•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Réseaux sociaux et troubles alimentaires, une liaison dangereuse

L’anxiété de performance générée par les réseaux sociaux va souvent de pair avec des problèmes de santé mentale. Devant l’augmentation du temps passé devant les écrans, des intervenants s’en alarment.

Naomie Condé consulte un téléphone intelligent, assise à une table.

Naomie Condé a suivi plusieurs thérapies pour se sortir de l'anorexie.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

« J'ai souffert d'un trouble obsessionnel compulsif, de pensées suicidaires, d'automutilation, de bradycardie et d'aménorrhée. » Naomie Condé a traversé des heures très difficiles pendant son adolescence. Elle a vécu l'anorexie de 14 à 18 ans.

Si aujourd’hui elle a tourné la page et elle s'investit à 100 % dans ses études en médecine, elle n’oublie rien. Il ne faut pas prendre les troubles alimentaires à la légère, ça peut aller jusqu'à la mort, souligne-t-elle.

Je voulais perdre du poids parce que je n'étais pas à l'aise avec mon image corporelle, avec la puberté, avec les courbes qui se développaient, se souvient-elle.

À l'époque, celle qui se décrit comme une personne ambitieuse et perfectionniste dit avoir développé de l'anxiété de performance. Un trouble qui va souvent de pair avec l’anorexie et, désormais, de plus en plus, avec la fréquentation assidue des réseaux sociaux.

Comme bon nombre d'adolescents et de jeunes adultes, elle trouvait ses modèles sur Instagram. Elle comparait sa silhouette à celles de ses amies, mais surtout à celles de mannequins filiformes. Le trouble alimentaire a un aspect très compétitif, je voulais être plus mince que ces personnes-là, décrit-elle.

Naomie Condé a touché le fond du baril quand elle a commencé à consulter fréquemment des pages qui font l'apologie de la maigreur. Des comptes où des personnes revendiquent le fait d’être anorexique ou aspirent à le devenir. Des comptes où se trouvent en abondance des photos de corps décharnés.

Je voyais des personnes qui étaient sur le bord de la mort et je voulais leur ressembler.

Une citation de Naomie Condé, étudiante en médecine

Ce sont surtout ces comptes-là qui m'ont affectée et qui ont fait en sorte que j'ai chuté très drastiquement dans l'anorexie, dit-elle, tout en soulignant que de telles publications ne devraient pas avoir leur place sur les réseaux sociaux, parce qu’elles attirent de nombreux adolescents vulnérables en perte de repères vis-à-vis de leur image corporelle et de leur estime de soi.

Naomie Condé, les bras croisés et tenant un téléphone intelligent dans sa main droite, debout dans une salle où sont assises d'autres personnes.

Naomie Condé, étudiante en médecine : « Les images sur les réseaux sociaux m'affectaient beaucoup, maintenant je suis capable d'avoir une perspective plus saine. »

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Les appels à l’aide à la hausse

Depuis la pandémie, les problèmes liés à la santé mentale résonnent de plus en plus fort chez Anorexie et boulimie Québec (ANEB). L'organisme est davantage sollicité au sujet de l'effet des réseaux sociaux, notamment parce que le temps passé devant les écrans a atteint des sommets.

Entre septembre 2022 et juin 2023, ANEB est intervenu auprès de 24 200 personnes, ce qui comprend les interventions individuelles, les groupes de soutien et les activités de sensibilisation. Du jamais vu depuis la création de l’organisme, en 1987.

Parents, professeurs ainsi que travailleurs de la santé et des services sociaux montrent du doigt Instagram, TikTok et autres plateformes populaires chez les adolescents.

Les appels ont augmenté de 131 % dans les mois qui ont suivi le premier confinement en 2020, précise Josée Lavigne, responsable du volet éducation et prévention d'ANEB.

En réaction, elle a mis sur pied une conférence de sensibilisation pour une utilisation saine des réseaux sociaux. Celle-ci est présentée dans les écoles primaires et secondaires ainsi que dans les cégeps.

Josée Lavigne sourit, debout à l'extérieur.

Josée Lavigne, responsable du volet éducation et prévention, ANEB : « Les troubles alimentaires, ce n'est pas un problème uniquement féminin, ils peuvent toucher n'importe qui. »

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Dans notre société très visuelle, constate Mme Lavigne, la santé et l’apparence occupent une place prépondérante. Ne pas correspondre aux canons peut entraîner une dégradation de l'estime de soi, surtout chez les adolescents.

La présentation de Josée Lavigne donne notamment des outils pour garder une saine distance avec les questions d’image et pour éviter de tomber dans le piège de la comparaison, tout en faisant la promotion de la diversité corporelle.

Les jeunes sont très vulnérables, le cerveau est encore en développement, ils n’ont pas le même regard critique qu'un adulte sur l'utilisation des réseaux sociaux.

Une citation de Josée Lavigne, Anorexie et boulimie Québec

Les réseaux sociaux sont avant tout un outil, rappelle la travailleuse sociale Valérie Van Mourik, aussi chercheuse clinicienne au CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, et la manière dont ils sont utilisés s’avère fondamentale.

Dans la pratique, elle constate que les personnes à la santé mentale fragile peuvent se réfugier dans des univers virtuels pour fuir des émotions négatives. Elles ont alors plus de risques d'en faire un usage problématique.

Les plateformes, trop laxistes?

Les recherches de la professeure au Département de psychiatrie et d'addictologie à l’Université de Montréal Patricia Conrod montrent justement que l’usage des réseaux sociaux et la santé mentale ne font pas bon ménage.

Entre 2012 et 2018, elle a suivi le développement neurocognitif de 4000 élèves du secondaire de la région de Montréal en lien avec leur utilisation des médias sociaux, de la télévision, des jeux vidéo et de l'ordinateur.

Cette recherche comporte plusieurs volets. Le premier (Nouvelle fenêtre), publié en 2019, a démontré que les symptômes de dépression sont plus importants chez les adolescents les plus actifs sur des plateformes telles que Facebook et Netflix.

Le constat a été identique pour les études suivantes, concernant l’anxiété, l’abus d’alcool et, plus récemment, l’agressivité.

En novembre 2022, le volet sur les médias sociaux (Nouvelle fenêtre) a été publié dans le journal Psychology & Health. Conclusion : l'usage des plateformes est associé à une baisse de l’estime de soi et à un accroissement des symptômes liés aux troubles alimentaires chez les adolescents.

Ces recherches ont une résonance internationale. Elles ont par exemple été utilisées par des élus américains pour demander des comptes aux responsables d’Instagram, suspectés de laxisme alors que leur plateforme était reconnue comme étant néfaste pour la santé mentale et physique des enfants et des adolescents.

Patricia Conrod sourit, debout dans un bureau.

Patricia Conrod est chercheuse au CHU mère-enfant Sainte-Justine de Montréal.

Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier

Patricia Conrod estime que les géants du numérique, les GAFAM, devraient en faire plus pour protéger les jeunes, malgré la bonne volonté affichée depuis les controverses.

Selon la psychiatre, les multinationales devraient prendre des mesures supplémentaires pour s’assurer que les utilisateurs ont effectivement l’âge minimum pour naviguer sur leurs plateformes. Un âge qui pourrait, dit-elle, être revu à la hausse (13 ans au Canada pour ce qui est d'Instagram).

Elle suggère aussi la création d’espaces séparés pour les utilisateurs adultes et mineurs, avec des règles et des algorithmes différents, notamment pour la diffusion des publicités.

Ils sont capables d’envoyer de l’information ciblée vers le profil des individus, pourquoi ne pas utiliser cette capacité pour promouvoir la santé mentale?

Une citation de Patricia Conrod, professeure au Département de psychiatrie et d'addictologie de l’Université de Montréal

Par ailleurs, elle s’indigne de voir que certains contenus sont accessibles à tous. Par exemple, des vidéos d’utilisateurs qui consomment de l’alcool et, évidemment, des photos qui font la promotion d’une image corporelle qui peut s’avérer problématique.

Anorexie, boulimie, accès hyperphagique, orthorexie et bigorexie sont certains des troubles reliés à l'alimentation qui peuvent être accentués par les réseaux sociaux, selon ANEB.

Besoin d'aide pour vous ou un proche?

  • Ligne d'écoute d'espoir pour le mieux-être : 1 855 242-3310 ou en utilisant le service de clavardage à espoirpourlemieuxetre.ca (Nouvelle fenêtre), 24 heures sur 24, sept jours sur sept (anglais, français et inuktitut sur demande);
  • Jeunesse, j'écoute (24/7) : 1 800 668-6868 (anglais et français);
  • Si vous êtes en détresse, si l'un de vos proches vous inquiète ou si vous êtes en deuil à la suite d'un suicide dans votre entourage, composez le 1 866 APPELLE. Ce service panquébécois est offert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et est gratuit;
  • Il est aussi possible d’utiliser la plateforme d’intervention par clavardage en visitant le suicide.ca (Nouvelle fenêtre).

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.