REM, Eglinton et O-Train : 3 trains légers à la destinée diamétralement opposée

Le conseil municipal de Toronto a donné son approbation au projet de train léger Eglinton Crosstown le 30 septembre 2009. Près de 168 mois plus tard, les trains ne circulent toujours pas sur le parcours, qu'on dit terminé à 98 %.
Photo : Radio-Canada / Yan Theoret
Toronto, Montréal et Ottawa ont lancé chacune un important projet de train léger depuis 2009. Mais les trois projets ont connu des sorts très différents qui s'expliquent par des choix de technologie, de montage financier ou par la pression politique.
À Toronto, les interminables délais de la ligne de train léger Eglinton Crosstown n’en finissent pas de défrayer la chronique.
Plus de trois ans de retard, des milliards de dollars en dépassement, des stations à réparer avant même leur ouverture. Même la date de mise en service – d'abord prévue en 2020 – n'a toujours pas été confirmée.

Depuis le vote et le début des travaux pour la ligne Eglinton Crosstown, Ottawa et Montréal ont non seulement conçu, mais aussi mis en service des portions de leur train léger respectif.
Photo : Radio-Canada / Camile Gauthier
L'agence Metrolinx, responsable du projet, se borne à dire que la ligne, achevée à 98 %, ouvrira dans un futur proche
.
Ottawa et de Montréal : lancés plus tard, ouverts plus tôt
Mais Toronto n'est pas la seule : les projets de trains légers semblent tourner au cauchemar en Ontario.

L'O-Train, conçu et approuvé après le projet de ligne Eglinton, circule à Ottawa depuis 2019.
Photo : Radio-Canada / Francis Ferland
À Ottawa, la ligne de la Confédération a été mise en service en 2019. Malgré un calendrier de chantier mieux tenu, ce train léger accumule de nombreux dysfonctionnements et accidents : trois déraillements, des retards de plus de 30 minutes, et encore un mois d'interruption cet été.
À côté de ces déboires ontariens, le tout nouveau Réseau express métropolitain (REM) de Montréal semble faire figure de bon élève. Approuvé en 2018, le REM a ouvert le 31 juillet sans dysfonctionnement majeur, malgré des hausses de coût et des retards lors du chantier.
Il lui reste à passer son premier hiver canadien pour vraiment prouver sa fiabilité.
Toronto : un projet plus complexe, principalement souterrain
Les trois villes ont un même objectif : transporter avec des trains légers des milliers de passagers au quotidien. Mais les projets présentent des caractéristiques différentes.

Un peu plus de la moitié du tracé du train léger d'Elginton Crosstown est en souterrain, ce qui rend le chantier plus complexe. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Patrick Morrell
Le tracé d’Eglinton Crosstown est pour plus de la moitié en souterrain (13 stations sur 25 et 10 kilomètres sur 19), ce qui rend le chantier plus complexe, explique Pierre Filion, professeur émérite d’urbanisme à l’Université de Waterloo. D’autant plus qu’il faut réussir la correspondance avec la ligne 1 du métro 1.

La ligne Eglinton Crosstown est en construction depuis 2011.
Photo : Radio-Canada / Camile Gauthier
Il s'agit ici d'une différence notable avec Ottawa et son itinéraire principalement terrestre sur les anciennes voies réservées de bus. Seule une petite portion de la ligne est souterraine sous l’avenue Rideau.
Pour le REM de Montréal, on est sur un système aérien comme le Skytrain de Vancouver, plus avancé sur le plan technologique et entièrement automatisé
, décrit l’universitaire.
Construire en hauteur est paradoxalement plus simple. Autre avantage, le train aérien est aussi plus simple à opérer pour les systèmes informatiques embarqués, car il n’y a pas à gérer d'interaction avec le trafic automobile ou les piétons.

Le Réseau express métropolitain est principalement un système aérien déconnecté de la chaussée et construit sur des pylônes. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Un PPP, la mauvaise solution en cas de problème
En théorie, les partenariats public-privé (PPP) permettent de répartir les responsabilités entre gouvernement et entreprises. Des contrats fixent précisément ce que chacun doit payer et faire. C’est le choix qu’ont fait Toronto, puis Ottawa.
Cependant, quand les affaires se compliquent, personne ne veut engager de frais supplémentaires. Ainsi, l'administration publique ne veut pas faire payer davantage les contribuables. De leur côté, les constructeurs privés rechignent à entamer leurs profits.
Les conflits se règlent alors après des sessions de médiation ou encore des procès; ce qui peut stopper le chantier ou les tests.
C’est le cas à Toronto, où en mai 2023, Metrolinx reprochait aux constructeurs de cumuler 260 défaillances. Le consortium privé Crosslinx a contre-attaqué en accusant la société publique d’être à l’origine de modifications non contractualisées.

En apparence, le projet Elginton Crosstown au nord de Toronto est quasiment achevé. Mais il reste des aspects à finaliser qui empêchent la mise en service. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Michael Wilson
À Ottawa, le PPP a mené à des plaintes en cascade entre les contractants, mais elles sont intervenues à l'issue du chantier. Des sous-traitants du projet ont poursuivi le consortium Groupe de transport Rideau (GTR) qui a bâti l’infrastructure. La municipalité a également porté plainte contre le GTR et son propre assureur.
Ce à quoi le GTR a répliqué par une plainte de son côté.

Le nouveau O'train d'Ottawa a déraillé à plusieurs reprises, dont une fois à cause d'un manque d'entretien du matériel. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Nicholas Cléroux
En jeu : plusieurs centaines de millions de dollars et le fait de déterminer les responsabilités.
Le GTR et la municipalité d’Ottawa ont finalement trouvé un accord à l’amiable concernant les défaillances lors de la mise en service, mais pas sur le volet de la construction.
Les entreprises qui ont construit la ligne d’Ottawa sont aussi dans le consortium de Toronto
, s’inquiète Shelagh Pizey-Allen, directrice de l’organisation de défense des usagers TTC Riders. Or, le rapport de la commission d’enquête publique indiquait que les problèmes venaient d’un manque de transparence et de contrôles à cause du contrat du PPP
, soutient-elle.
Un des déraillements à Ottawa a été causé par un manque d’entretien.

Shelagh Pizey-Allen de TTC Riders pense que la Ville de Toronto et la province ont fait un mauvais choix avec le PPP. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi
À Montréal, la province s’est appuyée sur la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), une société semi-publique, qui était organisée de façon à gérer un profit dans ses caisses une fois le service en fonction, ce qui était incitatif pour l’ouverture
, analyse Pierre Filion.
Avec le recul, il estime que ce montage s’est montré plus efficient par rapport aux promesses d’efficacité à Ottawa et Toronto.
Les choix autour du REM ont aussi été la cible de critiques, notamment du collectif Trainsparence.

Le montage financier du REM a fait l'objet de protestations. Ici à la gare de Deux-Montagnes en banlieue de Montréal. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Charles Contant
Parmi eux, David Eaves, riverain de Deux-Montagnes, une banlieue de Montréal dont la ligne de train est actuellement fermée pour être remplacée par le REM fin 2024, critique un projet privé conduit par une entreprise publique
. Il regrette que le REM ne soit pas intégré à la Société de transport de Montréal, l’équivalent de la CTT.
Modification :
Par soucis d'exactitude, nous avons retiré ce paragraphe qui était dans le texte au moment de sa publication initiale :
[David Eaves] fustige l’objectif de rentabilité de 8 %, visé grâce à une subvention de 0,72 $ par passager et par kilomètre versée par le gouvernement fédéral qui puisera dans les fonds pour d’autres projets de transports
. Enfin, David Eaves se questionne sur le choix aérien qui permet à la CDPQ d’acquérir les terrains et de développer des projets immobiliers, ce qui n’aurait pas été possible en souterrain
.
La Caisse de dépôt et de placement du Québec précise que CDPQ Infra, la filiale chargée du projet, n’acquiert aucun terrain pour fin de développement immobilier
.
Elle indique que le 0,72 $ par passager et par kilomètre (pass-kil) n'est pas une subvention fédérale, mais que la somme est plutôt un coût d'opération qui inclut la construction, l'exploitation et l'entretien. Cette somme est versée par l'Autorité régionale de transport métropolitain et n'est pas unique au REM. La STM obtient également des versements de l'ARTM pour les usagers du métro (0,48 $ / pass-kil), des autobus 0,73 $ / pass-kil) et des trains de banlieue (0,89 $ / pass-kil).
Différence d’approche et de stratégie politique
Toutes deux liées par des PPP, les villes de Toronto et Ottawa ont deux attitudes opposées face aux constructeurs.
La rocambolesque histoire d’Ottawa s’explique par une pression politique pour ouvrir dès que possible.
L’inauguration a eu lieu avec seulement
1 an et 3 mois de retard. Transposé à Toronto, un tel délai signifierait que la ligne Eglinton-Crosstown serait opérationnelle depuis la fin de 2021.
Mais lors de la commission d'enquête publique provinciale sur la ligne de la Confédération, l’ancien maire Jim Watson a finalement reconnu que le système que nous avons acheté n’a pas été à la hauteur de nos attentes
.
En prenant toute la responsabilité
et en s’excusant pour les lacunes
, l’ancien élu disait regretter d’avoir fait campagne en 2010 sur le montant de travaux 2,1 milliards de dollars, qui n’était pas assez étayé et auquel il s’est accroché.

L'ancien maire d'Ottawa Jim Watson a exprimé des regrets sur le fait d'avoir fixé un montant maximal peu étayé et poussé à l'ouverture tout en s'y tenant. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Reno Patry
Du côté de Toronto, dès 2020, l’ex-maire John Tory et Metrolinx disaient à Radio-Canada vouloir tirer les enseignements d’Ottawa pour s’assurer d’avoir un système fiable à l’ouverture.
Cet été encore, celui qui était alors ministre provincial associé aux Transports, Stan Cho, répétait : Nous ne voulons pas bâcler l’ouverture. Nous avons vu ce qui arrive avec l’exemple d’Ottawa et le déraillement du train léger là-bas
.
À son inauguration, le train léger d’Eglinton Crosstown sera-t-il exempt de défauts? Plus de 14 ans après le vote du conseil municipal de Toronto pour approuver le projet, des milliards en dépassement et des années de retard pour la mise en service, la municipalité et la province en ont tout intérêt.
Le problème, ce n’est pas juste les retards
, redoute Shelagh Pizey-Allen, il y a ensuite le contrat pendant 30 ans
. Un mécanisme opaque dans lequel elle n’a pas confiance après l’expérience ottavienne.
Elle souligne également que, cet été, la nouvelle mairesse Olivia Chow a pu revenir sur les coupes dans le service de la CTT grâce au budget prévu pour faire fonctionner la ligne Eglinton. Lui faisant craindre de nouvelles dégradations sur le réseau une fois l’ouverture réalisée.