AnalyseCoût de la vie : il faut un vrai chantier antipauvreté

Si l’inflation vous inquiète, vous n’êtes pas le seul ou la seule.
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À Ottawa comme à Québec, la rhétorique de l’opposition au sujet de l’inflation donne l’impression que les gouvernements Trudeau et Legault sont responsables de la hausse du coût de la vie. Ce raccourci, qui est loin d’être le seul dans le discours politique actuel, mérite d’être recadré à partir des faits et des données disponibles.
D’abord, l’inflation qui souffle depuis deux ans sur le monde a trois grandes origines. Ainsi, la pandémie a provoqué un incroyable déséquilibre entre l'offre, qui a chuté, et la demande, qui est restée forte et qui s’est transformée temporairement. Ensuite, la guerre en Ukraine, pays névralgique dans la production de céréales, a entraîné une forte hausse des prix alimentaires et des coûts énergétiques, alors que la Russie a réduit ses exportations de gaz vers l’Europe.
Et puis, à n’en pas douter, les centaines de milliards de dollars injectés durant la pandémie par les gouvernements occidentaux, en Europe, aux États-Unis et au Canada notamment, ont eu un impact indéniable sur la hausse du coût de la vie.
Il faut ajouter que les banques centrales ont réagi en retard à la croissance de l’inflation, ce qui est venu amplifier le problème, surtout avec la guerre déclenchée en février 2022 par la Russie en Ukraine, entraînant ensuite une réaction féroce des banques centrales sur la hausse des taux d’intérêt. On est passés de 0 à 5 % en moins d’un an et demi.
Alors, les économistes s’entendent pour dire que la crise inflationniste est d'abord un problème d'offre internationale. Les banques centrales ne peuvent pas faire grand-chose contre un choc d’offre, mais elles peuvent intervenir pour ralentir la demande. C’est ce qu’elles ont fait, avec un succès réel puisque l’inflation a chuté, bien qu’elle demeure encore trop élevée. La Réserve fédérale pourrait encore hausser son taux. Au Canada, c’est beaucoup moins certain alors que l’économie est peut-être déjà entrée en récession.
Et justement, casser l’inflation se fait au prix d’un ralentissement de l’économie, voire d’une récession, d’une hausse du chômage et d’une exaspération généralisée face au coût de la vie qui monte. C’est la réalité. Comme le disait Stéfane Marion, l’économiste en chef de la Banque Nationale, à Zone économie, il y a un cancer qui se nomme "inflation" et la chimiothérapie pour guérir le patient, c’est la hausse des taux
. Il n’y a rien d’agréable dans tout ça. L’image frappe fort.
Des solutions réelles qui n’alimentent pas l’inflation
Alors, que peuvent faire les gouvernements? Aider les personnes les plus démunies, d’abord et avant tout, et peut-être uniquement. M. Legault se dit ouvert à une aide ciblée qui pourrait être annoncée dans la mise à jour économique et financière du ministre Girard en novembre. C’est probablement la seule bonne chose à faire.
On peut aussi réfléchir à limiter les hausses tarifaires, comme on a décidé de le faire pour les tarifs d’Hydro-Québec après avoir fait l’erreur d’arrimer les mouvements tarifaires de la société d’État à l’inflation. Sans une intervention du gouvernement pour plafonner la hausse à 3 %, la croissance de 2022 aura frôlé les 7 %, un véritable choc tarifaire.
Et puis, surtout, il faut éviter, pour les gouvernements, d'alimenter l'inflation en donnant des chèques à la quasi-totalité de la population, comme le gouvernement Legault l’a fait en 2022. Après avoir dit que les chèques ne faisaient pas pression à la hausse sur l’inflation avant les élections de l’automne dernier, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a récemment revu son discours en affirmant qu’il ne devait pas contrecarrer le travail de la Banque du Canada. Le premier ministre a aussi dit qu’il fallait laisser la banque centrale faire son travail.
Autrement dit, alors que le travail de la Banque du Canada fonctionne pour faire baisser l’inflation, la meilleure chose que les gouvernements peuvent faire pour aider la population à faire face à la hausse du coût de la vie, c’est à peu près rien
. Ne nuisez pas, ne venez pas entraver le travail de la banque centrale, on arrive enfin à bon port.
Sortir des vieilles recettes
Maintenant, il faut tout de même, de façon fondamentale, aller beaucoup plus loin. Il faut le faire sur le logement d’abord, dont la crise actuelle conduit à une hausse de l’itinérance, comme on le rapportait mercredi soir. Il faut le faire aussi sur les conditions de vie générales des personnes les moins favorisées.
Sur le logement, selon la SCHL, il va manquer plus de 800 000 logements en 2030 au Québec pour s’assurer d’un marché dit abordable et près de 3,5 millions de logements dans l’ensemble du pays. Il faut donc construire. L’annonce du premier ministre Trudeau, jeudi, qui suspend la TPS pour toute construction de nouveaux immeubles destinés à la location, est un pas dans la bonne direction pour favoriser la construction et pour limiter les hausses de prix.
C’est une pièce du casse-tête. C’est un vaste plan de construction qui doit venir d’Ottawa et de Québec. Ce sont eux qui doivent donner des moyens d’action aux municipalités et des incitatifs au secteur privé. En retour, les villes doivent accélérer l’approbation des projets de construction et les entreprises doivent accepter de construire du logement social et abordable.
Aider les moins nantis, avec des mesures ciblées, c’est bien. Mais leur permettre de sortir de la pauvreté et de vivre décemment, ce serait franchement mieux. Et donc, si l’État est prêt à envisager des soutiens plus ciblés dans la mise à jour du ministre Girard, il doit réfléchir à des mesures structurelles, et pas seulement ponctuelles.
Comment sortir les enfants et leurs parents de la pauvreté, et de la faim dans bien des cas, comme l’exposait Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, en début de semaine? Et pourquoi ne pas envisager un salaire minimum qui sortirait vraiment les Québécois de la pauvreté? Le ministre du Travail, Jean Boulet, doit retourner à la table à dessin et remettre en question le ratio arbitraire choisi par l’État, qui est de fixer le salaire minimum à 50 % du salaire moyen. Est-ce bien suffisant pour permettre à tous les Québécois de mieux vivre?
Face à la hausse du coût de la vie, la plus forte progression de l’inflation en 40 ans, la montée spectaculaire des taux d’intérêt, l’explosion de l’itinérance et la crise du logement, les décideurs politiques doivent sortir de leurs vieilles recettes, de leurs justifications habituelles, et retourner toutes les pierres pour mettre en œuvre un vrai chantier antipauvreté.