Les promoteurs préfèrent payer plutôt que de construire du logement social à Montréal

Depuis avril 2021, un règlement oblige les promoteurs à inclure dans leur projet un volet logement social ou abordable, notamment destiné aux familles. Mais cette mesure n'a pas eu l'effet escompté.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Deux ans après l’adoption d’un règlement municipal obligeant les promoteurs à inclure du logement social et abordable dans leurs lotissements, force est de constater que ces derniers préfèrent payer une pénalité plutôt que de s'acquitter de cette obligation, selon l’opposition officielle à l’Hôtel de Ville.
Une compilation de données effectuée par Ensemble Montréal et examinée par CBC News révèle que depuis l’adoption du règlement, le 1er avril 2021, des promoteurs ont mené à bien 150 nouveaux projets immobiliers à Montréal, pour un total de 7100 logements.
Or, de toutes ces habitations sorties de terre, aucune n'entre dans les catégories de logement social ou abordable : plutôt que de remplir cette obligation réglementaire, les promoteurs ont préféré remettre à l’administration municipale une compensation financière.
De plus, parmi ces nouvelles habitations, seulement 550 sont suffisamment spacieuses pour être considérées comme du logement familial. Enfin, cinq des promoteurs ont cédé une parcelle de terrain à la Ville, une autre possibilité qui leur est offerte en vertu du règlement.
Le règlement municipal pour une Métropole mixte vise à préserver la mixité des quartiers
et à favoriser l’accès à un logement convenable pour toutes et tous
.
Ce règlement oblige les promoteurs à inclure du logement social, familial et, dans certains cas, abordable à tout projet excédant 1476 mètres carrés (4843 pieds carrés).
Jusqu’à présent, les compensations financières des promoteurs totalisent 24,5 millions de dollars, ce qui est insuffisant pour développer le moindre projet de logement social, de l’avis d’experts en habitation. La Ville verse ces sommes soit dans son fonds de logement abordable ou dans celui consacré au logement social.
En entrevue à Tout un matin mardi sur ICI Première, la mairesse Valérie Plante a déclaré que le règlement pour une Métropole mixte était encore jeune
et que la Ville allait en faire sous peu l’évaluation.
Est-ce que je préférerais que les promoteurs fassent du logement social à même leurs bâtiments plutôt que de payer la cagnotte? Absolument.
Mais cet outil de planification
qu’est le règlement ne peut à lui seul suffire pour doter Montréal de plus de logement social, a mis en garde Valérie Plante. C’est la mission du gouvernement du Québec, a-t-elle déclaré, nous [la Ville], on est là pour compléter des montants, pour faciliter.
Bien que Montréal dispose de 600 millions de dollars pour l’achat de terrains et de bâtiments; mais moi je ne construis pas, j’ai pas de briques ni de mortier
, s’est défendue la mairesse.
Même si on obligeait les promoteurs à construire du logement social et qu’on les privait de la possibilité de compenser financièrement la Ville à la place, cela ne se traduirait pas par plus de logements sociaux, familiaux ou abordables, argumente Mme Plante.
Québec n'investit plus, selon la mairesse
Lors de la création du règlement, la mairesse de Montréal reconnaît avoir fait l’erreur
de se baser sur les investissements faits par le passé par Québec. Bon an mal an, tous les gouvernements investissaient dans l’habitation
, dit-elle.
Mais le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) fait des choix différents
, affirme Valérie Plante, qui reproche à ce dernier de ne pas avoir investi depuis trois ans dans ce secteur. Et c’est là où ça ne connecte pas entre cet outil de planification et l’argent qui ne rentre pas.
En mars dernier, le premier ministre François Legault avait défendu le bilan de son gouvernement en matière d’habitation en affirmant que le problème du manque de logements sociaux était attribuable non pas à l’insuffisance des ressources financières, mais à l’inefficacité des autorités municipales qui, selon lui, mettent beaucoup trop de temps à construire des logements.
Quand on passe par l'Office municipal d'habitation de Montréal OMH, ça prend quatre ans [pour] construire. Alors quand même qu’on ajouterait et qu’on ajouterait de l’argent… Il y avait déjà, avant le budget, de l’argent pas dépensé.
M. Legault avait aussi expliqué que son ministre des Finances, Eric Girard, avait choisi de consacrer des sommes pour accélérer les chantiers plutôt que d'annoncer de milliers de nouveaux logements.
La pénurie de logements s'aggrave, dit l'opposition

Julien Hénault-Ratelle est conseiller municipal et représente Mercier-Hochelaga-Maisonneuve pour Ensemble Montréal, qui forme l'opposition officielle à l'Hôtel de Ville. Il affirme que les chiffres concernant la crise du logement dans la métropole sont « catastrophiques ».
Photo : CBC / Charles Contant
Pour Ensemble Montréal, la crise du logement s’aggrave : les chiffres sont catastrophiques
, affirme Julien Hénault-Ratelle, conseiller municipal pour Mercier-Hochelaga-Maisonneuve. Partout, en ville, des familles ne peuvent se payer un logement et il faut agir, vite
.
Au moment de l’adoption de son règlement, la Ville de Montréal avait promis d’en faire le bilan au printemps 2023. Le vice-président du comité exécutif, Benoit Dorais, qui est aussi responsable du logement, affirme que ce sera fait cet automne.
Mais l’opposition officielle, qui a elle-même dressé un bilan en compilant les données ouvertes de la Ville, presse l’administration Plante de révéler ce qu’elle entend faire des 24,5 M$ récoltés et des cinq terrains qui lui ont été remis par les promoteurs.
Le règlement pour une Métropole mixte est un contrat social non négociable que nous avons conclu avec la population, c’est un engagement à construire différemment nos villes et nos quartiers, de sorte que tous y aient leur place, peu importe leur portefeuille.
À qui la responsabilité?
Le programme AccèsLogis Québec permet à des offices d’habitation (OH), à des coopératives d’habitation (COOP), à des organismes sans but lucratif (OSBL) ainsi qu’à des sociétés acheteuses sans but lucratif de créer et d’offrir en location des logements de qualité et abordables.
Mais ce programme ne répond pas nécessairement aux besoins de la situation actuelle, de l’avis de France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation du Québec, qui entend rendre le processus plus fluide grâce à la création du Programme d'habitation abordable Québec (PHAQ).
Le promoteur immobilier Nicola Padulo ne mâche pas ses mots lorsque vient le temps de parler de la responsabilité sociale des promoteurs. Selon lui, Montréal ne favorise pas l’investissement en immobilier : les coûts de construction y sont élevés, la réglementation y est étouffante et les promoteurs, comme lui, sont là pour réaliser des profits.
M. Padulo en a aussi contre le Tribunal administratif du logement qui a un parti pris à l’encontre des propriétaires
, dit-il. Et maintenant, s'insurge-t-il, la Ville veut mettre son nez
dans ses affaires.
La ville est faite pour ceux qui en ont les moyens. Si les gens n’en ont pas les moyens, qu’ils aillent vivre ailleurs.
Nicola Padulo soutient que la Ville devrait dédommager les promoteurs pour la perte de profits qu’occasionne la construction de logement social ou abordable, ou alors les construire elle-même. Si nous devons seuls avaler la pilule, ça ne marchera pas
, prévient-il.
La Ville devrait acheter des terrains, embaucher des entrepreneurs, ériger l’immeuble et prendre la responsabilité de le gérer, selon M. Padulo : Pourquoi ce serait à moi de le faire?
À lire et à voir aussi :
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- Entrevue de Valérie Plante avec Patrice Roy (le 23 août 2023)
Rendre la réglementation plus sévère
Pour les défenseurs du droit au logement comme le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), le manque de coopération des promoteurs en matière de logement social et abordable n’est pas surprenant.
Une réglementation plus stricte est nécessaire pour lutter contre la gentrification et forcer les promoteurs à céder des propriétés ou à inclure de l’habitation sociale
, affirme Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU.
Si l’option leur est offerte de verser une compensation financière, les promoteurs vont la prendre.

Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU, affirme que le règlement visant à obliger les promoteurs à inclure du logement social ou abordable dans leur lotissement devrait être plus sévère et ne pas laisser à ces derniers la possibilité de contourner cette obligation en versant une compensation financière.
Photo : CBC / Julia Page
Mme Laflamme considère que le véritable problème réside dans le sous-financement des programmes de logement social par le gouvernement provincial.
Le FRAPRU estime à 24 000 le nombre de familles inscrites sur des listes d’attente pour du logement social à Montréal. Une centaine de locataires se sont retrouvés sans logement le 1er juillet dernier, toujours selon le FRAPRU.
Bien que la Ville ne puisse régler la situation par elle-même, des règlements tels que celui pour une Métropole mixte sont nécessaires, insiste Mme Laflamme, qui milite pour le renforcement de celui-ci.
On ne peut pas compter sur la bonne volonté des promoteurs, mais on ne peut pas non plus leur remettre les clés de la ville
, dit-elle. Ce qui nous amène à la question suivante : à qui appartient la ville? Aux promoteurs ou à ceux qui y vivent?
Quelle est la différence entre un logement social et un logement abordable?
Un logement social est subventionné par les pouvoirs publics et le loyer est déterminé en fonction de la capacité de payer d’un locataire, explique le professeur de travail social à l’UQAM Louis Gaudreau. Dans les HLM, par exemple, le loyer est plafonné à 25 % du revenu du locataire. Un logement est considéré comme abordable en se basant sur les prix courants. Son prix ou son loyer n’excède pas en général 80 % de la médiane d'une région donnée.
D'après un texte d'Erika Morris de CBC