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Faillite des géants du tabac : les tribunaux pressés de privilégier les victimes du Québec

Les trois compagnies canadiennes ont obtenu la protection des tribunaux contre leurs créanciers en mars 2019.

Un vieil homme allume une cigarette

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac espère toujours que les négociations aboutiront à des politiques publiques très strictes contre l'usage du tabac au pays, mais elle perd patience. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Benoit Jobin

Après 4 ans et demi de négociations entre les géants canadiens du tabac et leurs créanciers, l'exaspération atteint son comble dans le milieu de la santé. Les trois fabricants comptent solliciter auprès d'un tribunal ontarien un autre sursis pour achever leur restructuration financière. Pour la première fois, des documents allèguent que les parties sont très loin d'une entente, contrairement à ce que l'on pensait.

JTI-Macdonald, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada demanderont le 27 septembre à la Cour supérieure de l'Ontario de prolonger de six mois l'échéance pour accoucher d'une entente. Le délai actuel expirera deux jours plus tard.

Personne ne compte s'y opposer, selon ce que Radio-Canada a appris. L'optimisme n'est toutefois plus de rigueur et les dernières requêtes judiciaires montrent que les négociations se sont enlisées depuis juillet.

Des paquets de cigarettes.

C'est la société Imperial Tobacco qui a cette fois soumis une requête pour obtenir un nouveau sursis de six mois jusqu'au 29 mars 2024. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Les trois entreprises se sont mises à l'abri de la Loi fédérale sur les arrangements avec les créanciers après avoir perdu contre un recours collectif de 100 000 Québécois atteints d'une dépendance à la nicotine ou d'une maladie du tabac.

La Cour d'appel du Québec avait confirmé le jugement d'un tribunal inférieur qui avait ordonné aux trois compagnies de débourser près de 15 milliards de dollars en dommages-intérêts aux fumeurs de cette province.

Après la défaite des trois compagnies au Québec, un juge ontarien leur avait accordé la protection des tribunaux.

Des mégots de cigarette.

Les compagnies de tabac continuent toujours à vendre leurs produits depuis qu'elles tentent d'éviter la faillite.

Photo : Radio-Canada / CBC / Robert Short

Le juge avait suspendu le jugement de la Cour d'appel du Québec et, dans le même temps, toutes les poursuites judiciaires que les provinces ont entamées contre les cigarettiers pour récupérer l'argent qu'elles ont investi durant des années dans les soins aux malades du tabagisme.

Impasse et incertitude

Dans une déclaration sous serment envoyée à la cour, l'avocat qui représente les victimes québécoises, Philippe Trudel, affirme sans hésitation qu'un règlement global n'est pas en vue à la lumière des développements qui sont survenus ces six derniers mois.

Certaines parties ont fait volte-face et renié des engagements initiaux qui avaient déjà été négociés et elles ont failli à agir de façon appropriée.

Une citation de Philippe Trudel, avocat du recours collectif au Québec

L'avocat rappelle que ses clients attendent depuis 25 ans d'obtenir justice. Ils auraient dû déjà être indemnisés en vertu de l'ordonnance de la Cour d'appel du Québec, écrit-il, tout en se gardant de nommer les créanciers qu'il montre du doigt.

Un homme qui fume une cigarette.

La cigarette est la principale cause du cancer du poumon, selon la Société canadienne du cancer.

Photo : Getty Images / Yasser Al-Zayyat

L'avocat souligne par ailleurs que près de 700 clients inscrits dans son recours ont succombé depuis 2019 à la maladie dont ils étaient atteints.

D'autres sont frêles, alors que d'autres ont même choisi l'aide médicale à mourir, parce qu'ils ne peuvent plus attendre, poursuit-il.

Avant de prendre sa retraite, le 1er juillet, le juge McEwen, de la Cour supérieure de l'Ontario, avait senti dans ses derniers échanges avec les avocats que les discussions semblaient être dans une impasse.

Des cigarettes empilées.

Il s'agira de la 11e demande de sursis de JTI-Macdonald Corp, Rothmans, Benson & Hedges et Imperial Tobacco Canada Ltd.

Photo : Reuters / Michaela Rehle

Dans sa requête, Imperial Tobacco explique que le processus est complexe, que le groupe de demandeurs est vaste, diversifié et composé de 17 entités et que les réclamations en cause sont énormes.

L'entreprise précise que ce processus de restructuration est historique et qu'il ne faut pas le comparer à d'autres cas dans les annales des faillites au Canada.

Impatience et agacement

Trois organisations qui œuvrent dans le domaine de la santé se disent toutefois exaspérées.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, les Médecins pour un Canada sans fumée et Action on Smoking & Health (ASH) demandent au juge qui encadre le processus judiciaire d'intervenir.

Elles soutiennent que les victimes du tabagisme ne devraient pas être prises en otages par les provinces dans ce long processus de restructuration dont on ne voit plus la fin.

Un homme brise une cigarette en deux

Le groupe ASH Canada (Action on Smoking & Health) dénonce le manque d'imputabilité et de leadership des provinces dans ce dossier. (Photo d'archives)

Photo : iStock

La Coalition pense que le juge devrait donner des consignes claires selon lesquelles les négociations doivent maintenant être segmentées par groupe de créanciers et que la priorité soit d'abord accordée à l'indemnisation des victimes du Québec.

On apprend dans la déclaration de Me Trudel que des créanciers ne font pas preuve de bonne foi, qu'elles ne négocient pas avec un sens d'urgence, contrairement à ce que le juge McEwen leur avait demandé il y a six mois, explique la co-directrice de la Coalition, Flory Doucas.

C'est non seulement d'une immense tristesse mais c'est déplorable, parce que les gouvernements devraient aussi avoir à cœur les intérêts des victimes du Québec, mais aussi des fumeurs de l'avenir.

Une citation de Flory Doucas, co-directrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

Mme Doucas affirme que les victimes ont perdu toute confiance dans le processus judiciaire et qu'on ne peut pas les blâmer.

C'est la responsabilité des provinces de protéger les malades et de s'assurer que justice soit rendue, c'est en ce sens que l'intérêt public est très mal servi, poursuit-elle.

Une main tient un mégot de cigarette allumée.

Le groupe Médecins pour un Canada sans fumée rappelle que le tabagisme tue 46 000 Canadiens par année.

Photo : shutterstock / sruilk / sruilk

Mme Doucas pense d'ailleurs que Me Trudel visait davantage les provinces que les compagnies de tabac dans sa récente déclaration à la cour.

Elle estime de toute façon que le montant actuel qui est sur la table n'est que de 9 milliards de dollars à partager entre tous les créanciers.

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Ce n'est donc même pas assez pour compenser toutes les victimes québécoises à qui la Cour d'appel a promis 15 milliards de dollars, rappelle-t-elle.

Elle ajoute qu'il est possible de dédommager les victimes du Québec sans entraver les efforts des provinces de récupérer leur dû et d'imposer à l'industrie du tabac des réformes strictes en matière de santé publique.

Manque de transparence

Les trois associations demandent par ailleurs aux provinces et aux territoires d'exercer des pressions sur les trois géants de tabac pour les rendre plus responsables et plus transparentes, parce que les négociations se déroulent à huis clos.

Après 54 mois de négociations à huis clos, il n’y a aucune lumière au bout du tunnel ni aucune indication sur ce qui se passe derrière portes closes, explique dans un communiqué Cynthia Callard, la directrice des Médecins pour un Canada sans fumée.

Un homme s'allume une cigarette avec un briquet.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac dit qu'il est temps de privilégier une solution de rechange à l'entente globale que les fabricants de tabac tentent d'arracher à leurs créanciers.

Photo : Reuters / Regis Duvignau

ASH Canada ne mâche pas ses mots non plus. Tout comme les cigarettiers devraient être tenus responsables des torts qu’ils ont causés, les provinces devraient être tenues responsables d’avoir permis que de tels préjudices se poursuivent à travers ce processus de résolution, écrit le directeur général de l'organisme, Les Hagen.

M. Hagen ajoute que le moment ne pouvait pas être mieux choisi pour éliminer progressivement le commerce du tabac au pays. Les provinces ont l'avantage, tandis que les géants du tabac sont au pied du mur, écrit-il.

Le départ à la retraite du juge McEwen ne devrait pas être, en outre, une raison pour proroger les délais, selon Mme Doucas de la Coalition (un nouveau juge a été nommé pour prendre sa place, NDLR).

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