AnalysePME : des entrepreneurs épuisés et de plus en plus de fermetures au Québec

Sous la protection de la Loi sur la faillite depuis décembre 2022, la bannière Centre du rasoir a finalement fermé boutique en février dernier.
Photo : Radio-Canada / Archives
Vous avez peut-être remarqué, récemment, que plusieurs commerces ferment leurs portes. Ce sont des endroits que vous aimez, que vous connaissez depuis des années, depuis des décennies dans certains cas, et qui sont obligés aujourd’hui de mettre la clé sous la porte. Pourquoi? Que se passe-t-il?
Les fermetures se multiplient : Agatha, les restaurants Juliette & Chocolat, les boutiques de bijoux Bizou, le boulanger Le Fromentier à Montréal, Crémy (Nouvelle fenêtre) Pâtisserie, le Centre du rasoir, Tero et j’en passe.
CORRECTION
Une version précédente de ce texte indiquait que Coco Village avait elle aussi fermé. L'entreprise a déclaré faillite, puis a été rachetée par ses fondateurs Dominik Larose et Yoann Desrosiers en juin 2023. Elle est toujours en activité.
Même scénario en région, au Saguenay par exemple, où la Boulangerie Chicoutimi-Nord, véritable institution pendant plus de 60 ans, a cessé ses activités, tout comme le Café Plantes et Fleurs et plusieurs restaurants, dont L’Gros Luxe à Chicoutimi, sans compter des fromageries et microbrasseries qui sont en difficulté.
Les raisons sont multiples et complexes, mais dans plusieurs cas, elles s’additionnent. La fin des soutiens liés à la COVID-19 est venue fragiliser plusieurs PME qui étaient peut-être déjà en difficulté avant le début de la pandémie.
La forte inflation, la hausse des taux d’intérêt et les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement ont malmené les entreprises qui espéraient, au sortir de la pandémie, profiter d’un rebond économique salvateur. Ça ne se passe pas comme prévu.
Plusieurs entrepreneurs se plaignent des exigences réglementaires. Par exemple, la Loi 25 sur la protection des renseignements personnels impose de nouvelles exigences aux entreprises qui entreront en vigueur dès vendredi. Plusieurs ne seront pas prêtes pour la date butoir et il y a une certaine panique qui s'installe. La Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI) estime que cette réglementation coûtera au moins 52 millions de dollars par année au secteur privé.
Certains évoquent les taxes municipales qui sont trop élevées à leur goût, les permis difficiles à obtenir ou encore la dévitalisation de certaines rues commerciales. Il y a aussi les changements de direction ou de vocation de certaines avenues et l’ajout de parcomètres ou de zones de stationnement résidentiel, des critiques qui visent surtout l’administration de Valérie Plante à Montréal.
Plusieurs sociétés sont très endettées ou n’arrivent plus à s’adapter à la concurrence, qui est féroce et qui répond mieux aux attentes des consommateurs. Les habitudes de ces consommateurs ont d’ailleurs changé depuis la pandémie et certaines entreprises ne s’en sont pas remises.
Vous le voyez, les raisons sont multiples pour expliquer la fermeture de certaines PME et la tempête n'est pas loin d’être parfaite pour certains entrepreneurs.
Épuisés
Et je pense qu’il y a un dénominateur commun à toutes ces faillites et fermetures : la fatigue. Quantité d’entrepreneurs n’en peuvent plus, sont épuisés, fatigués, vidés, à boutte.
Est-ce que le ministre de l’Économie est fier d’avoir la palme d’or des faillites au Canada?
a demandé le porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances, Frédéric Beauchemin, mercredi matin, lors de la période des questions à l’Assemblée nationale du Québec.
C’est un constat très dur, que ne partage pas du tout le ministre de l’Économie. Pierre Fitzgibbon a rejeté du revers de la main les propos du député en affirmant que durant la pandémie, on a eu une réduction d’environ 24 % des fermetures d’entreprises. Puis, on a vu une montée des fermetures depuis la fin de la pandémie. Et quand on fait la moyenne depuis 2020, on est encore en deçà des niveaux de fermetures que nous avions avant la pandémie
.
Le ministère de l’Économie a précisé ces informations, à notre demande. Ainsi, pour les 7 premiers mois de l’année, on compte 1456 dossiers d’insolvabilité au Québec. À ce rythme, si la tendance se maintient, 2023 pourrait être la pire année depuis 2017 pour les PME.
Le député libéral Frédéric Beauchemin affirme de son côté que, depuis un an, 61 % des faillites au pays sont survenues au Québec. Si on se fie aux données du Bureau du surintendant des faillites du Canada, le nombre de dossiers de faillites d’entreprises au Québec a bondi de 20 % de juillet 2022 à juillet 2023, pour atteindre 1879 faillites. Ce nombre équivaut, en effet, à 61 % des 3097 faillites au pays.
Des remboursements difficiles à respecter
Alors, il est clair que la santé financière de plusieurs entreprises est en péril. C’est pourquoi le gouvernement fédéral a décidé de prolonger l’échéance de remboursement du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. Les prêts octroyés durant la pandémie devaient être remboursés cette année.
Selon la FCEI, près de 7 PME canadiennes sur 10 n’ont pas encore commencé à rembourser leur prêt. Et seulement 18 % d’entre elles ont déjà été en mesure de tout rembourser. La FCEI affirme aussi que 19 % des PME, soit 250 000 entreprises au pays, pourraient cesser leurs activités en 2024 si le report de remboursement n’est pas prolongé.
Il ne faut pas sous-estimer la tempête qui s’abat sur nos entreprises. Les malheurs s’accumulent en cascades depuis un peu plus de trois ans, et le ralentissement économique en cours ne va rien arranger. Le Canada est possiblement déjà en récession et la croissance du Québec est à zéro, nous a confirmé le ministre des Finances, Eric Girard, mardi.