Pénurie d’enseignants au Québec : avec 5000 postes vacants « on a frappé le mur »

Cette année, le manque d'enseignants est plus important qu'en 2022.
Photo : iStock
La rentrée scolaire approche à grands pas, mais les écoles du Québec manquent cruellement d’enseignants. Selon un sondage effectué par la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE), 5000 postes d’enseignants à temps plein et à temps partiel restent à combler. Une hausse de 72 % par rapport à l’année dernière.
En août 2022, le ministère de l’Éducation faisait état d’un manque de 700 enseignants, à embaucher dans les écoles primaires et secondaires, mais les responsables des établissements scolaires avançaient plutôt le nombre de 1400, en comptabilisant les postes à temps partiel à pourvoir.
Un an plus tard, un sondage interne de la FQDE effectué auprès des directions d’établissement d’enseignement indique qu’il existe actuellement 2000 postes vacants pour les enseignants à temps plein et 3000 pour les enseignants à temps partiel.
Il manquerait également 1440 techniciens en éducation spécialisée (TES), 1608 éducateurs en service de garde, en plus de 912 psychoéducateurs, orthophonistes et psychologues.
La pénurie est telle que le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a dit mercredi qu’il espérait avoir un adulte
par classe pour la rentrée, invitant les jeunes retraités à revenir dans les classes pour prêter main-forte. L’invitation vaut également pour les personnes qui n’ont pas étudié dans le domaine de l’enseignement.
Une rentrée « inquiétante »
Une situation très préoccupante
pour le président de la FQDE, Nicolas Prévost. On est très loin d’une situation optimale pour nos élèves
, a-t-il dit au micro de l’émission Le 15-18.

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE)
Photo : Pace / Nicolas Prévost
Il ne faut pas banaliser cette situation-là. Est-ce que c’est normal de voir des gens sans bac enseigner dans les écoles? On ne peut pas accepter ça. Nos élèves ont droit à un service optimal en ayant des gens qualifiés dans leurs classes.
On ne s’improvise pas enseignant, c’est important d’avoir quelqu’un de qualifié dans les classes. Cela va certainement avoir des répercussions sur le long terme, ajoute M. Prévost. C’est un début inquiétant pour l’année scolaire.
La présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ), Josée Scalabrini, n’est quant à elle absolument pas surprise
par l’ampleur de la pénurie en enseignement. Ça fait des années qu’on dit que la profession enseignante a été dévalorisée [...] et qu’il faut négocier rapidement et intelligemment pour envoyer des signes positifs aux gens qui sont en enseignement et qui veulent quitter la profession, mais ça n’a pas été fait [...] et là on a frappé le mur
, déplore-t-elle dans un entretien téléphonique avec Radio-Canada.
Là, ce qui est urgent, c’est de tout mettre en place pour que ceux qui sont dans le système ne partent pas. J’ai rencontré beaucoup d’enseignants cet été, des enseignants qui ont entre 20 et 30 ans d’expérience et qui se cherchent des emplois hors de l’enseignement, ce qui veut dire que la pénurie va encore augmenter.

Le reportage de Jacaudrey Charbonneau
« Revaloriser la profession »
Selon Mme Scalabrini, dont la fédération représente quelque 87 000 enseignants et enseignantes des centres de services scolaires et commissions scolaires, la solution passe avant tout par la revalorisation de la profession : On veut améliorer les conditions de travail et cela passe par la composition de la classe, l’allègement des tâches et, inévitablement, la rémunération, qui en fin de compte a aussi une influence sur tout ça.

Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ
Photo : Radio-Canada / Alice Chiche
Il faut qu’il y ait une limite d’élèves en difficulté dans une classe sans services pour qu’on s’assure que l’enseignant pourra faire un suivi adéquat de ces élèves-là
, explique-t-elle. En plus, il faudra décomplexifier
les tâches, car enseigner aujourd’hui, c’est beaucoup de bureaucratie, beaucoup de suivis administratifs, qui n’ont rien à voir avec l’apprentissage des élèves
.
Selon Mme Scalabrini, 25 % des jeunes enseignants quittent la profession dans les cinq premières années. Une proportion qui ne cesse d’augmenter, selon elle, et depuis quelques années, c’est au tour des enseignants expérimentés de claquer la porte.
Aujourd’hui, l’ensemble de nos enseignants, tous âges confondus, toutes expériences confondues, quittent la profession
, dit encore Mme Scalabrini, qui refuse de blâmer la pandémie pour l’aggravation de la situation.
C’était déjà prévisible avant la pandémie. Cela fait 13 ans qu’on dit qu’on s’en va dans le mur. Ce mur, on l’a frappé après la pandémie.
Elle appelle le gouvernement à saisir cette occasion
pour répondre au cri de cœur des enseignants en entamant une vraie négociation [...] dans le but d’améliorer leurs conditions de travail
.

Bernard Drainville, député de Lévis, ministre de l'Éducation et ministre responsable de la région Chaudière-Appalaches
Photo : La Presse canadienne / Sylvain Roy Roussel
Au cours des 20 dernières années, tous les gouvernements ont dit que l’éducation était une priorité, mais des gestes concrets, il n’y en a pas eu
, déplore-t-elle encore. Ça prend des signes positifs, [...] une entente qui laisse entrevoir des jours meilleurs
pour les enseignants.
Contacté par Radio-Canada, le bureau du ministre Drainville n'a pas répondu à nos questions.
En janvier 2022, le gouvernement du Québec avait dit souhaiter recruter, former ou requalifier 8000 travailleurs d'ici cinq ans pour contrer la pénurie de main-d'œuvre dans le milieu de l'éducation, un objectif qu'il compte atteindre en faisant appel aux retraités, entre autres. Pour ce faire, il avait promis un chèque de 12 000 $ aux enseignants admissibles à la retraite qui accepteraient de retourner dans les classes. Une recension effectuée par Radio-Canada en juillet dernier a toutefois montré que moins d’une centaine d’entre eux l’ont accepté jusqu’ici.