Les Mongols sont des gens pragmatiques et ils se rendent compte que sans la Chine et son influence sur l’économie mongole, nous pourrions tout simplement être en grande difficulté
, croit Sumati Luvsandendev, qui dirige l’institut de sondages indépendants Sant Maral en Mongolie.
Une approche pragmatique renforcée, selon lui, après les sanctions économiques temporaires imposées par la Chine en 2016 en raison de la visite en Mongolie du dalaï-lama, le chef spirituel tibétain en exil. Le Tibet est occupé par la Chine, qui l’a désigné comme une région autonome. Pékin refuse de reconnaître l’autorité du dalaï-lama.
Ses pressions sur la Mongolie ont fonctionné. Oulan-Bator a annoncé que le dalaï-lama n’y serait plus invité. Il est pourtant allé en visite en Mongolie à quelques reprises depuis les années 1990.
La situation en Mongolie s’est de plus détériorée lors de la pandémie de COVID-19 avec la fermeture des frontières chinoises. Sans les investissements chinois et les retombées des exportations, le domaine de la construction s’est complètement arrêté pendant près de deux ans en Mongolie. La qualité de vie s’est érodée et les prix des denrées ont bondi.
Une série de quatre reportages :
Une jeune démocratie fragile
La Mongolie s’est tournée vers la démocratie en 1990, après la chute du mur de Berlin et de l’Empire soviétique. Elle souhaite maintenant renforcer ses liens avec l’Occident, comme l’illustre la récente visite du premier ministre à Washington au début du mois d’août.
Une décision réfléchie et publique malgré le besoin d’apaiser ses voisins belliqueux et la perspective de la construction d’un oléoduc entre la Sibérie et Pékin. L'oléoduc est dans les cartons depuis quelques années, mais semble aujourd’hui plus urgent pour Moscou. Il sillonnerait la Mongolie et lui apporterait d'énormes retombées financières.
Lors de son passage à Washington en août, le premier ministre de la Mongolie, Luvsannamsrai Oyun-Erdene, affirmait qu’il voulait croire que la Chine et la Russie ne percevraient pas ses actions comme de la provocation et qu’elles respecteraient ses choix commerciaux ainsi que son rapprochement avec l’Europe et les États-Unis. Plusieurs pays souhaitent avoir accès aux importants gisements de minerais de Mongolie, dont ceux de terres rares.

La vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, a rencontré le premier ministre mongol, Luvsannamsrai Oyun-Erdene, à la Maison-Blanche, à Washington, le 2 août dernier.
Photo : Reuters / KEVIN WURM
Si le monde se dirige vers une sorte de blocs bipolaires dirigés par les États-Unis et la Chine, le risque le plus grave pour la Mongolie serait que la Chine lui demande de choisir
, croit Julian Dierkes, de l’Université de Colombie-Britannique. Si elle disait soudainement : "Êtes-vous avec eux ou êtes-vous plutôt avec nous?", ça serait un choix désastreux à faire.
La préservation de la jeune démocratie mongole s’avère difficile. Selon des experts, les modèles autoritaires de la Chine et de la Russie influencent en quelque sorte la perception de la population. La confiance du public mongol en ses institutions s’érode en raison de scandales de corruption. La désinformation russe et chinoise amplifie les problèmes.
La Russie et la Chine aimeraient que le système politique ici ne soit pas un obstacle à celui qu'ils ont dans leur pays
, affirme Sumati Luvsandendev de l’institut de sondages Sant Maral. Sinon, ça pourrait donner un soi-disant mauvais exemple à leur propre population.
Le difficile jeu d’équilibriste entre l’Occident et le nouveau bloc Russie-Chine qui veut remanier l’échiquier mondial se vit au quotidien en Mongolie, et encore plus aujourd’hui.