Plateformes de livraison : attention aux restaurants sans permis
Les plateformes de commande en ligne pour restaurants comme Uber Eats permettent au public de découvrir de nouvelles saveurs. Les menus sont souvent alléchants et l’offre est grandissante. Cependant, certains commerces ne dévoilent pas tout. C’est le cas d’un restaurant de sushis à Montréal, situé dans le sous-sol d’un immeuble résidentiel.

Des restaurants sans permis sont présents sur les plateformes de livraison, qui n’ont pas l’obligation légale de les contrôler au Québec.
Photo : Getty Images / simonkr
« Faux restaurant, complètement malpropre. » Un téléspectateur de l’émission La facture n’y va pas par quatre chemins pour décrire son expérience culinaire désastreuse. Au printemps dernier, il a commandé un bol de poké chez Yummy Sushi, un restaurant qu’il ne connaissait pas et qui figurait dans la liste proposée par Uber Eats. Il a choisi de ramasser lui-même sa commande plutôt que d’opter pour la livraison.
Sur place, il déchante. Sous-sol encombré, odeur nauséabonde et malpropreté. Certainement pas des conditions idéales pour la préparation de poissons crus. Dégoûté, il dépose son plat près de l'entrée de l'immeuble sans même l'avoir ouvert, obtient un remboursement de la part d’Uber Eats et repart l'estomac vide.

Si vous marchez devant Yummy Sushi, vous ne vous douterez jamais qu’il s'agit d’un restaurant. L’immeuble montréalais est situé dans un secteur résidentiel.
Photo : Radio-Canada
Afin de vérifier ces allégations plutôt inquiétantes, l’équipe de La facture décide de faire appel au formateur en hygiène et salubrité alimentaire Philippe Kotula.
L’exercice est simple. Nous commandons des bols de poké et un plat de sushis en utilisant la plateforme Uber Eats, l’une des trois applications les plus populaires actuellement, qui comprend aussi SkipTheDishes et DoorDash. Nous sélectionnons l’option de ramassage sur place, afin de voir la cuisine qui prépare l’impressionnant menu disponible en ligne.
Devant l’entrée principale, une flèche nous dirige vers la porte de côté, non loin de la cour arrière, ensevelie d’objets pêle-mêle. Derrière la porte, un escalier descend jusqu’à la cuisine. Une dame entre-ouvre la porte et nous salue. La cuisinière est assistée d’une jeune femme et d’un homme, qui s’affaire à couper des radis et des mangues.

Les employés de Yummy Sushi préparent notre commande en omettant plusieurs règles sanitaires de base.
Photo : Radio-Canada
Nous avons assisté à la préparation des sushis pendant 12 minutes, avant de repartir avec des plats potentiellement dangereux, comme l’explique Philippe Kotula.
Il faut le voir pour le croire. Moi, honnêtement, je n’ai jamais vu ça, déplore-t-il. Ce n’est pas un environnement adéquat pour la transformation des sushis. Je n’ai vu aucun lavage des mains, tout le monde a touché à tout. Nous étions dans un environnement insalubre et il y a possibilité de contamination croisée.

Le local où se trouve la cuisine de Yummy Sushi est impropre à la préparation de sushis, selon le formateur en salubrité alimentaire Philippe Kotula.
Photo : Radio-Canada
Des restos sans permis
En plus de ne pas respecter les règles sanitaires de base, Yummy Sushi ne respecte pas non plus les règles administratives. L’entreprise ne détient pas de permis valide, obligatoire pour vendre de la nourriture au Québec.
Pourtant, en naviguant sur les applications de commande en ligne, aucun indice ne permet de savoir que le restaurant ne respecte pas les règles en vigueur. Un consommateur pourrait facilement se laisser convaincre par les images attrayantes et le menu détaillé de Yummy Sushi.

Page de Yummy Sushi sur l’application SkipTheDishes
Photo : Radio-Canada
L’équipe de La facture est retournée sur les lieux pour questionner la responsable du restaurant. Alors qu’elle partait à bord de son véhicule, la cuisinière nous a mentionné qu’elle n’exploitait plus le restaurant, sans autres explications, bien qu’il soit toujours disponible sur les applications de commandes de nourriture.
Entre ce que j'ai vu sur le site Internet – les belles photos avec les belles couleurs et les beaux poissons – et ce que j'ai vu en cuisine, c'est le jour et la nuit. Ce sont deux mondes différents.
En plus de ce restaurant de sushis, d’autres établissements sans permis profitent de la vitrine offerte par les applications mobiles.
Lors de la production du reportage, La facture en a identifié sept qui ont déjà été condamnés pour avoir exploité un restaurant sans permis et qui étaient toujours disponibles sur l’une ou l’autre des plateformes. Cet échantillon soulève un problème majeur. Des consommateurs pourraient, sans le savoir, commander des repas de restaurants sans permis.

Yummy Sushi est disponible sur Uber Eats et SkipTheDishes, bien que le restaurant ne détienne pas de permis valide.
Photo : Radio-Canada
Pourtant, le principe est clair : pas de permis, pas de restaurant, confirme Yohan Dallaire Boily, porte-parole du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ).
Aussitôt que vous vendez de la nourriture au Québec, que ce soit à partir de votre maison ou d’un restaurant, que vous la vendiez sur des plateformes de restaurants reconnues ou sur des réseaux sociaux, ça vous prend un permis
, assure-t-il.
L’importance du permis prend tout son sens lorsqu’on sait que le MAPAQ inspecte les restaurants qui en détiennent un. Les établissements sans permis passent sous le radar, à moins d’une dénonciation, renchérit Yohan Dallaire Boily.
La personne qui exploite un restaurant sans permis risque entre 5000 $ et 50 000 $ d'amende. On lui demande de régler la situation immédiatement et, si ce n’est pas fait, on poursuit en justice.
Les plateformes n’ont pas de compte à rendre
De leur côté, les applications n’ont aucune obligation de vérifier si un établissement détient un permis valide ou non. En revanche, elles ont toute la marge de manœuvre pour décider quel niveau de vérification elles souhaitent mettre en place.
Nous avons contacté Uber Eats, SkipTheDishes et DoorDash pour obtenir leur point de vue.

De nombreux restaurants offrent le service de livraison par le biais de plusieurs plateformes.
Photo : Radio-Canada / Guy Leblanc
Par écrit, Uber Eats explique que les restaurateurs doivent accepter les conditions d’utilisation, qui les obligent à détenir les permis requis par la loi. Si un commerçant n'est pas conforme, il doit désactiver son restaurant de l’application.
DoorDash adopte essentiellement la même méthode. Le restaurant doit donc déclarer qu’il est conforme aux règles locales. Quant à SkipTheDishes, l’entreprise a refusé de commenter l’affaire.
Pierre Trudel, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, explique que les consommateurs auraient avantage à ce que les plateformes soient plus exigeantes envers leurs restaurants partenaires.
C'est la plateforme qui est généralement la mieux placée pour connaître l'identité des entreprises, beaucoup mieux placée que le client. Elle pourrait servir de relais pour assurer la protection du public, finalement
, estime-t-il.
L’exemple des plateformes d’hébergement
Pourtant, il existe un domaine similaire où le gouvernement du Québec a décidé de forcer la main de certaines plateformes : celui des applications d’hébergement, comme Airbnb.

Le gouvernement de François Legault a rendu les plateformes d'hébergement touristique, comme Airbnb, responsables en cas d'affichage d'annonces illégales sur leur site.
Photo : afp via getty images / JOHN MACDOUGALL
En mai 2023, la ministre du Tourisme du Québec, Caroline Proulx, a sévi en imposant des amendes pouvant atteindre 100 000 $ en cas de diffusion d’annonces qui ne respectent pas la loi.
Le professeur Pierre Trudel croit que le gouvernement du Québec devrait envisager des règles similaires pour les autres types de plateformes.
Auprès des autorités publiques, on observe cette tendance à attendre qu'une catastrophe se produise. Le jour où quelqu'un subira des ennuis de santé graves à la suite de la livraison d'un repas, voilà l'exemple d'une catastrophe qui pourrait suffisamment frapper l'imagination pour amener les autorités à agir
, affirme le professeur Trudel.
« C'est certain qu'on va agir »
Doit-on attendre une catastrophe avant d’exiger que les plateformes vérifient les permis, comme le craint Pierre Trudel? Le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, se veut rassurant.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.
Photo : Radio-Canada
En entrevue, il explique d’entrée de jeu que la situation exposée dans notre reportage est inacceptable et que son ministère va s’en occuper.
C'est certain qu'on va agir. La première chose qu'on a faite, c'est de contacter les plateformes. Puis la première réponse qu'on a eue, c'est une volonté de collaboration
, affirme le ministre.
Chaque fois qu'on va identifier un angle mort, on va s'attaquer à cet angle mort pour faire en sorte que, ultimement, c'est le consommateur qui va être protégé encore davantage
, ajoute-t-il.
D’ici à ce que le gouvernement et les plateformes s’entendent, les consommateurs peuvent consulter la liste des restaurants qui détiennent un permis sur le site du MAPAQ. Vous y trouverez aussi les condamnations visant des établissements alimentaires.
Quelques clics qui pourraient peut-être vous éviter une intoxication alimentaire prête à emporter.
Le reportage de Jean-Luc Bouchard est diffusé à l’émission La facture le mardi à 19 h 30 et le samedi à 12 h 30 à ICI Télé.