Itinérance chez les jeunes : « Les sacs poubelles étaient à la porte »
Selon le dernier rapport du dénombrement des personnes en situation d’itinérance au Québec, près du tiers des personnes sondées ont, par le passé, été placées par la DPJ.

Près du tiers des personnes en situation d'itinérance ont, par le passé, été placées par la DPJ.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Intervenants et experts appellent le gouvernement à investir davantage dans l'aménagement de logements adaptés pour éviter que les jeunes pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ne tombent dans l’itinérance ou dans la criminalité à la sortie de leur centre jeunesse ou de leur maison d’accueil à l’âge adulte.
À ses 18 ans, Geneviève Caron a été expulsée de sa famille d’accueil. La journée de ma fête, le 6 avril 2012, ils m'ont dit : "Bonne fête, Geneviève." Les sacs poubelles étaient proches de la porte.
Elle a passé six ans dans la rue avant de finalement trouver un appartement à Longueuil, à l'âge de 24 ans.
Je dormais sur les bancs de parc, l'hiver, l'été. J'allais manger aux ressources communautaires.
Elle essayait de se sortir de la misère, de s'aider elle-même, mais parfois, il y avait trop d'achalandage dans les hébergements, donc je ne pouvais pas dormir
, raconte-t-elle.

Geneviève Caron a été expulsée de sa famille d'accueil quand elle a eu 18 ans.
Photo : Radio-Canada
La crise de l’itinérance que connaît le Québec l’ébranle au plus haut point. Récemment, la jeune femme de 29 ans dit avoir sauvé la vie d'un jeune sans-abri.
Il était dans le métro, étendu. J'ai essayé de le réveiller, de le bousculer. Puis là, c'était un peu trop heavy. J'ai mis mes gants et je lui ai donné la naloxone, puis j'ai appelé le 911.
Un de ses frères de rue, Yami Morin, 26 ans, a quant à lui vécu près de la moitié de sa vie en situation d’itinérance. Sa première fugue d'un centre jeunesse remonte à ses 12 ans.
J'ai fait 17 centres jeunesse en cinq ans de placement, donc c'est beaucoup de voyagement. Tu es beaucoup dans tes sacs. Pour moi, ce n'est pas stable. Ce n'est pas un bon environnement pour le développement d'un jeune
, explique-t-il. Sa consommation de drogues dures a commencé dès l’âge de neuf ans. Pour éviter de rentrer en sevrage, j’allais dormir dans une tente
, dit-il.
La marche est très haute
Selon le dernier rapport du dénombrement des personnes en situation d’itinérance au Québec, près du tiers des personnes sondées ont, par le passé, été placées par la DPJ.
La directrice du Collectif Ex-placé DPJ, Jessica Côté-Guimond, aimerait qu’on accompagne davantage ces jeunes jusqu’à l’âge de 25 ans, tel que promis par le ministre des Services sociaux, Lionel Carmant, à la suite de la commission Laurent.

Jessica Côté-Guimond, directrice du Collectif Ex-placé DPJ
Photo : Radio-Canada
Souvent, la marche est très haute aussi quand on se retrouve en centre jeunesse, où c'est très très cadré. Tout est décidé pour nous, donc on arrive à 18 ans, on est laissés à nous-mêmes. Et puis, on manque de ressources. On manque d'information surtout
, souligne Jessica Côté-Guimond.
Professeur titulaire à l'École nationale d'administration publique (ÉNAP), Martin Goyette aimerait que le gouvernement du Québec mette en œuvre une politique nationale du logement pour mieux répondre aux besoins de cette clientèle vulnérable.
C’est clair que [la solution du problème de] l’itinérance jeunesse doit passer par une réflexion plus large sur l'accessibilité des ressources d’hébergement et des logements pour les jeunes
, précise M. Goyette.
L'hébergement communautaire, la solution?
Aux Habitations L’Escalier à Montréal, qui fait partie du Regroupement des auberges du cœur du Québec, on offre des appartements en colocation à 300 $ par mois à une clientèle âgée de 18 à 30 ans. Les résidents ont aussi droit à de l’aide psychosociale s’ils le souhaitent. Ils restent en moyenne 104 jours.

Marianne Forgues, directrice générale des Habitations L'Escalier à Montréal
Photo : Radio-Canada
Selon la directrice générale Marianne Forgues, les besoins pour ce type d’hébergement temporaire explosent, surtout depuis la pandémie : On doit refuser une quinzaine de personnes par jour.
D’après son expérience, les 20 millions de dollars consacrés aux refuges d’hiver, comme annoncé par le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, ne suffisent pas, ce qu’a également reconnu le ministre vendredi.
Même si on injecte de l'argent pour créer des logements sociaux, il faut s'assurer [...] que le loyer soit raisonnable, puis aussi qu'il y ait un suivi psychosocial, parce que ce n'est pas vrai qu'on va sortir quelqu'un de la rue, qu'on va le mettre dans un logement et que le problème va être réglé là
, souligne Marianne Forgues.