Le vin rouge est-il bon pour le cœur?
Des médecins et des scientifiques en débattent depuis plus de 40 ans. L’équipe de Découverte fait le point sur le fameux « paradoxe français ».

Beaucoup de gens aujourd’hui consomment un verre de vin rouge en pensant que cela a un effet protecteur pour le cœur.
Photo : Radio-Canada
Dans son bureau de l’Ouest-de-l’Île de Montréal, le cardiologue Christopher Labos voit régulièrement des patients qui ont décidé de prendre leur santé en main. Ils mangent mieux, font régulièrement de l’exercice et adoptent de bonnes habitudes de sommeil. Certains se forcent même à boire un verre de vin rouge par jour.
Ils me disent qu’ils n’aiment pas le vin, mais ils font un effort pour en boire parce qu’ils pensent que c’est bon pour leur cœur, rapporte le cardiologue. C’est absurde!
Ce qu’on appelle communément le paradoxe français
a visiblement la vie dure.
Le concept a surgi dans la tête de scientifiques il y a plus de 40 ans. À l’époque, on se demandait pourquoi les Français mouraient moins souvent de maladies coronariennes – qui touchent les artères qui irriguent le cœur – que les Britanniques ou les Américains, alors qu’ils fumaient autant et mangeaient plus de graisses animales.
Le chercheur et médecin français Serge Renaud a émis une hypothèse : le vin rouge aurait un effet protecteur pour le cœur. Un reportage diffusé à l’émission américaine 60 minutes, en 1991, a propagé l’idée du paradoxe français aux quatre coins de la planète.
Et encore aujourd’hui, beaucoup de gens prennent un verre de vin rouge en pensant protéger leurs artères.
Quarante années de recherches
Au fil des décennies, des centaines d’études épidémiologiques observationnelles ont été réalisées pour tenter de cerner l’impact de l’alcool sur la santé.
Essentiellement, on recrute des volontaires qui déclarent, semaine après semaine, leur consommation d’alcool. En parallèle, on suit l’évolution de leur état de santé pendant de nombreuses années.
Plusieurs de ces études ont montré que les abstinents – ceux qui ne boivent pas d’alcool – ont plus de risques de mourir prématurément que ceux qui boivent un verre à l’occasion. Ces observations ont nourri l’hypothèse du paradoxe français.

Le cardiologue Christopher Labos en discussion avec la journaliste Dominique Forget.
Photo : Radio-Canada
Mais ces études sont contestées. Notamment par le Dr Labos qui, en plus d’être cardiologue, est formé en épidémiologie, cette science qui étudie les liens entre les habitudes de vie et la santé humaine. Il signale que parmi les abstinents – qui semblent plus à risque de mourir prématurément – il y a beaucoup d’anciens buveurs.
La majorité des personnes qui ne boivent pas ont arrêté pour des raisons de santé. Ils ont développé un cancer, des maladies cardiaques ou de l'hypertension et leur médecin leur a recommandé d'arrêter.
Autrement dit, selon le Dr Labos, les gens n’ont pas plus de risques de mourir prématurément parce qu’ils ne boivent pas. Ils s’abstiennent de boire parce qu’ils sont déjà malades.
En épidémiologie, c’est ce qu’on appelle la causalité inverse
. Ce n’est pas A qui cause B, mais B qui cause A
, résume le Dr Labos.
Il croit que d’autres biais peuvent s’introduire dans les études sur l’alcool et la santé. Par exemple, on peut penser que les buveurs occasionnels de vin rouge sont des gens aisés qui ont accès à de meilleurs soins de santé, ce qui expliquerait pourquoi ils sont moins à risque de mourir de façon prématurée.
Des avis contraires
Tous les cardiologues ne sont pas de l’avis du Dr Christopher Labos.
Le Dr Martin Juneau, cardiologue à l’Institut de cardiologie de Montréal, continue de défendre l’idée selon laquelle un verre de vin à l’occasion est bon pour le cœur.
Depuis une quinzaine d’années, les meilleures études ont éliminé de leurs cohortes les personnes qui s’abstiennent de boire pour cause de maladie, dit le Dr Juneau. Et elles continuent de montrer un effet protecteur du vin, lorsqu’il est consommé avec modération. Plus spécifiquement contre l'infarctus du myocarde, c’est-à-dire la crise cardiaque.

Le cardiologue Martin Juneau en discussion avec la journaliste Dominique Forget.
Photo : Radio-Canada
Les études sur lesquelles se base le Dr Juneau ont aussi tenté d'éliminer les biais liés au statut économique des participants.
On ne pourra jamais faire une étude randomisée en bonne et due forme. Donc, il y aura toujours des incertitudes, mais à mon avis, ces études sont solides.
Une étude randomisée consisterait à former deux groupes dont les membres seraient assignés au hasard : un premier où l’on demanderait aux gens de ne pas boire et un second où l’on demanderait aux gens de boire.
Ce type d’étude contreviendrait aux règles d’éthique de la recherche, car on mettrait possiblement à risque la santé des participants. Par ailleurs, il serait extrêmement difficile de recruter des volontaires.
Qu’y a-t-il sous le bouchon?
Pour étayer sa position, le Dr Juneau souligne que le vin rouge renferme des composés qu’on appelle les polyphénols. Le resvératrol, par exemple.
Ces molécules auraient des effets anti-inflammatoires, antioxydants et vasodilatateurs qui favoriseraient la santé des artères.

Le vin rouge contient des polyphénols qui ont des propriétés bénéfiques sur la santé des artères.
Photo : Radio-Canada
Ici aussi, le Dr Labos s’inscrit en faux. Il souligne que le vin rouge est pauvre en resvératrol.
Dans une étude publiée dans la revue Advances in Nutrition (Nouvelle fenêtre), en 2016, des chercheurs allemands ont calculé qu’il faudrait boire entre 505 et 2762 litres de vin rouge par jour pour ingérer un gramme de resvératrol, une dose jugée thérapeutique selon certaines estimations.
Cela dit, d’autres molécules contenues dans le vin rouge pourraient avoir un effet protecteur. Elles n’ont pas toutes été évaluées.
Alors, on trinque ou pas?
Devant des positions si tranchées, basées sur des études complexes et imparfaites, il est difficile pour monsieur et madame Tout-le-Monde de se faire une tête.
Dans le maelstrom, il faut retenir que le débat ne concerne que l'infarctus du myocarde. Il n’y a pas de débat pour l’insuffisance cardiaque, l’hypertension ou l'arythmie, fait valoir le Dr Labos. Là-dessus, on s’entend pour dire que l’alcool a un effet négatif. Idem pour le diabète et plusieurs cancers.
Même le Dr Juneau dit passer plus de temps à conseiller à ses patients de limiter leur consommation d’alcool plutôt qu'à les encourager à continuer de boire.

Une récente étude a réduit la consommation recommandée à deux verres standards d’alcool par semaine.
Photo : Radio-Canada
En janvier dernier, le rapport publié par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) a causé tout un émoi en proposant un seuil de deux verres standards d’alcool par semaine, pour éviter les conséquences négatives de l’alcool sur la santé.
Le Dr Juneau estime, pour sa part, que boire un verre par jour pour les femmes, de préférence avec le repas, et deux pour les hommes est sécuritaire.
Dans les deux cas, les discours se rejoignent autour d’un même message : la modération a bien meilleur goût.
Je ne veux pas diaboliser l’alcool, insiste le Dr Labos. On peut boire, de la même façon qu’on peut manger de la crème glacée ou manger des frites. Il faut simplement que les gens comprennent que c’est un plaisir à consommer avec parcimonie. On ne doit pas boire du vin en pensant que ça nous protège contre la maladie.
Le Dr Labos et le Dr Juneau souhaitent tous les deux partager des données scientifiques avec la population pour aider les gens à faire des choix éclairés. Après, chacun peut boire comme il l’entend. Et l’information a l’avantage de pouvoir être consommée sans modération.
Le reportage de Dominique Forget et de Yanic Lapointe Ivresses et controverses sera diffusé à l'émission Découverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.