Enfin de l’espoir pour l’orme d’Amérique

L'un des plus beaux ormes de Québec, situé au cimetière Saint-Matthew, sur la rue Saint-Jean
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Bien que la maladie hollandaise de l’orme continue ses ravages, il semble que l’arbre emblématique de la Ville de Québec ne soit pas près de disparaître du paysage. Après avoir dûment protégé ses plus beaux spécimens, la Ville pourrait même recommencer à planter des ormes d’Amérique produits au Québec, ce qu’elle n'avait plus fait depuis au moins 20 ans.
Aux yeux de nombreux amateurs, l’orme d’Amérique (Ulmus americana pour les intimes) est considéré comme l’un des plus beaux arbres indigènes du continent nord-américain. Certains en parlent aussi comme du plus élégant de tous les ormes, toutes essences confondues.

Un des ormes vedettes de la capitale, vu de la terrasse Pierre-Dugas-De Mons.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Cet arbre au tronc élancé, capable d’atteindre rapidement une taille impressionnante – entre 25 et 35 mètres – est reconnaissable de loin à ses branches déployées en forme de parasol. En plus d’être élégant et de croître vite, il peut aussi vivre longtemps, souvent plus d’un siècle, chaque nouvelle décennie le rendant plus spectaculaire encore.
En Amérique du Nord, presque toutes les grandes villes ont eu leur rue des Ormes, ou leur Elm Street. En plantant des ormes d’Amérique de chaque côté d’une rue, au bout de 50 ou 60 ans, leurs branches finissaient par se toucher, et la canopée devenait superbe. On appelait ça des "cathédrales vertes".

Un bel exemple de la canopée produite par des branches d'ormes se rejoignant en hauteur, appelée une "cathédrale verte".
Photo : Edmonton
Mais ça, c’était avant que la maladie hollandaise de l’orme ( MHO ) ne vienne tout chambarder.
Une épidémie aux proportions bibliques
Les premiers cas de MHO au pays ont été détectés à Contrecœur et à Saint-Ours au début des années 1940, en pleine Seconde Guerre mondiale. Selon Louis Bernier, professeur retraité à l’Université Laval, il est possible que la maladie soit arrivée d’Europe par le port de Sorel, alors que les échanges avec l’Angleterre étaient très actifs. À ce moment, elle sévissait en Europe depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et elle avait déjà fait son entrée aux États-Unis.

La maladie hollandaise à Saint-Ours, en 1944, photographiée par le premier pathologiste forestier du Québec, René Pomerleau.
Photo : BAnQ / René Pomerleau, 1944 / P22191
En quelques décennies, on calcule qu’elle aurait tué des dizaines de millions d’arbres en Amérique du Nord. Et on ne parle même pas de l’hécatombe survenue en Europe.
Quand elle frappe une population d’ormes non résistants, la maladie hollandaise est létale à 90 %. Elle ne laisse qu’un survivant sur 10. À l’échelle humaine, il n’existe aucune pandémie comparable. Même la grippe espagnole et la peste réunies n’ont pas été aussi meurtrières.

Détection d'ormes malades à Berthierville, en 1945
Photo : BAnQ / René Pomerleau / Fonds MCC / P26340
Causée par un champignon microscopique, elle se propage grâce à un insecte, le scolyte de l’orme, qui creuse des galeries sous l’écorce des arbres malades ou morts pour s’y reproduire, avant de viser la cime des ormes en bonne santé pour se nourrir.
Un adulte peut transporter à lui seul des centaines de milliers de spores. Les plus beaux arbres sont souvent les premiers touchés. Une fois que le champignon a commencé à se répandre à l’intérieur de l’arbre, il n’y a plus rien à faire.
Selon l’expert, l’épidémie a frappé en deux temps. Le champignon qui a sévi au début du 20e siècle a ensuite été détrôné par un deuxième pathogène, plus dévastateur encore. Cette seconde vague, qui aurait fait son arrivée autour des années 1960 au Québec, a contribué à terminer le travail déjà entamé.

Image tirée d'un dossier sur le sauvetage des ormes de Montréal, en 1985
Photo : BAnQ / Fonds La Presse / Jean-Yves Létourneau
Une lutte aussi longue qu’exemplaire
Depuis l’apparition de la maladie, Montréal a perdu presque tous ses ormes. Alors qu'elle en comptait des dizaines de milliers, elle n’a réussi qu'à en sauver quelques dizaines. Un drame qui s’est répété à l’échelle québécoise, alors que l’orme d’Amérique, autrefois si présent, a été presque effacé du paysage, en quelques décennies.
Mais il en a été tout autrement pour la ville de Québec. La MHO l’a atteinte un peu plus tard, au tournant des années 1970, ce qui lui a sans doute donné le temps de se préparer. Mais la Ville a surtout été plus efficace. Soucieuse de préserver son patrimoine arboricole, elle a rapidement mis en place des mesures pour éviter un désastre, et elle s’y est tenue par la suite, ce qui explique qu’elle soit citée en exemple aujourd’hui.

Abattage d'ormes malades au jardin Jeanne-D'Arc en 1984, sur les plaines d'Abraham
Photo : Archives Ville de Québec / Fonds Le Soleil / Raynald Lavoie / Tous droits réservés
Le seul moyen de lutter contre la maladie a d’abord été l’abattage préventif. Tout arbre touché était aussitôt éliminé de la circulation, pour limiter la propagation du scolyte responsable de la maladie. S’y sont ajoutées, au début des années 1980, la pulvérisation d'insecticides, puis l’utilisation d’un fongicide, l’Arbotect, capable de protéger les arbres du champignon.
Pendant un temps, Québec a lutté de concert avec plusieurs de ses voisines, Sillery, Sainte-Foy, Cap-Rouge, Vanier et l’Ancienne-Lorette, grâce à un programme mis sur pied avec l’aide du fédéral. Mais cette belle entente entre Québec et les villes des alentours n’a pas duré, comme c’était souvent le cas avant les fusions municipales.

Un des plus vieux ormes de Québec photographié sur Grande Allée en 1990, quand la Ville a choisi de faire de l'orme d'Amérique son emblème.
Photo : Archives Ville de Québec / Fonds Le Soleil / Jean Vallières
À partir de 1985, seule la Ville de Québec a continué de financer la protection de ses ormes, soutenue par une poignée de partenaires qui ne l’ont pas lâchée depuis, comme la Commission des champs de bataille nationaux (CCBN), Parcs Canada, l’Université Laval ou la Commission de la capitale nationale (CCN).

Un orme magnifique du domaine Cataraqui, sur les terrains de la Commission de la capitale nationale
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
De bonnes nouvelles à l’horizon
Maintenant, une première bonne nouvelle pour la Ville : après des décennies de lutte, les pertes semblent enfin stabilisées. Le traitement des ormes à l’Arbotect, qui s’avère efficace à 99 % sur les arbres traités, a repris en 2018, après une pause forcée qui durait depuis le début des années 1990. La compagnie qui fabriquait le fongicide avait apparemment cessé d’homologuer son produit au Canada.

L'orme considéré comme le doyen de la Ville, dans le cimetière Saint-Matthew.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Ces résultats, jumelés à un inventaire rigoureux des arbres malades pour procéder à leur abattage, sont encourageants, aux dires du conseiller en environnement Christian Bélanger.
D'année en année, on en perd, mais en éliminant les foyers d’infestation, le taux de mortalité demeure quand même assez bas, donc ça permet de maintenir une population qui est quand même importante encore aujourd’hui.

Une vue aérienne du jardin Jeanne-d'Arc permet de voir de jeunes ormes plantés pour remplacer les arbres abattus.
Photo : Wikipedia / Jean Gagnon
Le traitement au fongicide implique cependant des coûts importants. Pour être efficace, il doit être répété tous les trois ans, et pour protéger un individu, on doit aussi l’appliquer aux ormes environnants, puisque le pathogène peut migrer d’un individu à l’autre en passant par les racines. La Ville ne l’applique donc qu’à 400 de ses plus beaux ormes – et les plus en vue – sur les quelque 2700 qu’elle possède, représentant près de 15 % du total.

Les vieux ormes du jardin Jeanne-D'Arc remontent à la création du jardin, ce qui leur fait dans les 80 ans aujourd'hui.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
De son côté, la CCBN a mis la barre un peu plus haut.
L’objectif est de traiter 30 % des 700 ormes sur notre territoire, soit plus de 200 arbres. On traite les plus majestueux, et ceux qui sont sur l’espace gazonné. Notre politique est de traiter le plus d’ormes possible, même si c’est toujours à recommencer.
Mais si l’on veut maintenir la population d’ormes de Québec, il faut aussi en planter. Or, si vous cherchez à planter un petit orme d’Amérique aujourd’hui, vous ne trouverez chez les pépiniéristes que des essences produites ailleurs, dont l’orme Accolade, venu d’Asie, qui n’a pas été touché par la maladie, contrairement à notre arbre indigène.

On peut repérer de nombreux petits ormes d'Amérique hybrides à Québec, notamment le long de la promenade Samuel-De Champlain.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
La recherche a aussi permis, notamment aux États-Unis, de développer plusieurs hybrides résistants à la maladie hollandaise, auxquels ont eu recours la Ville et ses partenaires ces dernières années. Sauf que, de l’avis de certains, aucun ne se compare encore au fameux Ulmus Americana qui prospérait autrefois au Québec, ne serait-ce qu’en beauté.

Un orme d'Amérique du Vieux-Québec, près de l'église St-Andrew. La Ville évalue sa population d'ormes (municipaux et privés) à plus de 25 600 à l'heure actuelle.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Selon moi, ils n’ont pas réussi à avoir de spécimens qui ont un port aussi élancé et aussi évasé, ce qui fait qu’en quelque sorte, il est un peu irremplaçable sur le plan esthétique dans le paysage
, estime le conseiller en environnement Christian Bélanger.

L'un des plus vieux ormes de la Ville se trouve dans le cimetière Saint-Matthew, sur la rue Saint-Jean.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Mais tout ça pourrait bientôt changer. Maintenant qu’elle semble avoir mis à l’abri ses plus beaux ormes patrimoniaux, la Ville évalue la possibilité, pour la première fois depuis plusieurs décennies, de planter à nouveau sur son territoire des petits ormes d’Amérique produits au Québec.
On en est à planifier la production. C’est une commande spéciale, puisque les pépinières n’en produisent plus. Ça devra être une espèce résistante. Il faut aussi comprendre que ce ne sera pas une plantation de masse, et qu’il y aura beaucoup de suivi. Les détails restent à venir. Mais c’est quand même une bonne nouvelle
, indique Christian Bélanger.
Il faudra déterminer qui pourrait les produire, et de quelle façon on pourrait repartir tout ça. Pour un retour de la plantation dans nos rues et nos parcs, on se donne un horizon d’environ 5 ans, moins de 10 ans en tout cas. Tout ça reste à valider.

Deux ormes d'Amérique s'imposent en façade du siège social de l'Industrielle Alliance, sur Grande Allée. La compagnie est engagée dans la protection de l'arbre depuis les années 1980.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Des ormes résistants à la maladie
L’autre bonne nouvelle, et c’est sans doute celle qui réjouit le plus le professeur Bernier, c’est que l’on constate aujourd’hui que certains ormes d’Amérique affichent une résistance à la maladie, ce qui pourrait permettre à l’ensemble de leur population de se remettre tranquillement, après des décennies de lutte contre le pathogène.
Pour les pathologistes forestiers, 90 % de mortalité dans une population, ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Ça laisse 10 % d’individus capables de relancer la population, et c’est ce qui est en train de se produire chez les ormes d’Amérique du Nord.

Le professeur Louis Bernier, près d'un petit orme hybride planté près de chez lui, dans le quartier Saint-Sacrement.
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
Le professeur travaille d’ailleurs à une application qui pourrait permettre d’identifier les ormes québécois dont les gènes les rendent résistants à la maladie. Grâce à elle, n’importe quelle personne intéressée pourrait alors contribuer à l’inventaire. L’application permettrait d’identifier l’orme d’Amérique à coup sûr, avant de le géolocaliser. « On s'assurerait au passage que les ormes n'ont pas profité du fameux fongicide Arbotect», précise Bernier.

Un orme majestueux situé dans un quartier résidentiel situé près des Plaines, dans le quartier Montcalm
Photo : Radio-Canada / Catherine Lachaussée
La sélection génétique demeurant l’avenue la plus prometteuse à ce jour, puisqu’il n’existe toujours aucun moyen de guérir un arbre atteint, des équipes pourraient alors prélever des branches de ces arbres, pour en tirer de quoi relancer une production. Mais il faudra rester vigilants, le pathogène demeurant susceptible de s’adapter aux nouveaux arbres résistants, rappelle le professeur, sans perdre pour autant son optimisme.

Un orme de toute beauté en façade d'une maison située sur l'avenue Marguerite-Bourgeoys, dans Saint-Sacrement
Photo : Gracieuseté / Jacques A. Fortin
En attendant de voir repousser l’orme d’Amérique à Québec, reste à voir quel sera le sort des 14 000 ormes matures se trouvant sur des propriétés privées à travers la ville. Car, si la Ville procède à leur inventaire de manière exemplaire et à un suivi serré de leur état de santé, elle n’offre malheureusement aucune subvention aux propriétaires qui aimeraient les protéger au fongicide. Le seul programme d’aide financière offert pour l’instant concerne la disposition du bois une fois l’arbre abattu, selon le diamètre de l’orme touché.
Reste que, parmi ces milliers d’ormes, rien ne s’oppose à ce que plusieurs soient naturellement résistants à la maladie, rappelle Louis Bernier. Et chaque fois que ces ormes se reproduiront naturellement, la biologie évolutive jouera encore en leur faveur.
Sources :
- Archives de la Ville de Québec
- Division de la foresterie urbaine de Québec
- Commission des champs de bataille nationaux
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec
- Suzanne Hardy; Nos champions - Les arbres remarquables de la capitale - Commission de la capitale nationale/ Berger