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Comment cinq groupes d’épiceries ont accaparé le marché canadien

Des gens magasinent dans le rayon des fruits d'une épicerie.

Au Canada, seuls cinq groupes – dont Loblaw, Sobeys et Metro – se partagent les trois quarts du marché de l'alimentation.

Photo : Radio-Canada / Cole Burston

Le coût du panier d'épicerie et les profits des géants de l'alimentation font couler beaucoup d'encre ces temps-ci. L'inflation alimentaire reste toujours très élevée et le manque de concurrence dans le secteur n'aide certainement pas.

Il s’agit en fait d’un oligopole, parce que seuls cinq groupes se partagent plus des trois quarts du marché canadien des épiceries : Loblaw (28 %), Sobeys (20 %), Metro (11 %), Costco (9 %) et Walmart (8 %), selon des données de 2021 colligées par la publication spécialisée Canadian Grocer.

Le reste du secteur de l'alimentation est composé d’environ 27 000 dépanneurs et 6900 épiciers indépendants. Statistique Canada, pour sa part, dit ne pas calculer les parts de marché et ne commente pas sur des entreprises en particulier.

Qu'est-ce qu'un oligopole?

Un oligopole est un marché dominé par un petit nombre de vendeurs. C’est le cas au Canada, notamment dans le secteur de l’alimentation, des banques, des télécommunications et de l’aviation commerciale.

David LaMantia est propriétaire d’un supermarché indépendant à Lindsay, en Ontario. Selon lui, les géants de l’industrie créent une illusion de concurrence en exploitant des magasins qui portent différents noms.

Je ne pense pas que le commun des mortels réalise que très peu d’entreprises contrôlent toutes ces différentes enseignes. Ils ont l’impression qu’elles sont exploitées de manière indépendante, affirme-t-il.

Il y a un sérieux manque de concurrence.

Une citation de David LaMantia, propriétaire du LaMantia’s Country Market Fresh
Un homme devant un camion de marchandises.

David LaMantia, propriétaire du supermarché indépendant LaMantia’s Country Market Fresh, dénonce le manque de concurrence dans l'industrie de l'alimentation.

Photo : Radio-Canada / Vedran Lesic

Si vous magasinez, par exemple, du côté de Farm Boy, de FreshCo, de Safeway, d'IGA ou de Foodland, ce sont toutes des enseignes du groupe Sobeys.

Les magasins Food Basics, Super C et Marché Adonis, entre autres, appartiennent tous à Metro, tout comme les pharmacies Jean Coutu.

Les Provigo, No Frills, Superstore et Maxi, les supermarchés asiatiques T&T ainsi que les pharmacies Shoppers Drug Mart (ou Pharmaprix au Québec) sont, quant à eux, la propriété de Loblaw.

Les magasins Independent City Market, contrairement à ce que leur nom laisse entendre, ne sont pas indépendants : ils appartiennent, eux aussi, au plus grand des géants canadiens de l’alimentation.

Un graphique sur les grandes chaînes d'alimentation au pays.

Les grandes chaînes d'alimentation au pays

Photo : Radio-Canada / Camile Gauthier

Ces fusions et acquisitions ne sont pas rares dans le monde des affaires, et elles ne se sont pas produites du jour au lendemain.

Toutefois, certaines transactions ont vraiment changé la dynamique du secteur, selon Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l'Université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Lorsque Loblaw a acheté Provigo en 1998, lorsque Metro a acheté A&P, en Ontario, en 2005, et lorsque Sobeys a acheté Safeway dans l'Ouest en 2013, à mon avis, ce sont les trois grandes transactions qui ont eu un impact énorme sur la distribution alimentaire au Canada, dit-il.

Un homme portant un veston et des lunettes.

Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l'Université Dalhousie

Photo : Radio-Canada / Marie-Jeanne Boulet

Des lois qui manquent de mordant

La question se pose : le Bureau de la concurrence n'aurait-il pas pu bloquer ces transactions?

Le sous-commissaire Anthony Durocher explique que ses équipes font toujours un examen approfondi lorsqu'un géant tente d'en avaler un autre et imposent des mesures correctives afin de préserver une concurrence saine dans les marchés touchés.

Il y a plusieurs fusions qui ont eu lieu où il y a eu des ventes de magasins à travers le Canada pour préserver la concurrence, c'est-à-dire que la compagnie fusionnée doit vendre certains magasins à un autre concurrent, dit-il.

Le sous-commissaire au Bureau de la concurrence, Anthony Durocher.

Anthony Durocher, sous-commissaire au Bureau de la concurrence

Photo : Radio-Canada / Simon Lasalle

Mais au Bureau, on travaille avec des preuves et on doit travailler dans notre cadre juridique actuel, précise M. Durocher.

Si on n'a pas les preuves nécessaires ou les faits pour aller en cour et bloquer une transaction, nous ne pouvons pas le faire.

Une citation de Anthony Durocher, sous-commissaire au Bureau de la concurrence

Le sous-commissaire se réjouit que le gouvernement fédéral cherche à moderniser les lois encadrant la concurrence au pays.

Hausses de prix et profits scrutés à la loupe

Sylvain Charlebois affirme que les oligopoles ne posent pas de problème, pourvu que leurs prix soient perçus comme étant acceptables par le public. Mais depuis 12 mois, le taux d'inflation alimentaire est autour de 10 %, souligne l’expert du secteur agroalimentaire.

Ces hausses de prix, jamais vues en 40 ans, pèsent lourd sur le portefeuille des Canadiens. C’est d’ailleurs ce qui a poussé le Bureau de la concurrence à examiner en profondeur le secteur de l'épicerie.

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Le Bureau a déterminé que les marges brutes des grands détaillants ont augmenté de manière quand même significative depuis 2017, affirme le sous-commissaire Anthony Durocher, ce qui pourrait vouloir dire qu'ils augmentent leurs prix à un rythme plus rapide que la hausse de leurs coûts.

Un homme étonné de voir sa facture d'épicerie dans un centre commercial. Il a, dans les mains, un sac de papier brun contenant des aliments.

Même si les prix dans les épiceries sont demeurés élevés, leur croissance ralentit : ils ont augmenté de 8,5 % en juillet après avoir progressé de 9,1 % en juin.

Photo : iStock / Elena Perova

Les détaillants n’ont toutefois pas l’obligation de partager leurs données financières dans le cadre d’études de marché, ce qui limite la portée de ce rapport. Le chien de garde indépendant a tout de même conclu qu’il manque de concurrence dans le secteur de l’alimentation.

Parmi les solutions proposées pour encourager la concurrence, le Bureau propose de favoriser la venue de chaînes d'épiceries de l'étranger et d'épiciers indépendants.

C'est un environnement difficile pour eux, confirme M. Durocher, surtout quand on sort des régions urbaines au Canada, dans les régions éloignées ou en milieu rural.

Quel avenir pour les épiciers indépendants?

Même s'il existe près de 7000 épiciers indépendants au pays, bon nombre d'entre eux dépendent des grandes chaînes pour offrir à leurs clients une plus grande variété de produits.

C'était le cas notamment de Sun Valley, dans l'est de Toronto. Le supermarché indépendant a décidé de fermer ses portes après 40 ans d'existence.

C'est difficile de survivre dans cette industrie dominée par quelques grands joueurs.

Une citation de Jim Bexis, copropriétaire du supermarché Sun Valley

Le problème, dit-il, c'est qu'il n'existe plus de grossiste indépendant en alimentation. Les gros joueurs comme Loblaw et Sobeys se retrouvent donc à approvisionner leurs plus petits concurrents.

Nos fournisseurs sont deux des grandes chaînes, et on ne nous donne pas toujours un accès équitable à leurs produits, explique M. Bexis.

Le magasin Sun Valley qui annonce sa fermeture et qui remercie ses clients sur des affiches.

Le supermarché indépendant Sun Valley, à Scarborough, a fermé ses portes à la fin juillet, après 40 ans d'existence.

Photo : Radio-Canada / Philippe de Montigny

De nombreux épiciers indépendants, comme Sun Valley, ferment leurs portes, étouffés par la présence des géants, les frais de cartes de crédit et d’autres lourdeurs administratives. Certaines petites chaînes d’épiceries régionales sont rachetées par des concurrents.

Le Bureau de la concurrence appelle les gouvernements à mieux encadrer la vente de gros et à fournir des incitatifs financiers aux épiciers indépendants. Rehausser la concurrence permettrait, selon M. Durocher, de faire baisser les prix à l'épicerie et de stimuler l'innovation dans ce secteur.

On sait que plus de concurrence se traduit avec des prix plus bas pour les consommateurs, plus de services, plus d'innovation; plus de croissance économique, aussi, dit-il.

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