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Enseignement : « Je veux me qualifier, mais les portes des universités sont fermées! »

Des enseignants non légalement qualifiés souhaitent obtenir leur brevet, mais ils se heurtent aux critères d’admission de programmes parfois restrictifs, qui en laissent plusieurs amers. Des universités tentent toutefois de créer de nouvelles voies d’accès vers la profession.

Une femme au regard sérieux.

Josée Descôteaux a vu sa candidature refusée dans deux programmes qui auraient pu la mener vers l'obtention du brevet d'enseignement. Elle se sent condamnée à demeurer enseignante non légalement qualifiée.

Photo : Radio-Canada / Jacques Racine

Josée Descôteaux a travaillé et joué avec la langue française durant toute sa carrière. Pendant 20 ans, elle a été journaliste, puis rédactrice pour différents organismes. Elle a commencé à penser à une réorientation comme enseignante de français au secondaire pendant la pandémie. « Enseigner le français, c’est un rêve qui dormait en moi depuis longtemps. Et ce qui l’a fait émerger, c’est quand on a commencé à entendre parler de pénurie d’enseignants », dit-elle.

Après quelques démarches, elle a été embauchée à contrat comme enseignante de français au Centre d’éducation des adultes au Centre de services scolaire (CSS) des Trois-Lacs, en Montérégie, et comme enseignante de français langue seconde à la Commission scolaire Lester-B.-Pearson, dans l’ouest de l’île de Montréal.

Une enseignante se penche sur les devoirs de son élève.

Josée Descôteaux fait connaissance avec Alexandro, un de ses élèves à la formation générale des adultes cette session-ci.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

Aicha Madi, elle, a enseigné au primaire et au secondaire en Algérie pendant une douzaine d’années avant de s’installer au Québec. L’enseignement, c’est ma passion, c’est tout ce que je sais faire, insiste-t-elle. Elle enseigne depuis 2019 au CSS de Laval et, pour la troisième année, elle a une charge pleine en français au secondaire.

Josée et Aicha sont ce qu’on appelle communément des enseignantes non légalement qualifiées. Pour elles, la voie conventionnelle du baccalauréat en enseignement de quatre ans à temps plein n’est pas envisageable. Elles n’ont plus la jeune vingtaine et ont déjà tout un bagage. Mais elles souhaitent toutes deux obtenir leur brevet d’enseignement et être considérées comme des enseignantes au même titre que les autres.

Pour ce faire, elles ont tenté de s’inscrire à des programmes qualifiants de deuxième cycle, à des maîtrises ou à des diplômes d’études supérieures spécialisées. Mais elles ont toutes deux été refusées, à leur grand désarroi.

Devenir enseignant légalement qualifié : plus facile à dire qu’à faire!

Premier texte d'une série de trois

Des enseignants non légalement qualifiés se retrouvent devant les salles de classe en raison d’une pénurie de professeurs dans le réseau scolaire. Le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, les incite à aller sur les bancs des universités pour obtenir leur brevet d’enseignement. Mais voilà qui est plus simple à dire qu’à faire.

Deuxième volet : Pourquoi tant de bâtons dans nos roues? se demandent de futures enseignantes

Troisième volet : Des programmes courts pour former des enseignants bloqués

Des critères d’admission qui font des exclus

La candidature de Josée a été refusée parce que son baccalauréat en communication n’a pas de lien suffisamment étroit avec le français. Elle doit avoir 45 crédits disciplinaires, c’est-à-dire dans une discipline très proche de celle enseignée, ce qui n’est pas son cas.

En somme, pour être admis dans un programme qualifiant de deuxième cycle en enseignement au secondaire, il faut avoir un baccalauréat en mathématiques pour enseigner les mathématiques ou bien en littérature française pour enseigner le français.

De son côté, Aicha, comme d’autres avant elle, n’a pas été admise parce que la moyenne générale de son baccalauréat en littérature arabe, terminé à la fin des années 1990, n’était pas suffisamment élevée.

Je suis en colère et déçue. Je n’ai pas d’options. Est-ce que je demeure non légalement qualifiée, avec toutes les limites que ça implique? se demande Josée.

Être refusée, c’est être rejetée, résume Aicha. Je me suis dit : je ne pourrai jamais avancer ici, au Québec.

Josée estime que les critères d’admission sont trop restrictifs et que les programmes actuels font trop d’exclus.

Le gouvernement nous dit : "Allez vous former!" Je veux me qualifier! Mais les portes des universités sont presque fermées, blindées!

Une citation de Josée Descôteaux, enseignante non légalement qualifiée en français à la formation générale des adultes

Josée souhaite obtenir son brevet d’enseignement pour deux raisons. Premièrement, parce qu’elle estime que les élèves méritent le meilleur. Il me manque des compétences en pédagogie, reconnaît-elle. Je veux m’outiller et être une meilleure enseignante.

Deuxièmement, son brevet lui permettrait d’obtenir des avantages, dont la possibilité de poser sa candidature pour des postes permanents, de ne pas passer en dernier dans l’attribution des tâches et de toucher un salaire plus intéressant.

Une femme à l'air déçu regarde l'objectif de la caméra

Aicha Madi trouve dommage de baser un refus à un programme qualifiant sur une moyenne insuffisante à un baccalauréat obtenu il y a deux décennies. Elle aurait souhaité que la reconnaissance de son bagage en enseignement lui ouvre les portes de rigoureux programmes comme la maîtrise qualifiante en enseignement.

Photo : Radio-Canada / Fannie Bussières McNicoll

Aicha, elle, s’est finalement tournée vers un certificat conçu pour les enseignants formés à l’étranger qui devrait la mener vers le brevet. Mais elle n’a pas la certitude, comme elle l’aurait eu avec une maîtrise qualifiante, qu’elle pourra enseigner le français au secondaire comme elle le souhaite, puisque sa qualification d’origine est l’enseignement de l’arabe.

Je veux avancer ici, m’intégrer à 100 % dans le système d’enseignement au Québec. Je sais gérer une classe, j’ai des acquis. Il faut me donner ma chance!

Une citation de Aicha Madi, enseignante non légalement qualifiée en français au secondaire

La mère de quatre enfants tenait à faire une maîtrise, notamment afin de gagner le respect de ses collègues de travail et de la société, qui a tendance à avoir des préjugés envers les enseignants non légalement qualifiés, d’après elle.

Je voulais ma maîtrise pour avoir plus de force, plus de crédibilité comme enseignante, dit-elle. On nous met tous dans le même bateau. On pense que non légalement qualifié veut dire incompétent, pas à la hauteur pour les enfants. Mais c’est faux!

Innover pour mieux reconnaître l’expérience professionnelle

L’expérience professionnelle pertinente de Josée et d’Aicha n’a pas été prise en considération au moment du processus d’admission dans les maîtrises qualifiantes en enseignement.

C’est justement pour offrir une option à ceux qui sont exclus des programmes qualifiants conventionnels et qui œuvrent déjà dans le réseau scolaire que Nancy Granger, vice-doyenne à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, a développé le Parcours PROF.

Personne ne s’intéresse aux personnes qui ne peuvent pas s’inscrire dans les programmes actuels. Donc, on a créé le Parcours PROF pour répondre à un besoin du milieu, pour soutenir les personnes qui sont déjà dans nos écoles.

Une citation de Nancy Granger, vice-doyenne à la formation continue et aux études supérieures à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke

Depuis cet été, le Parcours PROF offre deux programmes courts : un microprogramme de 15 crédits et un certificat de 30 crédits. Ceux-ci sont professionnalisants et non pas qualifiants, c’est-à-dire qu’ils ne mènent pas au brevet, mais ils outillent les enseignants en gestion de classe et en stratégies pédagogiques, par exemple.

Une vice-doyenne circule dans les corridors de l'Université de Sherbrooke.

Nancy Granger est consciente que la formule qu'elle tente de développer à l'Université de Sherbrooke remet en question les manières de faire dans le milieu de la formation à l'enseignement.

Photo : Radio-Canada / Bertrand Galipeau

Mais à terme, la vision de Mme Granger est d’offrir un cheminement qui mènera, à travers de la formation continue, au brevet d’enseignement. Elle est en train de construire un baccalauréat, qui doit encore franchir plusieurs étapes avant d’être approuvé, qui offrirait une formule flexible qui prend en compte l’expérience des candidats.

Ce que je propose, c’est d’optimiser la reconnaissance des acquis à travers le baccalauréat pour qu’il ne soit pas aussi long que les autres. Les personnes, parce qu’elles sont en emploi et ont un bagage expérientiel, pourraient se faire créditer des cours, suggère-t-elle.

L’Université de Sherbrooke est aussi en train de réfléchir à réduire sa maîtrise de 60 à 45 crédits, pour s’adapter à ceux qui ont déjà une expérience pertinente.

La clef de voûte, c’est de maintenir la formation en continu tout au long de la carrière. On ne veut pas aller dans "l’écourtage" de programmes, mais dans la formation de qualité et progressive, tout en continuant d’accumuler de l’expérience en enseignement, souligne Nancy Granger.

Elle se dit consciente de l’importance d’offrir des parcours flexibles pour, d’une part, répondre au manque de main-d'œuvre qualifiée dans les écoles et, d’autre part, pour s’adapter au profil des personnes, de plus en plus nombreuses, qui choisissent l’enseignement comme deuxième carrière.

Voilà des cheminements qui semblent intéressants pour Josée. Ça peut être une option. Mais on parle de combien d’années avant d’obtenir son brevet? s’inquiète la cinquantenaire.

Trouver l’équilibre pour assurer une formation de qualité

À l’Université de Montréal, on ressent aussi le besoin d’adapter les formations pour s’adapter au profil plus atypique des aspirants enseignants.

On travaille sur la flexibilisation de ces formations pour permettre l’admission sur la base de la reconnaissance des acquis expérientiels, explique Ahlem Ammar, doyenne de la Faculté de l’éducation de l’Université de Montréal.

Ahlem Ammar en gros plan dans un bureau.

Ahlem Ammar est doyenne de la Faculté de l’éducation de l’Université de Montréal.

Photo : Radio-Canada

Le réseau universitaire en entier a par ailleurs entendu l’appel du ministre Bernard Drainville, au début de 2023, pour rétablir une voie plus rapide vers le brevet d’enseignement. Mais il faut être prudent dans la manière de s’y prendre, prévient Mme Ammar.

Oui, la pression de développer des programmes courts est là. Mais l’autre contrainte, qui est plus importante, c’est de former des personnes compétentes.

Une citation de Ahlem Ammar, doyenne de la Faculté de l’éducation de l’Université de Montréal

Elle comprend la frustration de candidates comme Josée Descôteaux à qui on refuse l’accès à la maîtrise qualifiante en enseignement au secondaire. Il faut se rappeler que pour l’enseignement au secondaire, on a des enseignants spécialistes de leur matière. L’exigence des 45 crédits disciplinaires, c’est une balise qui est là pour assurer la rigueur de la formation.

La présidente de l’Association des doyens et directeurs pour l'étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ), Julie Desjardins, elle, n’est pas fermée à l’idée de revoir les critères d’admission de certains programmes.

Je pense que personne ne s’opposerait à ça. […] Mais, on veut qu’être "légalement qualifié" demeure un niveau d’exigence élevé en deçà duquel on ne devrait pas faire de compromis.

Julie Desjardins devant une fenêtre.

Julie Desjardins est présidente de l’Association des doyens et directeurs pour l'étude et la recherche en éducation au Québec.

Photo : Radio-Canada

Selon elle, il faut que le gouvernement et les universités s’assoient ensemble pour réexaminer quels sont les paramètres d’une formation de qualité. Le problème, c’est que le contexte actuel, avec la paralysie au Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) – dont il sera question dans le troisième volet de cette série –, ne permet pas cette réflexion concertée, à son avis.

Il y a tout un chantier à mener pour permettre aux personnes qui souhaitent contribuer de le faire et pour qu’au bout de tout ça, les élèves aient plus qu’un adulte en salle de classe, qu’ils aient un enseignant compétent devant eux.

Une citation de Julie Desjardins, présidente de l’Association des doyens et directeurs pour l'étude et la recherche en éducation au Québec

Dans un courriel que son cabinet nous a fait parvenir, le ministre Drainville réitère l’importance de qualifier le personnel qui travaille déjà auprès des élèves.

Tous doivent mettre la main à la pâte face aux défis que représente la pénurie de main-d'œuvre dans le réseau de l’éducation, insiste-t-il. Accélérer [la formation] ne veut pas dire diminuer la qualité, ça veut dire mieux faire et être plus efficient.

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