Survivre aux grandes chaleurs
Les grandes chaleurs de l’été et celles du début de septembre nous rappellent que tous les corps réagissent différemment à un excès de chaleur et d’humidité. Des équipes de scientifiques travaillent à définir avec plus de précision les effets néfastes de la chaleur récurrente et les moyens d’en atténuer les répercussions.

Tous les corps réagissent différemment à un excès de chaleur et d’humidité.
Photo : getty images/istockphoto / fizkes
À l’été 2021, un dôme de chaleur a plombé la Colombie-Britannique pendant une semaine. Plus de 600 personnes en sont mortes. Les deux tiers d'entre elles étaient des gens âgés. La chaleur tue. Et on l’oublie souvent. Même des jeunes en santé ou des gens qui travaillent à l’extérieur, au soleil, sans s’hydrater, peuvent subir des coups de chaleur.
Les gens ne comprennent pas la gravité de ces choses-là
, affirme le Dr Éric Notebaert, urgentologue à l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal et vice-président de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement.
En temps normal, la température interne du corps se maintient autour de 36 degrés Celsius. Quand le soleil plombe, que l’air est humide et qu’on fait un travail physique exigeant, la température interne du corps monte en flèche.
Pour évacuer ce surplus de chaleur, le corps transpire et l’évaporation de la sueur le rafraîchit. Le cœur, de son côté, pompe plus vite et plus fort pour faire circuler davantage de sang vers la peau qui, elle, est exposée à l’environnement.

Le Dr Éric Notebaert est urgentologue à l'Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et vice-président de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement.
Photo : Radio-Canada
Toutefois, selon notre emploi, notre état de santé ou notre âge, la faculté du corps à dissiper cette chaleur varie. Avec l’âge, par exemple, la capacité de transpiration diminue, tout comme celle de dissiper la chaleur du corps.
On parle d’une perte de 5 % à chaque décennie, et en plus, avec l’âge, la perception de la chaleur change
, souligne Glen Kenny, de l’Université d’Ottawa, un expert dans ce domaine.
En conséquence, la température du corps chez une personne âgée peut grimper davantage si la perception de la chaleur n’est plus la même.
Les travaux de Glen Kenny, un professeur de physiologie, ont montré que la température à l’intérieur d’une pièce ne devrait pas dépasser 26 degrés Celsius. Si elle monte à 31 degrés ou plus, on peut voir survenir des problèmes physiologiques graves
, avise-t-il.
Durant l’épisode de chaleur en Colombie-Britannique en 2021, on a estimé que dans les appartements de certaines victimes, la température avait pu atteindre 40 degrés Celsius.
Ventilation et climatisation
Dans un pays nordique comme le nôtre, les épisodes de chaleur étaient, jusqu’à récemment, généralement courts et ne justifiaient pas toujours l’installation d’un système de climatisation.
Encore aujourd’hui, une habitation sur trois au Canada ne dispose pas d'un climatiseur et les résidents comptent sur la ventilation naturelle ou sur des ventilateurs pour se rafraîchir. À quel point sont-ils efficaces et dans quelles circonstances?
En règle générale, un ventilateur procure un certain confort en favorisant l’évaporation de la sueur, mais quand le temps est sec et que le mercure s’approche des 40 degrés Celsius, il peut au contraire nous réchauffer davantage. Ça agit un peu comme un four à convection
, explique le chercheur Daniel Gagnon, de l’Université de Montréal.
Dans un laboratoire de l’Institut de cardiologie de Montréal, M. Gagnon mène une série de travaux pour mesurer l’effet de moyens différents de la climatisation pour évacuer la chaleur du corps.

Un participant à la recherche assis dans une chambre chauffée à 45 degrés Celsius fait tremper ses pieds dans une bassine d'eau froide.
Photo : Radio-Canada
Des participants jeunes et plus âgés, en bonne santé ou avec des problèmes de santé particuliers se prêtent tantôt à des bains de pieds froids dans une chambre chaude, à des séances d’immersion complète dans des bains chauds ou encore à des bains de pieds chauds.
Dans ces deux derniers cas, l’objectif consiste à voir jusqu’à quel point on pourrait préparer le corps, en amont, à mieux résister aux épisodes de canicule.
On souhaite voir, explique Daniel Gagnon, si on peut susciter des réponses de perte de chaleur plus rapidement, ce qui permettrait d’emmagasiner moins de chaleur à l'intérieur du corps et donc de diminuer la température interne.

Daniel Gagnon est professeur et chercheur à l'Université de Montréal et à l'Institut de cardiologie de Montréal.
Photo : Radio-Canada
La solution alternative au refroidissement à l’aide de l’air ou de l’eau, c’est la climatisation. Durant les périodes de canicule, les autorités de la santé publique recommandent souvent de se réfugier dans un endroit climatisé. Cependant, combien de temps devrait-on y passer et quel effet cela produirait-il?
Évacuer la chaleur
Dans son laboratoire à Ottawa, Glen Kenny et son équipe ont pu mesurer l’effet sur le corps d’une alternance entre le passage d’un endroit chaud, suivi d’une période dans un endroit climatisé, avant de s’exposer de nouveau à la chaleur.
Les mesures ont été prises avec un instrument unique au monde, un calorimètre. Il permet de mesurer avec une très grande précision les gains et les pertes de chaleur du corps.

Un participant s'installe dans le calorimètre à l'Université d'Ottawa.
Photo : Radio-Canada
Ils ont observé que dans le groupe qui a été exposé à de l’air climatisé, la température corporelle a chuté. C’est bien! Ça indique qu’il y a eu un bienfait. Toutefois, dès que ce groupe est retourné à la chaleur, la température corporelle a grimpé plus vite
, souligne Glen Kenny.
C’est que la chaleur, une fois emmagasinée dans les muscles, ne se dissipe pas d’un coup quand on est au frais. Dès qu'on entre dans un environnement plus froid, précise le chercheur, c’est comme si on coupait les mécanismes de réponse du corps pour combattre la chaleur.
On cesse alors de transpirer, mais on ne perd pas en dix minutes la chaleur accumulée dans son corps. Elle est toujours là. La solution consisterait-elle à passer des périodes plus courtes mais plus fréquentes dans un endroit climatisé? C’est ce que les scientifiques comptent aussi établir.

Glen Kenny est professeur et directeur de l’unité de recherche sur la physiologie environnementale et humaine à l’Université d’Ottawa.
Photo : Radio-Canada
Ça donne un faux sentiment de sécurité. En sortant d’un endroit climatisé, les gens se sentent bien, reprennent des activités, vont faire des courses… et génèrent encore plus de chaleur.
Toutes ces questions relatives aux effets de la chaleur sur le corps sont bien présentes dans plusieurs milieux de travail.
Dans certains cas, par exemple, deux travailleurs du même âge qui exercent le même travail dans les mêmes conditions météorologiques peuvent réagir différemment à un épisode de chaleur, simplement à cause de leur état de santé général ou d’une médication particulière.
Certains médicaments empêchent la sudation, c'est un effet secondaire, souligne le Dr Notebaert. Si vous ne suez pas et que vous avez un coup de chaleur, ça devient catastrophique.
Selon lui, un meilleur aménagement des villes pourrait nous donner un coup de pouce à l'avenir. La solution, ce n'est pas de mettre des climatiseurs, c'est de déminéraliser les sols et de verdir les villes
, estime-t-il.
Dans un pays du nord comme le nôtre, où le réflexe premier était de se protéger du froid, on doit aujourd’hui apprendre à acquérir des réflexes pour se protéger du temps chaud. Trop chaud.

Le reportage d'André Bernard est diffusé à l'émission Découverte le dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.