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AnalyseQuelle ambition pour protéger le climat?

Image de la grande salle lors de l'allocution du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, lors de la session d'ouverture du deuxième sommet sur les Objectifs de développement durable (ODD), le 18 septembre 2023.

« L'effondrement climatique a commencé », a dit Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies.

Photo : afp via getty images / TIMOTHY A. CLARY

Après un été infernal, rythmé par des événements climatiques extrêmes, le secrétaire général de l’ONU organise mercredi un sommet spécial pour pousser les dirigeants de la planète à être plus ambitieux dans la lutte contre les changements climatiques.

L'effondrement climatique a commencé, a déclaré Antonio Guterres, en réaction à l'annonce du record mondial de températures pendant l'été dans l'hémisphère nord par l'observatoire européen Copernicus.

Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies.

Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s'exprime lors de la session d'ouverture du deuxième sommet sur les Objectifs de développement durable (ODD), le 18 septembre 2023.

Photo : Getty Images / TIMOTHY A. CLARY

Quand il a annoncé, en décembre 2022, son intention de convoquer les leaders du monde entier à un Sommet sur l’ambition climatique, il ne pouvait se douter que 2023 allait passer à l’histoire comme une année de catastrophes climatiques et de drames humains.

Les images spectaculaires des feux de forêt historiques, des ardentes canicules qui ont sévi sur à peu près tous les continents ou des inondations meurtrières seront la toile de fond de cette rencontre de haut niveau.

Et s’il est fidèle à lui-même, M. Guterres ne se privera certainement pas de se servir de ce contexte spectaculaire pour rappeler aux décideurs politiques que leur inaction a des effets catastrophiques sur les habitants de la planète.

Est-ce que les catastrophes vécues à répétition cette année seront suffisantes pour les convaincre de bonifier leurs actions climatiques et d’annoncer une sortie progressive des énergies fossiles?

Il est un peu difficile d’être très optimiste à ce sujet.

Un pompier passe près d'une maison détruite par le feu.

Des dizaines de millions de personnes sont déracinées par des catastrophes naturelles en raison de l'impact des changements climatiques. (Photo d'archives)

Photo : Associated Press / Noah Berger

Réduire l’écart entre ce qu’il faut faire et ce qui est fait

Le but premier de ce sommet est de mettre de la pression sur les responsables politiques pour qu'ils intensifient leur action climatique.

Car l’écart entre ce que prescrit la science pour stabiliser le climat et ce qui est fait par les gouvernements est trop grand.

Pour convaincre ces derniers de prendre le virage nécessaire, Antonio Guterres a en main un outil très important : le fameux Bilan mondial de l’action climatique, publié il y a 10 jours par l’organe climatique des Nations unies. L’Accord de Paris prévoyait qu’on fasse un grand compte rendu de l’efficacité des mesures adoptées par les pays pour protéger le climat depuis la signature de l’entente en 2015.

Imaginez un grand bulletin scolaire climatique pour les 195 pays signataires.

L'ONU donne un gros coup de semonce : selon ce bilan, les émissions mondiales sont loin d'être conformes aux trajectoires de réduction des émissions nécessaires pour limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à 1,5 °C, ce qui est la cible fixée dans le préambule de l’Accord de Paris.

Pour ne pas dépasser ce seuil, disent les experts du GIEC dans leur plus récent rapport, il faut réduire les émissions de 42 % d'ici 2030.

Or, le Bilan mondial nous apprend qu’avec les engagements des différents pays sur la table, nous nous dirigeons plutôt vers une réduction de 0,3 %.

Un écart, vous dites?

On comprend Antonio Guterres de vouloir brasser la cage.

La difficile sortie des énergies fossiles

Puits de pétrole.

Puits de pétrole en Alberta. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Larry MacDougal

Le dernier Sommet du G20 en Inde, qui rassemblait récemment 20 pays produisant environ 80 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), nous a offert un autre portrait assez clair de l’écart qui existe entre ce que prescrit la science pour limiter les effets des bouleversements du climat et la fermeté des États pour régler le problème.

Même s’ils n’étaient que 20, les pays n’ont pas réussi à s’entendre sur un aspect fondamental de la lutte contre les changements climatiques : s’engager formellement, dans la déclaration finale du G20, à sortir progressivement des énergies fossiles.

Car pour stabiliser le climat, il n'y a pas mille trajectoires possibles, disent les experts du GIEC dans leur dernier rapport : il faut réduire substantiellement l’utilisation des combustibles fossiles.

La tendance est pourtant inverse : l'Agence internationale de l'énergie nous apprenait récemment que la consommation de charbon a augmenté de plus de 3 % en 2022, et la tendance devrait se poursuivre en 2023 et 2024.

À ces données s'ajoute un rapport publié la semaine dernière par l'organisme Oil Change International, qui nous apprend que le Canada pourrait devenir le deuxième pays en importance en matière de hausse de la production de pétrole et de gaz d’ici 2050. Il serait devancé par les États-Unis, mais précéderait la Russie, la Norvège et l’Arabie saoudite.

La difficulté pour certains pays de se défaire des combustibles fossiles est un obstacle majeur pour convaincre les États de rehausser leur ambition climatique.

Ces tensions vont fort probablement ressortir au sommet de mercredi.

Promesses en l’air interdites

Le premier ministre du Cap-Vert, Ulisses Correia e Silva.

Le premier ministre du Cap-Vert, Ulisses Correia e Silva, s'adresse aux Nations unies sur le développement durable, le lundi 18 septembre 2023.

Photo : Associated Press / Richard Drew

Les pays qui ont réclamé la parole à la tribune des Nations unies durant le sommet n’auront pas le choix d’annoncer des nouvelles fraîches.

C’est une condition imposée par le secrétaire général : les États qui sont invités à s’exprimer à ce forum devront annoncer soit des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre améliorées, soit un calendrier de sortie des énergies fossiles clair, soit de nouvelles sommes pour contribuer à l’action climatique dans les pays en développement.

Les annonces recyclées ou les déclarations de bonnes intentions, sans promesses fermes, ne seront pas tolérées.

Antonio Guterres est soucieux de l’image que nourrissent ces grandes rencontres internationales auprès du grand public : ces sommets où les dirigeants venus de l’autre bout du monde en avion se relaient à la tribune pour dire à quel point ils sont soucieux de l’état du climat, sans annoncer de nouvelles actions concrètes.

Très préoccupé par le cynisme grandissant des citoyens à l’égard des négociations internationales sur le climat, le secrétaire général de l’ONU a clairement annoncé qu’il n’y aura aucune place à ce sommet pour du greenwashing, ou de l’écoblanchiment, de la part des décideurs politiques ou du secteur privé.

Combattre ce cynisme

Sultan Ahmed al-Jaber.

Sultan Ahmed al-Jaber, président désigné de la conférence sur le climat COP28 de la CCNUCC et PDG de l'Abu Dhabi National Oil Company, s'exprime lors d'un événement parallèle à la conférence de Bonn sur le changement climatique SB58 de la CCNUCC, le 8 juin dernier.

Photo : Getty Images / Sascha Schuermann

C’est un chantier qui dépasse malheureusement le seul pouvoir et la seule volonté d’Antonio Guterres.

Le cynisme des citoyens à l’égard de l’efficacité et de la pertinence des discussions internationales sur le climat est bien réel.

Le fait, par exemple, que la prochaine conférence de l’ONU sur le climat, la COP28, se tienne en décembre prochain aux Émirats arabes unis, un pays pétrolier, a grandement contribué au phénomène au cours des derniers mois.

Et plus encore… Le fait que la conférence soit présidée par Sultan al-Jaber a mis de l’huile sur le feu : ministre de l’Industrie et de la Technologie de son pays, il dirige le groupe Abu Dhabi National Oil Company, la grande compagnie pétrolière nationale des Émirats.

Difficile de ne pas être cynique devant le fait qu’en 2023, à l’ère de l’urgence climatique, une conférence des Nations unies sur le climat soit dirigée par un producteur de pétrole.

À cela s'ajoute le fait que des pays qui disent mettre au sommet de leur priorité la lutte contre les changements climatiques continuent d’approuver des projets d’énergies fossiles. On pense entre autres à des pays comme le Canada, la Norvège, le Japon ou l’Allemagne.

Dans ce contexte, de nombreux citoyens en ont assez de se faire dire qu’ils doivent modifier leur mode de vie, alors que les gouvernements semblent agir dans le sens contraire, malgré les belles paroles.

Quand Antonio Guterres demande aux dirigeants de ne pas faire des promesses en l’air au Sommet sur l’ambition climatique, il a certainement en tête de préserver la confiance des citoyens à l’égard de l’action climatique publique.

Réformer en profondeur le système financier international

Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire: «Il est temps d'avoir un traité de non-prolifération des énergies fossiles».

Un manifestant tient une pancarte sur laquelle on peut lire : « Il est temps d'avoir un traité de non-prolifération des énergies fossiles » lors d'une manifestation contre les énergies fossiles et pour le climat, place de la République à Paris, en marge du sommet du nouveau pacte financier mondial, le 23 juin 2023.

Photo : Getty Images / THOMAS SAMSON

L'un des enjeux majeurs du sommet sera très certainement la réforme de la finance internationale.

L’architecture de l’aide financière internationale telle qu’on la connaît aujourd’hui, avec en tête d’affiche la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), a été conçue à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, par les accords de Bretton Woods (1944). Ce système s’est mal adapté à la nouvelle réalité climatique.

Fragilisés par des catastrophes climatiques à répétition, les pays vulnérables n’arrivent plus à sortir la tête de l’eau. La spirale de l’endettement s’emballe à mesure que les infrastructures sont détruites et que les niveaux de pauvreté et d’insécurité alimentaire augmentent.

Pour plusieurs de ces pays, les modalités de l’aide internationale ne répondent tout simplement plus aux besoins.

C’est pour tenter de trouver des réponses à ce problème que plusieurs dirigeants, comme le président français, Emmanuel Macron, veulent lancer une réforme des canaux financiers entre le Nord et le Sud.

Les partisans d’une refonte du système financier mondial proposent plusieurs solutions pour le moderniser, comme cette idée d’alléger la dette des pays en incluant des clauses dans les contrats de prêts bilatéraux qui prévoient une suspension des remboursements en cas de catastrophe climatique. Le Royaume-Uni a déjà intégré cette mesure, mais la résistance des pays industrialisés au changement reste forte.

Manifestation pour le climat à New York.

Une personne portant un masque lors d'une marche qui donnait le coup d'envoi de la Semaine du climat à New York.

Photo : Reuters / EDUARDO MUNOZ

On le comprend, ce sommet climatique d’une journée ne réglera pas le sort du monde. Toutefois, le fait que les dirigeants de la planète aient été invités à prendre la parole seulement s’ils sont là pour annoncer des actions concrètes, et non que des beaux mots et du vent, est déjà un pas vers l’avant.

Antonio Guterres joue d’astuce et exploite l’un des aspects les plus puissants de l’Accord de Paris : la pression morale.

L’accord n’est pas contraignant et aucune règle n’oblige les pays à honorer leurs promesses, mais l’entente est ainsi conçue qu’elle oblige les pays à dévoiler les détails de leurs politiques climatiques et leur objectif de réduction.

Cette mesure oblige les pays à se comparer à leurs voisins et les incite à faire mieux. Sans être contraignant, et sans que les mesures prises par les pays soient suffisantes pour stabiliser le climat, l’Accord de Paris pousse malgré tout l’ambition climatique vers le haut.

Le regard des autres et le désir de faire mieux que le voisin peuvent avoir des effets positifs sur le résultat.

C’est exactement la méthode employée par Antonio Guterres à ce sommet : il veut braquer les projecteurs sur les pays les plus ambitieux pour que les autres soient incités à en faire plus.

Ce pari en vaut la peine, malgré tout le travail qui reste à faire.

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