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ChroniqueChampionnat du monde Ironman : la fierté d’une vie

L’animateur du Téléjournal Québec raconte en ses mots sa participation à cette compétition de haut niveau.

Bruno Savard après avoir passé le fil d'arrivée du Championnat du monde Ironman 2023, à Nice, en France.

Bruno Savard après avoir passé le fil d'arrivée du Championnat du monde Ironman 2023, à Nice, en France

Photo : FinisherPix

Les rêves ne doivent jamais sombrer dans l’oubli. Ils doivent être chéris et maudits. Ils doivent être remis en question… pour un jour apprécier l’ampleur de leur réalisation.

L’idée d’un jour réaliser un triathlon de distance Ironman ne m’avait jamais effleuré l’esprit avant l’âge de 40 ans. Au fond, je n’avais pas le profil de l’emploi : j’ai fumé comme une locomotive de l’âge de 16 à 36 ans.

Je n’avais jamais mis les pieds dans un gym, encore moins enfourché un vélo ou chaussé les espadrilles. Et la nage? N’en parlons même pas! Ma plus longue distance parcourue égalait le diamètre de ma piscine : 21 pieds. Puis, le 10 septembre 2023, me voilà à 50 ans, sur la ligne d’arrivée du Championnat du monde Ironman, à Nice.

Bruno Savard court avec le sourire, malgré une douleur au dos.

Bruno Savard pendant l'étape de la course du Championnat du monde Ironman

Photo : FinisherPix

Le triathlon Ironman consiste à enchaîner trois disciplines sportives le plus rapidement possible, tout en dosant son niveau d’effort : 3,8 kilomètres de natation en eau libre, 180 kilomètres de vélo et 42,2 kilomètres de course à pied. L’appellation Ironman est au fond une marque de commerce désignant ces distances.

Un triathlon de distance normale – que l’on nomme aussi distance olympique – consiste en 1,5 kilomètre de natation, 40 kilomètres de vélo et 10 kilomètres de course à pied.

La compagnie derrière le Ironman se targue de présenter l’épreuve multisport la plus difficile au monde. Dur à prouver, mais c’est une affirmation qui demeure certes gravée dans l’esprit de celui ou celle qui franchit le fil d’arrivée de l’une de ces courses.

Nice était le décor du Championnat du monde Ironman 2023 auquel a participé Bruno Savard

Nice était le décor du Championnat du monde Ironman 2023 auquel a participé Bruno Savard.

Photo : FinisherPix / KAAN UCELE

Il y a une quarantaine de compétitions Ironman qui se tiennent dans le monde, bon an mal an. À chacune de ces courses, des places de qualification pour le championnat du monde sont attribuées aux meilleurs athlètes dans les différentes catégories. Les catégories sont désignées par groupes d’âge et par le sexe des compétiteurs.

Quiconque le désire, pense avoir la forme physique pour faire la distance et est prêt à débourser 1000 $ pour l’inscription peut prendre le départ de l’un de ces Ironman. Pour le championnat du monde, il faut se qualifier, soit en réalisant un top 5 dans sa catégorie dans une course régulière ou un top 25 dans un championnat régional. Ce fût mon cas au Championnat des Amériques en avril 2023, au Texas.

La nage au départ

Il est 7 h 30. Déjà, la course est amorcée pour des centaines d’athlètes. Les professionnels sont entrés à l’eau à 6 h 50. Successivement, les athlètes séparés par groupe d'âge ont commencé leur journée par vagues de départ, toutes les 5 minutes.

Quand le signal de départ est donné pour les 50-54 ans, le bruit ambiant s’efface. Les spectateurs s’éliminent de ma conscience, le micro de l’annonceur maison s’éteint. Il y a dans ma tête un silence absolu. Il n’y a que moi et les 226 kilomètres qui me séparent de mon rêve. C’est un sentiment incroyable que de ressentir une telle quiétude, dans un environnement aussi fertile en stimulations.

Bruno Savard, à gauche, dans la zone de transition entre la portion de nage et la portion de vélo

Bruno Savard, à gauche, à la sortie de l'étape de la nage.

Photo : FinisherPix / MAISONNEUVE CHARLENE

Au fond, il y a plus de 300 mecs entassés, nageant sur place, qui attendent le départ. Il y a un annonceur maison qui gueule sa vie en décrivant les départs, mais aussi en annonçant l’approche des premiers pros qui sont partis 40 minutes plus tôt. Il y a des milliers de spectateurs qui encouragent chacun leur héros… puis il y a moi.  Bien seul. Une solitude indescriptible. Un silence pourtant impossible. Mais il est là.

Je me sens bien. Pour la première fois depuis que je sais que je participerai au championnat du monde, je me sens à ma place. J’ai mérité d’y être. Je l’assume et je dévore le moment.

L’eau turquoise de la Méditerranée est splendide. J’aimerais bien vous faire de la poésie sur le moment de grâce que j’y ai vécu, mais ce serait de la frime. J’ai nagé – juste nagé – sur 3800 mètres. J’y ai réalisé une performance normale . Avec un chrono de 1 h 17 min, je suis sorti de l’eau exactement mid-pack . Il y avait autant d’athlètes de ma catégorie devant qu’il y en avait derrière.

J’étais en mode Ironman. C’était la septième fois que j’allais réaliser la distance. Il y a une forme d’habitude qui se crée. Le corps et l’esprit passent en mode exécution. J’ai souvent entendu des grands champions dire avant une importante compétition ou un match ultime : C’est un match comme les autres! Au fond, c’est ce que je vivais. Partout, autour de moi, il y avait des triathlètes qui savent exactement ce qui les attend : une longue journée de souffrance et de satisfaction qui ne se déroulera assurément pas comme prévu.

Il est impossible d’obtenir une exécution parfaite sur une épreuve qui s’étire sur plus de 10 heures. Même les pros qui y mettent 8 heures diront qu’ils ont commis telle ou telle erreur sur la natation, qu'ils auraient dû attendre pour attaquer en vélo ou démarrer plus vite en course. Le skieur olympique Philippe Marquis m’a dit un jour : Moi, mon épreuve dure 30 secondes. J’ai 30 secondes pour être parfait. Toi? Tu essaies d’être parfait pendant 12 heures! C’est malade! Alors oui, j’ai beau être au championnat du monde, mais au fond, c’est un Ironman comme les autres.

Bruno Savard lors de l'étape de vélo du Championnat du monde Ironman 2023

Bruno Savard lors de l'étape de vélo du Championnat du monde Ironman 2023

Photo : FinisherPix

La transition vers le vélo

À la sortie de nage, je récupère le sac de transition numéro 1766, mon numéro. À l’intérieur se trouve mon casque et mes souliers de vélo. Après avoir ramassé quelques barres énergisantes, hop!, je me dirige vers mon vélo, bien accroché depuis la veille sur son tréteau, à l’emplacement 1766.

Le parcours de vélo qui se dresse devant moi est le plus difficile que j’ai eu à affronter de ma vie. Je le sais dès le départ. Je me le suis imaginé. Je l’ai visualisé en le parcourant en entraînement virtuel. Mais, c’était pire que le pire des scénarios que je m’étais inventé.

Après 10 kilomètres sur le plat, le long de la mer, nous tournons ensuite vers le nord, à St-Laurent-du-Var. Un premier col nous emmène à La Gaude. Celui-là, je l’avais déjà gravi trois jours auparavant, à l’entraînement. Je l’avais trouvé costaud et ça m’avait permis de prendre pleinement conscience que les 180 kilomètres de ce Ironman n’allaient pas être de la tarte.

Du 10e au 25e kilomètre, on gravit une série de côtes qui s’apparentent à la portion moins abrupte de la côte Gilmour, à Québec. C’est une forme de mise en bouche pour le repas principal qui allait venir en deuxième service.

Après une belle descente de 4 ou 5 kilomètres, nous arrivons au fond d’une vallée, qui annonce le mur se dressant devant nous. Après avoir traversé un petit pont qui enjambe une tout aussi petite rivière, virage à droite et… paf! Ça commence!

Montées infernales

De Tourrettes-sur-Loup jusqu’à Gourdon, un enchaînement infernal de côtes Gilmour et de côtes de la Montagne. Sur 21 kilomètres, je n’avance plus. Quand tu te penches et que tu vois continuellement les chiffres 9 km/h et 11 km/h sur ton cyclomètre, c’est chaque fois comme un coup de couteau en plein cœur.

Ce col est assassin. J’ai vu, pour la première fois de tous mes Ironman, des athlètes s’arrêter sur le côté pour reprendre leurs émotions, leur souffle ou quoi que ce soit qu’ils y ont perdu.

L'étape de vélo du Championnat du monde Ironman 2023 à Nice, en France, une succession de côtes Gilmour et de la Montagne, selon Bruno Savard.

L'étape de vélo du Championnat du monde Ironman 2023 à Nice, en France, une succession de côtes Gilmour et de la Montagne, selon Bruno Savard.

Photo : FinisherPix / Blaise Tassou

Une fois au sommet, on pense qu’on a gagné, mais non. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que, malgré quelques faux plats descendants – qui nous permettent enfin d’atteindre les 40 kilomètres à l’heure! –, il y a toujours un mur qui se dresse devant nous. Même quand on pense avoir finalement atteint notre vitesse de croisière survient une belle bosse de 8 ou 10 % d’inclinaison!

J’ai l’impression que les Alpes maritimes me parlent et me disent : "Hé, hé, hé le p’tit Canadien! Tu crois savoir ce que c’est des côtes, avec ta p’tite réserve faunique des Laurentides ou ton parc de la Mauricie? Ici, c’est du vrai! C’est moi qui t’aurai. Allez, pédale, p’tit con! T’as même pas la moitié de fait!"

Puis vient le troisième et dernier col avant la descente vers Nice. De Gréolières à Coursegoules, une bonne quinzaine de kilomètres à se faire poignarder. On est alors à 125 km de parcours. J’arrête à un ravito pour une visite rapide à la toilette chimique. En enfourchant mon vélo au moment de reprendre la route, crack! Je sens un nerf se coincer au bas de mon dos, du côté gauche.

Le dénivelé du parcours de vélo du Ironman de Nice.

Le dénivelé du parcours de vélo du Ironman de Nice.

Photo : Ironman de nice

Cela m’arrive parfois et c’est toujours lors d’un geste anodin de la vie. En rangeant un pot de beurre d’arachides, par exemple. Cette fois, le moment n’aurait pas pu être pire.

Le reste du parcours fut supportable. J’arrivais à trouver des positions sur le vélo qui ne réveillaient pas trop la douleur.

Douloureuse course à pied

Revenu au niveau de la mer à Nice, je retrouve l’effervescence de la course avec les milliers de spectateurs toujours présents pour encourager ceux qui sont cette fois en course à pied.

Je descends de ma bécane et en posant le pied gauche au sol, je comprends que ma journée vient de se compliquer. Chaque fois que mon pied touche le sol, un choc traverse mon dos et va électrocuter l’arrière de ma tête.

Normalement, je cours dans la zone de transition pour aller porter mon vélo et récupérer le sac contenant mes articles de coureur. Cette fois, je marche. Et ça fait mal.

Bruno Savard au Championnat du monde Ironman 2023, à Nice, en France

Un Ironman est notamment composé d'une étape de 42,2 km de course à pied.

Photo : FinisherPix

Je comprends que mon calvaire se concrétise. Je n’ai pas couru 100 mètres dans ce marathon que j'ai déjà arrêté. Si les côtes des Alpes maritimes sont des coups de poignard au cœur, cette fois, chaque pas de course est une balle de mitrailleuse au bas du dos.

Je me couche au sol à travers les spectateurs. En me roulant, je tente de masser la zone meurtrie. De retour sur pied, j’essaie de reprendre la course une fois, deux fois, 10 fois. Rien n’y fait. Je n’ai pas fait 3 kilomètres et chaque pas me tue.

Le marathon du Ironman de Nice nous emmène sur quatre boucles de 10 kilomètres. À la première volte-face à l’aéroport, je songe sérieusement abandonner. Très sérieusement. Les spectateurs m’encouragent, mais je ne peux pas défier cette douleur indéfiniment.

Il doit être aux environs de 16 h. Sur la Promenade des Anglais, des athlètes circulent sans arrêt depuis au moins deux heures. Pour le spectateur moyen, il n’y a pas de différence entre le pro qui a commencé sa journée à 6 h 50 et qui a complété sa portion à vélo en 4 h 30, et le pauvre gars de 50 ans qui s’est élancé près d’une heure plus tard et qui a mis deux heures de plus pour faire les mêmes 180 kilomètres de vélo. Tout ce beau monde est mélangé dans cette valse incessante de coureurs complètement vidés.

Bruno Savard lors de l'étape de course à pied du Championnat du monde Ironman de Nice, en France.

Bruno Savard : «Chaque fois que mon pied touche le sol, un choc traverse mon dos et va électrocuter l’arrière de ma tête.»

Photo : FinisherPix

Voyant ma souffrance, un spectateur bien intentionné me lance : Allez Bruno, tiens bon, c’est presque terminé! Malgré moi, je pense lui avoir lancé un regard de dépit. Ce gentil monsieur pensait probablement que j’en étais à mon dernier tour de course, voyant mon état. Mais il n’en était rien. J’avais à peine parcouru 3 ou 4 kilomètres, à la marche au surplus, sur les 42,2 kilomètres de l’épreuve.

Signe du ciel, du destin, d’un dieu quelconque, je trouve au sol un petit sachet qui a sûrement été échappé par un autre coureur. À l’intérieur, il y a une capsule d’électrolytes et un comprimé d’Advil. Je gobe ce dernier comme un junkie se serait injecté son démoniaque élixir.

Puis une dizaine de minutes plus tard, je reprends la course. Il me semble que la douleur est moins intense. Miracle, ça se confirme! Si bien qu’à la deuxième volte-face, j’en suis à une cadence quasi normale de 5 min 30 s à 5 min 40 s du kilomètre.

Je croise ma conjointe et ma fille qui sont dans la foule. Je leur demande de me trouver d’autres comprimés d’ibuprofène. Je les prendrai à mon deuxième tour, au 21e kilomètre.

Bruno Savard en course sur un vélo

Bruno Savard lors de sa participation au Championnat du monde Ironman 2023, à Nice, en France

Photo : FinisherPix / ANDRE FAURE

C’est ce que je fais. Malgré tout, la douleur est bien présente tout au long du marathon, mais elle est tolérable et gérable.

Je passe finalement le fil d’arrivée avec le pire chrono de mes sept Ironman. Mais avec la plus grande fierté jamais ressentie.

Fier d’avoir enfin réalisé ce rêve. Mais surtout extrêmement fier de ma résilience.

Condensé de vie à l'arrivée

Les Ironman sont devenus pour moi un laboratoire sur la vie. C’est la concrétisation de l’effort. C’est la conscience que seul on n’y arrive pas. Je n’étais pas tout seul dans mes espadrilles, le 10 septembre, sur la Promenade des Anglais, à Nice.

Bruno Savard passant le fil d'arrivée du Championnat du monde Ironman 2023.

Le sentiment du devoir accompli au fil d'arrivée pour Bruno Savard

Photo : FinisherPix

J’étais avec ma conjointe, qui a dû adapter sa vie et ses fins de semaine en fonction de mes entraînements. J’étais avec mes deux filles, qui ont vu leur père se coucher à 21 h, chaque soir. J’étais avec mon entraîneur Pierre-Yves Gigou qui, chirurgicalement, est parvenu à placer mes entraînements à travers mes engagements professionnels et familiaux. J’étais avec tous mes collègues qui savent très bien que lorsque je quitte le midi, entre deux tournages, c’est pour aller m'entraîner. J’étais avec mes amis qui me suivent et m’encouragent bien qu’ils doivent me trouver fou.

J’étais avec la somme de toutes ces personnes qui m’ont encouragé et de toutes les autres qui m’ont découragé au cours de ma vie. Avec ce patron qui m’a dit un jour de faire autre chose que de la radio ou de la télé, que je n’avais pas de talent. J’étais avec ces autres patrons qui m’ont dit exactement le contraire. J’étais avec ma famille. J’étais avec moi-même.

Quand on a d’aussi grands souliers à chausser, aussi bien y inviter tous les gens significatifs qui croisent nos vies.

Malgré un mal de dos, Bruno Savard a été en mesure de rallier l'arrivée du Championnat du monde Ironman 2023, à Nice, en France.

Malgré un mal de dos, Bruno Savard a été en mesure de rallier l'arrivée du Championnat du monde Ironman 2023, à Nice, en France.

Photo : FinisherPix

Championnat du monde Ironman 2023

Temps de course : 13 h 7 min 12 s

Temps de fierté : toute une vie

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