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Des programmes courts pour former des enseignants bloqués

Pour répondre au besoin urgent d’enseignants, des universités développent des programmes courts pour en former plus rapidement. Toutefois, ces programmes ne mènent toujours pas au brevet en raison d’une crise au sein du comité qui a pour mandat de les accréditer.

Des pupitres dans une salle de classe.

Six programmes universitaires pour former des enseignants sont en ce moment en attente d’une accréditation, confirme le ministère de l’Éducation du Québec.

Photo : Shutterstock / Tobias Arhelger

Cet automne, deux nouveaux programmes courts conçus pour conduire les étudiants vers l'obtention d'un brevet en enseignement viennent de démarrer.

Leur objectif : créer une voie plus rapide vers la qualification des enseignants pour ceux qui ont déjà de l’expérience dans les écoles et ce, dans un contexte de pénurie de personnel dans le réseau scolaire.

Mais il y a un problème. Ces nouveaux programmes ne mènent pas encore vers le brevet d’enseignement. Et cela plonge dans l’incertitude tant les universités qui ont développé ces programmes que les étudiants qui viennent de s’y inscrire.

Devenir enseignant légalement qualifié : plus facile à dire qu’à faire!

Dernier texte d’une série de trois

Des enseignants non légalement qualifiés se retrouvent devant les salles de classe en raison d’une pénurie de professeurs dans le réseau scolaire. Le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, les incite à aller sur les bancs des universités pour obtenir leur brevet d’enseignement. Mais voilà qui est plus simple à dire qu’à faire.

1er volet : Enseignement : « Je veux me qualifier, mais les portes des universités sont fermées! »

2e volet : Pourquoi tant de bâtons dans nos roues? se demandent de futures enseignantes

Des universités répondent à l’appel du ministre

En janvier dernier, le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, a été sans équivoque dans son intention d'accroître le nombre d’enseignants qualifiés dans la province. On veut agir concrètement et rétablir une voie plus rapide vers le brevet d'enseignement, a-t-il lancé en conférence de presse.

Autrement dit, il souhaitait que les universités proposent des programmes plus courts que ceux qui existent déjà, c’est-à-dire le baccalauréat conventionnel et les maîtrises qualifiantes.

Bernard Drainville s'adresse aux journalistes.

Bernard Drainville, ministre de l'Éducation, en conférence de presse, mercredi le 23 août 2023.

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

Le message du ministre a été entendu par plusieurs établissements.

L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et l’Université TÉLUQ se sont associées pour offrir des diplômes d’études supérieures spécialisées (DESS) à distance pour les personnes qui ont déjà en main un baccalauréat et qui enseignent déjà dans le réseau scolaire en tant que personnel non légalement qualifié.

Ces programmes de 30 crédits impliquent pour les étudiants un cheminement à temps partiel sur deux ans.

On a répondu à l’appel du ministre Drainville, explique Lucie Laflamme, directrice générale de la TÉLUQ.

On ne se sentait pas obligé de répondre à cette demande-là, mais en en parlant, on a considéré que c’était possible d’offrir une formation plus brève, mais solide, pour des personnes qui ont déjà une expertise disciplinaire et de l’expérience d’enseignement, renchérit Pascal Grégoire, directeur de l'Unité d'enseignement et de recherche en sciences d'éducation à l’UQAT.

Programmes menant au brevet d’enseignement

ProgrammeDuréeConditions d'admission
Baccalauréat4 ans, temps pleinDEC
Maîtrise qualifiante3 ou 4 ans, temps partielBAC
Diplôme d'études supérieures spécialisées (DESS)2 ans, temps partielBAC, recommandation d'un CSS, un an d'expérience

Mais il y a du sable dans l’engrenage. Ces programmes n’ont toujours pas reçu l’accréditation qui leur permet d’être reconnus officiellement comme étant qualifiants, c’est-à-dire menant au brevet d’enseignement.

On doit présenter le DESS comme étant qualifiant, mais sous réserve des approbations ministérielles requises, explique Pascal Grégoire.

Un homme assis à son bureau.

Pascal Grégoire, directeur de l'unité d'enseignement et de recherche en sciences d'éducation à l’UQAT.

Photo : Radio-Canada

Résultat : les programmes de l’UQAT ne sont pas remplis à leur pleine capacité. Sans doute que certaines personnes préfèrent s’assurer d’abord que le programme a été agréé avant de s’engager dans cette voie, concède Stéphanie Duchesne du service des communications de l’université.

Un comité central dans l’accréditation des programmes paralysé

Avez-vous déjà entendu parler du CAPFE, le Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement? Il y a fort à parier que la réponse est non.

Depuis 25 ans, ce comité indépendant, formé de membres de la communauté universitaire et d’enseignants du primaire et du secondaire, agit essentiellement sans faire de remous en remplissant son mandat d’accréditer aux programmes qui mènent au brevet d’enseignement.

Mais depuis un an, c’est la paralysie totale. L’ancien ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a donné son feu vert au démarrage de maîtrises qualifiantes qui n’avaient pas reçu le fameux agrément, ou accréditation, du CAPFE.

Le ministre en point de presse.

L’ancien ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a voulu contourner le CAPFE, selon des acteurs du milieu de l'enseignement.

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

Une décision avec laquelle les membres du comité étaient en profond désaccord, puisqu’elle faisait fi des règles observées jusque-là. Une crise s’est ensuivie menant à la suspension des travaux du comité et à la démission de tous ses membres.

Conséquence : six programmes sont en ce moment en attente d’une accréditation, confirme le ministère de l’Éducation. D’autres universités, comme celle de Sherbrooke, attendent que la situation entourant le CAPFE se dénoue avant de poursuivre le développement de deux nouveaux programmes.

Il y a plusieurs dossiers accumulés au CAPFE. Ça veut dire qu’il y aura des délais assez longs pour toutes les universités québécoises. Ça va être plutôt problématique, lance Pascal Grégoire de l’UQAT.

On est dans le flou et on espère qu’il va se dissiper. On veut des éclaircissements.

Une citation de Lucie Laflamme, directrice générale de la TÉLUQ

Présentement, on est en mode attente, on est un peu sur pause, lance de son côté Nancy Granger de l’Université de Sherbrooke, qui développe en ce moment des nouveaux programmes qualifiants. On avance prudemment, il faut attendre de voir dans quel sens tout ça va aller.

Lucie Laflamme devant un immeuble.

Lucie Laflamme est la directrice générale de la TÉLUQ.

Photo : TÉLUQ

Programmes courts : le « chaos »

D’autres universités ressentent beaucoup de pression de la part de Québec pour développer rapidement des programmes courts et elles ne l’apprécient pas.

Depuis janvier, on entend parler de l’importance de développer des formations courtes, mais sans donner de balises claires pour nous orienter, explique Ahlem Ammar, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Cela amène beaucoup d’incompréhension, un état de chaos.

C’est le far-west. Il n’y a plus de règles, c’est tout et n’importe quoi!

Une citation de Julie Desjardins, présidente de l’Association des doyens et directeurs pour l'étude et la recherche en éducation au Québec

En ce moment, on met la charrue avant les bœufs, illustre Julie Desjardins, qui représente les doyens des facultés d’éducation des universités du Québec.

Julie Desjardins devant une fenêtre.

Julie Desjardins est présidente de l’Association des doyens et directeurs pour l'étude et la recherche en éducation au Québec.

Photo : Radio-Canada

On trouve des solutions avant d’avoir défini les paramètres de qualité. Il n’y a pas une organisation professionnelle qui se respecte qui ferait les choses de cette façon, critique-t-elle.

Le mécanisme d’assurance qualité des formations menacé

Le projet de loi 23 déposé au printemps, appelé réforme Drainville par plusieurs, prévoit de faire disparaître le CAPFE. Il serait remplacé par l’Institut national d’excellence en éducation (INEÉ), qui n’aurait qu’un pouvoir de recommandation.

Voilà une initiative qui effraie certains membres de la communauté universitaire, dont la doyenne Julie Desjardins. Ce que ce projet de loi vise à faire, c’est de donner tous les pouvoirs au ministre, déplore-t-elle.

Le public devrait être inquiet pour ses enfants, poursuit celle qui est aussi doyenne de l’École des sciences de l’éducation à l’Université Bishop’s. Si on avait des ingénieurs, des médecins à qui on donnait des formations tous azimuts, des courtes, des longues, sans aucun mécanisme d’assurance qualité, on s’en inquiéterait grandement.

L’abolition d’un mécanisme d’assurance qualité, pour nous, c’est faire honte à la profession, c’est un discrédit sur la profession.

Une citation de Julie Desjardins, présidente de l’Association des doyens et directeurs pour l'étude et la recherche en éducation au Québec

On se retrouverait presque à la merci de décisions politiques et à changer nos programmes à chaque quatre ans, renchérit de son côté Ahlem Ammar, de l’Université de Montréal. Et ça, ça fragiliserait tout le système éducatif.

Ahlem Ammar en gros plan dans un bureau.

Ahlem Ammar est doyenne de la Faculté de l’éducation de l’Université de Montréal.

Photo : Radio-Canada

Et elle conclut sur cet avertissement : Oui, il y a une pénurie. Mais il est important qu’on laisse des choses desquelles on peut être fier une fois la pénurie passée. On veut des programmes de haut niveau qui produisent des professeurs compétents. On ne doit pas tomber dans des pièges qu’on pourrait regretter plus tard comme société.

« Tout le monde doit mettre la main à la pâte », répond Québec

De son côté, le cabinet du ministre Drainville confirme que si le projet de loi 23 est adopté tel quel, la notion d’agrément – donc d’accréditation des programmes – disparaîtrait et le pouvoir de recommandation du futur INEÉ serait non contraignant.

De plus, on assure que cet institut sera indépendant et libre de formuler les avis qu’il jugera pertinents.

Sur la question des programmes courts, le cabinet du ministre Drainville répond que tous doivent mettre la main à la pâte en ce qui concerne les défis que représente la pénurie de main-d’oeuvre dans le réseau de l’éducation.

Accélérer ne veut pas dire diminuer la qualité. Ça veut dire mieux faire et être plus efficient, affirme le cabinet du ministre Drainville.

Au ministère de l’Éducation, on indique qu’on « entend soutenir le redémarrage des activités du CAPFE afin de lui permettre de jouer son rôle d’instance d’agrément des programmes de formation à l’enseignement en attendant la création de l’INEÉ ».

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