Rare cas de botulisme : une femme réclame 4 M$ à une petite épicerie de Beaupré

Les sœurs Alice et Florence Magny ont ouvert leur commerce à l'été 2021.
Photo : Facebook Gramme
Une femme de 31 ans qui a frôlé la mort après avoir mangé de la sauce provenant d'une petite épicerie de Beaupré réclame près de 4 millions $ à la jeune entreprise.
Plus de deux ans après avoir contracté le botulisme, Melinda Guillen vivrait encore avec d'importantes séquelles, dont l'origine serait un pot de sauce Alfredo acheté à l'épicerie Gramme Vrac du boulevard Sainte-Anne.
On parle d'une maladie très, très grave, avec des symptômes désastreux
, indique Me Jonathan Gottlieb, qui signe la poursuite avec un collègue du cabinet d'avocats Kugler Kandestin.
Étourdissements, perte de vision, paralysie, Me Gottlieb fait état de nombreux problèmes de santé éprouvés par sa cliente.

Me Jonathan Gottlieb, du cabinet d'avocats Kugler Kandestin
Photo : Radio-Canada
Dans la poursuite déposée au greffe de la Cour supérieure à Québec, les avocats de la jeune femme reprochent à Gramme Vrac de ne pas avoir conservé le produit Vegan Touch au froid, malgré la mention Garder réfrigéré
inscrite par le fabricant sur l'étiquette.
À ce stade des procédures, les éléments allégués au soutien de la demande introductive d’instance n'ont pas encore été testés devant les tribunaux et restent à être prouvés.
Le document judiciaire expose que Melinda Guillen, une étudiante en horticulture en santé, active et indépendante
, s'est rendue chez Gramme le 31 juillet 2021.
Le commerce, fondé par deux jeunes femmes d'affaires, les sœurs Florence et Alice Magny, avait ouvert ses portes quelques jours plus tôt.

L'épicerie Gramme Vrac a ouvert ses portes sur le boulevard Sainte-Anne en juillet 2021.
Photo : Radio-Canada / Bruno Boutin
Après avoir consommé la sauce, Mme Guillen commence à se sentir étourdie et faible
en plus d'avoir une vision floue.
Elle se rend à l'urgence de l'hôpital de Sainte-Anne-de-Beaupré le 4 août, avant d'y retourner le lendemain puisque son état se dégrade.
Elle était maintenant incapable de boire et elle avait du mal à respirer, à manger, à parler, à marcher et à ouvrir les yeux
, peut-on lire dans la poursuite.
Elle est immédiatement transférée à l'unité des soins intensifs, où elle perdra conscience avant d'être intubée, étant incapable de respirer par elle-même
, indique la requête.

Melinda Guillen est d'abord allée à l'hôpital de Sainte-Anne-de-Beaupré, mais son cas a nécessité un transfert vers une équipe médicale spécialisée.
Photo : Autre banques d'images / Bruno Boutin
Le 6 août 2021, son état nécessite son transfert à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus pour être soignée par des spécialistes. Elle y restera jusqu'au 19 octobre.
Au lendemain de son hospitalisation à Québec, l'équipe médicale soupçonne une infection à la toxine botulique, un poison extrêmement puissant souvent présent dans les produits alimentaires emballés et qui peut provoquer la maladie connue sous le nom de botulisme
, relatent les avocats de Mme Guillen.
Maladie « à surveillance extrême »
Le botulisme est une maladie à déclaration obligatoire et à surveillance extrême
, au même titre que le choléra, la variole et la peste, indique le ministère de la Santé et des Services sociaux dans ses directives.
Avant même d'obtenir les résultats d'analyse, l'équipe médicale qui traite Melinda Guillen lui administre un vaccin préventif le 8 août pour atténuer les effets du botulisme
, signalent ses avocats dans leur poursuite.
Comme le pot de sauce Alfredo soulève un doute, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) est aussi alerté le 9 août.

La sauce Alfredo Vegan Touch a fait l'objet d'un avis du MAPAQ dans les jours qui ont suivi l'hospitalisation de Melinda Guillen.
Photo : Ministère de l'Agriculture des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ)
Dès le lendemain, le ministère publie un avis provincial de ne pas consommer la sauce Alfredo Vegan Touch si elle a été entreposée à la température ambiante. En effet, certains détaillants ont vendu le produit à la température ambiante malgré les indications d'utilisation sécuritaire
, peut-on lire dans le communiqué du MAPAQ, toujours en ligne à ce jour.
Selon la poursuite, les médecins de Mme Guillen ont confirmé que sa consommation de sauce était la cause de son infection par le botulisme
.
Ils allèguent que l'épicerie a vendu un produit atteint d'un vice caché
et dangereux pour la santé des consommateurs
, entraînant un cas grave de botulisme
.
Gramme Vrac avait le devoir de stocker les produits alimentaires qu'elle vendait de manière sûre et sécuritaire pour le public, y compris Melinda.
Les avocats rappellent que cette maladie peut entraîner la mort et allèguent que Melinda et sa famille ont subi des dommages importants.
La jeune femme a été hospitalisée pendant 70 jours, qu'elle a passés la majorité du temps sous respirateur artificiel. Melinda a perdu connaissance à plusieurs reprises. Son corps a été temporairement paralysé et elle a partiellement perdu la vue
, exposent ses avocats, ajoutant qu'elle a dû subir une trachéotomie.
Séquelles importantes
Si sa vie n'est plus en danger, elle a continué à souffrir de limitations importantes, notamment une fatigue persistante, des difficultés de concentration, des étourdissements, une vision altérée, de l'insomnie
, soutient la poursuite.
Depuis sa sortie de l'hôpital, elle a dû quitter son appartement de Québec pour emménager chez sa mère et sa sœur à Ottawa compte tenu de la gravité de ses symptômes et de son incapacité à prendre soin d'elle-même
.
Son état se serait amélioré avant d'atteindre un plateau, l'automne dernier.
Melinda continuerait de souffrir, entre autres, d'un épuisement extrême et de réserves d'énergie limitées, d'une force réduite, d'étourdissements, de faiblesse, de déficits cognitifs (vitesse de traitement et rétention retardées, concentration et attention réduites), de problèmes digestifs et de problèmes de vision
, relatent ses avocats.
Forme de torture
Son hospitalisation prolongée, associée à une paralysie musculaire complète et à l'incapacité de communiquer
, s'apparente à une forme de torture
, selon un expert engagé pour soutenir la poursuite.
La jeune femme réclame 1,5 M$ pour les limitations physiques et les dommages cognitifs que lui aurait causés le botulisme, la rendant inapte au travail. Toujours selon la poursuite, son état nécessitera des soins durant toute sa vie, pour un montant évalué à 1,2 M$. Elle ajoute 300 000 $ pour douleurs, souffrances et perte de jouissance de la vie
.
Avec les réclamations de sa mère et de sa sœur, le montant de la poursuite s'élève à 3,8 M$.
C'est une réclamation très importante, mais c'est une victime qui a beaucoup souffert et qui va beaucoup souffrir dans les prochaines années. Elle a le droit d'être compensée pour tout ce qu'elle a vécu
, justifie Me Gottlieb.
Poursuite contestée
Jointe par téléphone, la copropriétaire de Gramme Vrac Alice Magny a confirmé être en discussion avec nos avocats
.
Un cabinet qui représente la compagnie d'assurances Intact a d'ailleurs signifié au greffe de la cour qu'il contestera la poursuite au nom de l'épicerie.
Par contre, Mme Magny a préféré ne pas commenter davantage le dossier pour respecter les consignes de ses avocats.