Patrimoine mondial de l’UNESCO : une nouvelle ère pour la communauté d’Anticosti

Après une décennie d’efforts soutenus, il est maintenant temps pour ceux qui ont élaboré le dossier de candidature de l'île de récolter les fruits de leur travail.
Photo : Radio-Canada
Site fossilifère de première importance, la plus grande île du Québec rejoint maintenant les rangs des biens naturels et culturels les plus précieux au monde.
Les membres du Comité du patrimoine mondial de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), réunis pour l’occasion en Arabie saoudite, en ont décidé ainsi mardi matin à la suite de quelques jours de délibération.
La préfète de la MRC de Minganie, Meggie Richard, était sur place pour recevoir la bonne nouvelle. Dans son allocution, elle a promis que tous les citoyens de la Côte-Nord deviendraient les gardiens de ce patrimoine.

« Notre île et sa communauté basculent aujourd’hui dans une nouvelle ère. » Meggie Richard, préfète de la MRC de Manicouagan, lors de son allocution devant les membres du comité du Patrimoine mondial.
Photo : Radio-Canada / Luc Tremblay
Cette reconnaissance s'accompagne de responsabilités en matière de protection et de mise en valeur, et nous voyons dans ces nouvelles missions une opportunité unique d'un développement responsable de cet immense territoire, et ce, pour les générations à venir
, a-t-elle décrété.
L'île d’Anticosti fait donc maintenant partie d’un éventail de près de 1200 sites patrimoniaux éparpillés à travers le monde. Il est le 22e lieu canadien à être inscrit sur la liste.
Sa consécration a été facilitée par la recommandation récente du conseiller officiel du Comité du patrimoine mondial de l'UNESCO. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, l'île fait partie d'un groupe de sept sites qui méritaient d'être inscrits à la liste de biens culturels et naturels qui présentent un intérêt exceptionnel
pour l’héritage commun de l'humanité.

Avec ses 440 millions d’années d’histoire, ses immenses falaises et ses canyons spectaculaires, l'île d'Anticosti est aussi reconnue pour ses écosystèmes côtiers exceptionnels et ses forêts d’algues. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
Après une décennie d’efforts soutenus, il est maintenant temps pour ceux qui ont élaboré le dossier de candidature de récolter les fruits de leur travail.
John Pineault, qui était maire à l’époque, est l’une de ces personnes qui se sont démenées pour le dossier de candidature.
C’était un long processus qu’on ne fait qu'une seule fois dans sa vie. Je suis fébrile parce que je vois les étapes à travers lesquelles on est passés pour y arriver. On est un petit bled d’à peine 200 personnes, et on est arrivés à monter ce dossier-là
, dit-il.
Aujourd’hui, il ne cache pas sa fierté pour son île : C’est un énorme honneur, pour les Anticostiens, que notre chez-nous soit désigné comme Patrimoine mondial. Le lieu a une valeur universelle et mérite d’être protégé.
Ce n’est pas la fin d’un processus, c'est le début. Oui, on a réussi à convaincre les Nations unies que notre coin de terre est vraiment exceptionnel, mais maintenant le travail commence. Il faut ouvrir l'île au monde en respectant les valeurs des gens d’ici.
En 2013, les acteurs locaux montaient aux barricades pour empêcher l’exploitation potentielle des réserves de pétrole d'Anticosti.
En 2017, devant la grogne populaire et anticipant une éventuelle candidature au Patrimoine mondial, Québec met officiellement fin à toute possibilité de travaux de recherche et d'exploitation d'hydrocarbures sur l'île.
Les astres semblaient s’aligner pour une candidature en 2021, mais un changement de cap du gouvernement fédéral a plutôt mené à la soumission du dossier du site yukonais de Tr’ondëk Klondike cette année-là. Un choix qui aura finalement été payant, puisque ce site qui témoigne de la cohabitation entre Autochtones et allochtones durant la période de la ruée vers l’or vient lui aussi d’être admis au sein du Patrimoine mondial.
Il a fallu attendre février 2022 pour que se concrétise le dépôt de la candidature d’Anticosti.
Un coffre à trésors géologiques
C’est sur sa particularité géologique unique que repose la valeur patrimoniale de l’île. Sa croûte terrestre témoigne de la première extinction massive des espèces.
Le géologue sédimentaire de l'Université d'Ottawa André Desrochers a réagi dans un communiqué envoyé aux médias.
Celui qui a fait partie du comité de candidature de l'île à titre de directeur scientifique croit que la nouvelle est prometteuse pour la communauté scientifique.
La décision de l’UNESCO a pour effet de stimuler la recherche scientifique de classe mondiale sur Anticosti, qui est un extraordinaire laboratoire
.

La géologie de l'île offre un aperçu exceptionnel de la première extinction massive sur terre, il y a des centaines de millions d'années. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
Des chercheurs de plusieurs grandes universités dans le monde concluent qu'un refroidissement climatique brutal
qui s’est produit il y a environ 445 millions d'années a probablement été responsable de l'extinction de 85 % des espèces marines.
À leurs yeux, l’île constitue le site fossilifère le mieux conservé de cette période à l’échelle planétaire.
La poussière retombera
Maintenant que le rêve est devenu réalité, les acteurs locaux anticipent des retombées qui pourraient changer à jamais la vie insulaire des résidents de Port-Menier.
La Municipalité envisage avec optimisme les effets touristiques de cette reconnaissance internationale, mais s'inquiète du manque d'infrastructures pour loger les visiteurs.
Nous avons besoin d’une meilleure desserte en transport et d’une nouvelle offre d’hébergement, mais aussi d’autres infrastructures et services de base
, explique la mairesse de L’Île-d’Anticosti, Hélène Boulanger. On veut partager notre joyau. J'espère que les paliers du gouvernement vont continuer à s'investir, que ça va permettre un développement économique. Le gros travail s'en vient.
La capacité d'hébergement sur l'île est déjà saturée. De surcroît, la nature insulaire de la municipalité de L'Île-d'Anticosti augmente les coûts de construction d'environ 30 % et ralentit les travaux à venir.
À lire aussi :
La mairesse Hélène Boulanger insiste sur l’importance de mettre en branle le plus rapidement possible des projets de construction. Or, le temps passe et les touristes, de plus en plus nombreux, ne tarderont pas à visiter l'île.
À qui incombe la protection du site?
Étant membre des Nations unies à l’époque, le Canada s’engageait à respecter la Convention du patrimoine mondial lors de la signature officielle du traité en 1972.
Aujourd’hui, 166 États sont signataires d’une convention qui définit les notions de protection de la nature et de préservation des biens culturels.
Au final, il revient au Canada de veiller à la conservation et à la gestion des biens canadiens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
L’UNESCO insiste toutefois : Anticosti appartient désormais à l’Humanité
. Des organismes internationaux indépendants effectueront un suivi du site pour faire état de sa gestion et de sa protection.
Des élus se réjouissent
Les élus reconnaissent eux aussi le caractère exceptionnel de l’île d’Anticosti. Tous parlent d’un moment historique dont il faut être fier. Ils ont réagi dans un communiqué de presse.
Anticosti est un véritable joyau du Québec, du Canada, et du monde entier. Cette île extraordinaire nous dévoile des secrets au sujet de notre passé et de l’impact que le changement climatique a eu sur la Terre il y a des millions d’années
Steven Guilbeault, ministre fédéral de l'Environnement et du Changement climatique, a participé à la campagne d’Anticosti avant d’entrer en politique.
Merci et félicitations à tous ceux et celles qui ont participé à l’inscription d’Anticosti sur la Liste du patrimoine mondial! Je sais combien de temps et de travail ont été consacrés à cette inscription.
Les chefs des communautés innues d'Ekuanitshit et de Nutashkuan s’en réjouissent eux aussi, et souhaitent que la collaboration entre les différentes communautés innues, gouvernementales et scientifiques continue.
Faisant partie de notre Nitassinan, l’île d’Anticosti est d’une grande importance pour nos valeurs spirituelles, notre identité et notre culture. Quand je l'ai appris, j’avais des frissons. Je suis très très heureux parce que j’étais là du début à la fin. L’avenir s’annonce bien, mais on a beaucoup de portage à franchir.
Dans la MRC de la Minganie, la préfète Meggie Richard et la mairesse de la municipalité de L’Île-d’Anticosti, Hélène Boulanger, s’entendent pour dire que cette journée marque le début d’une grande aventure.
Nous sommes fiers d’accéder au Patrimoine mondial de l’UNESCO
, affirme Hélène Boulanger. Cette reconnaissance exceptionnelle est l’occasion d’investir durablement dans des projets pour les citoyens d’Anticosti et pour l’avenir de la communauté. C’est le moment de passer à l’action pour accueillir honorablement des visiteurs du monde entier.
Avec la collaboration de Renaud Chicoine-Mckenzie