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Plusieurs universités hésitent à se lancer dans une « course aux armements » contre l’IA

Deux entreprises spécialisées dans la lutte contre le plagiat courtisent les cégeps et les universités du Québec avec leur nouvel outil, qui détecte l’écriture générée par l’intelligence artificielle.

Un individu est en train d'avoir une conversation écrite avec ChatGPT sur un ordinateur portable.

Des données préliminaires du Partenariat universitaire sur la prévention du plagiat (PUPP) concluent qu’un étudiant sur cinq a reconnu avoir utilisé des outils d’IA en ligne dans ses travaux de rédaction universitaire.

Photo : Getty Images / Nicolas Maeterlinck

L'entreprise française Compilatio et l’américaine Turnitin ont chacune développé dans les derniers mois un outil de détection du plagiat généré par l’intelligence artificielle (IA).

Les deux entreprises souhaitent vendre ce nouveau produit au Québec, mais les établissements d’enseignement, préoccupés par l’utilisation croissante par les étudiants des nouveaux agents conversationnels (comme ChatGPT), privilégient pour le moment d’autres approches pour combattre la fraude par l’IA.

Deux entreprises jouent la carte de la séduction

La française Compilatio offre déjà un logiciel de lutte contre le plagiat traditionnel, dit de détection des similitudes, avec la moitié des cégeps et plusieurs universités du Québec, indique en entrevue Aurélie Jamard, la responsable du marché canadien pour l’entreprise. Son employeur proposera dès la prochaine rentrée un nouveau produit qui combinera la détection des similitudes et celle de l’intelligence artificielle.

Mme Jamard a fait le déplacement jusqu’à Montréal en juin pour venir présenter la nouvelle offre de Compilatio à l'occasion du Colloque de l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC). Des cégeps se sont déjà montrés intéressés par cette nouvelle offre, mais aucune entente n’a été signée par des universités québécoises pour le moment.

De son côté, l’américaine Turnititn occupe une part importante du marché anglophone dans ce domaine, et elle est déjà présente dans plusieurs cégeps anglophones au Québec.

Ayant anticipé l’essor et la démocratisation de l’IA générative, Turnitin avait commencé à développer son nouveau détecteur il y a plus de deux ans. Depuis avril, elle a pu rendre accessible à tous ses clients, sans frais, son détecteur de nouvelle génération. Ce dernier deviendra toutefois payant à partir de 2024.

Nous voulions offrir quelque chose rapidement à nos clients, car nous recevions beaucoup de questions, explique la cheffe de produit Annie Chechitelli, de Turnitin.

Une femme aux cheveux roux sourit.

La cheffe de produit Annie Chechitelli indique que Turnitin a voulu être proactive en mettant rapidement en place un outil de détection pour tous ses clients afin «d'apprendre en même temps qu'eux».

Photo : Avec l'autorisation de Turnitin

L’outil de Turnitin permet de détecter les signatures de l’IA, explique Mme Chechitelli : Parce que nous avons de l’expérience dans la façon dont les étudiants écrivent, nous sommes en mesure de voir à quels moments l’écriture de l’intelligence artificielle s’écarte de la rédaction des étudiants.

Les deux entreprises mettent de l’avant le fait qu’elles protègent les données personnelles des étudiants et des établissements, ce qui n’est pas le cas des détecteurs d’IA en ligne et gratuits offerts depuis plusieurs mois déjà.

Détection de l’IA : L’outil miracle n’existe pas

Turnitin se targue d’offrir un outil hautement fiable, avec un faible risque de faux positifs. De son côté, le détecteur de Compilatio offre une fiabilité qui avoisine les 90 %, selon Aurélie Jamard.

L’outil de détection effectue des mesures des caractéristiques statistiques du texte, précise Mme Jamard. Il est donc possible qu’un texte écrit par un humain ait des caractéristiques qui sont proches d’un texte généré par l’IA et réciproquement, d’où ce taux de fiabilité de 90 %, résume Mme Jamard pour expliquer la faillibilité du détecteur.

Tant du côté de Compilatio que de celui de Turnitin, on explique que l’outil technique de détection de la fraude n’est pas suffisant pour sanctionner des étudiants. On fournit des indications sur des passages qui sont suspects, souligne Aurélie Jamard. À l’ère de l’IA générative, la détection n’est qu’une des étapes du processus d’intégrité universitaire, indique-t-on du côté de Turnitin.

Si les établissements se mettent en tête d’attraper tous les tricheurs et de trouver le détecteur parfait, ils n’y arriveront pas. L’outil miracle n’existe pas. Le taux de fiabilité de 100 % ne pourra jamais être atteint.

Une citation de Aurélie Jamard, responsable du marché canadien à Compilatio

Possible de prouver de manière incontestable le plagiat?

Lors de la dernière session universitaire, plusieurs établissements ont traité les cas soupçonnés de plagiat avec l’IA de la même manière que les cas de plagiat traditionnel. Certains, comme l’Université de Montréal, ont suggéré à leur corps professoral d’utiliser les détecteurs d’IA en ligne et gratuits. Néanmoins, cela a causé bien des maux de tête à certains enseignants, car il est difficile, voire impossible, de démontrer le recours à des robots conversationnels.

Certaines universités ont d’ailleurs reconnu n'avoir pas tenté de sanctionner les cas soupçonnés de plagiat par l’intelligence artificielle, justement en raison du manque de fiabilité des outils de détection.

Nous ne pouvons sanctionner ce que nous ne pouvons prouver de manière fiable.

Une citation de Émilie Novales, conseillère principale en relation avec les médias, HEC Montréal

La seule façon d’être certain que l’étudiant a plagié en utilisant l’IA en ce moment, c’est s’il l’avoue, résume Martine Peters, directrice du Partenariat universitaire sur la prévention du plagiat et enseignante à l’Université du Québec en Outaouais (UQO).

Une femme souriante devant un sigle de l'Université du Québec à Rimouski

Karine Lemarchand, doyenne des études de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), estime que ChatGPT et ses semblables ne sont pas que des outils de fraude, mais qu'ils peuvent aussi être des outils de travail pour les enseignants et les étudiants.

Photo : Avec l'autorisation de Karine Lemarchand

Pour Martine Peters comme pour Karine Lemarchand, la doyenne des études à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), la situation actuelle ne permet en aucun cas de sanctionner des étudiants.

Le problème, c’est qu’on n’a aucun moyen de prouver hors de tout doute l’existence d’un texte plagié, avoue Mme Lemarchand, qui craint les conséquences d’éventuels faux positifs de logiciels de détection de l’IA. Il y a un danger d’aller demander à des étudiants de faire la preuve qu’ils ne sont pas coupables. Il faut respecter les droits de nos étudiants.

Des universités loin d’être convaincues

Sceptiques quant à la performance de tels outils, plusieurs universités évitent pour le moment de conclure des ententes pour se doter de ces nouveaux détecteurs de plagiat.

Nous restons en veille concernant les outils disponibles sur le marché, indique-t-on du côté de HEC Montréal. Pour nous, ce n’est pas la voie privilégiée, mentionne de son côté Karine Lemarchand, de l’UQAR.

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’utilité de ces outils de détection est aussi remise en question. Même si ceux-ci en venaient à se perfectionner, Jean-Christian Pleau, vice-recteur à la vie universitaire de cet établissement, ne s’empresserait pas de s’en doter. Combien de temps seront-ils fiables? Est-ce que l’IA va apprendre à déjouer ces logiciels? soulève-t-il.

Un vice-recteur de l'UQAM en entrevue avec Radio-Canada

Jean-Christian Pleau, vice-recteur à la vie universitaire de l'UQAM

Photo : Radio-Canada / Charles Dumouchel

Est-ce que c’est une bonne stratégie d’entrer dans une course aux armements avec l’IA? Peut-être que ce n’est pas la bonne réponse. Peut-être que la bonne réponse consiste plutôt à se demander comment notre formation doit être revue, pour qu’elle ne soit plus vulnérable par rapport à l’IA.

Une citation de Jean-Christian Pleau, vice-recteur à la vie universitaire de l'UQAM

D’autres établissements d'enseignement se montrent un peu plus ouverts, sans pour autant avoir conclu des ententes avec des fournisseurs.

Tout est sur la table, incluant des logiciels de détection. On ne peut rien exclure, écrit-on du côté de l'UQO. À l’Université de Montréal, on dit être en discussion avec des fournisseurs.

Aurélie Jamard, de Compilatio, comprend l’hésitation de certains établissements à investir dans ces nouvelles technologies. On est d’accord avec les établissements. S’armer au maximum pour être sûr de pouvoir tout trouver, ce n’est pas le but du jeu. Il ne faut pas se tromper de combat, convient-elle.

Revoir le processus d’évaluation des étudiants

Plutôt que de miser sur les outils de détection de l’IA, la majorité des établissements d’enseignement consultés ont indiqué qu'ils préféraient insister auprès de leur corps enseignant pour qu’il adapte ses évaluations de manière à limiter le recours à ces robots conversationnels.

Les outils de détection vont jouer un rôle, mais c'est surtout important de faire évoluer l'évaluation, aussi. Les travaux peuvent se faire en classe, on peut prioriser les présentations orales... Il faut évaluer davantage les compétences, le travail authentique.

Une citation de Claude Martel, directeur du Centre de pédagogie universitaire (CPU) de l’Université de Montréal

Nous préférons une approche préventive en travaillant sur l’adaptation de nos modalités d’enseignement, indique dans le même esprit HEC Montréal.

Depuis le début de la session d’hiver 2023, les universités ont aussi agi sur différents fronts pour composer avec l’essor de l’IA générative.

L’UQO, HEC Montréal et l’Université de Montréal ont, par exemple, décidé de réviser leur règlement concernant le plagiat et la fraude pour proscrire toute utilisation d’un système d’intelligence artificielle, à moins d’autorisations explicites d’un enseignant. D’autres établissements sont en train de le faire.

Les nouveaux outils d’IA ont tenu en haleine Carl Bouchard, vice-doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, ces derniers mois. En attendant que les décideurs se positionnent, certains établissements, dont le sien, ont décidé d’agir pour tenter de répondre aux questionnements et aux inquiétudes de leurs enseignants. On sentait un besoin de la part du corps professoral, qui nous demandait d’être mieux armés devant cette nouvelle menace pédagogique, dit-il.

Un homme portant la moustache et souriant en entrevue à l'extérieur de l'Université de Montréal.

Carl Bouchard, vice-doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal

Photo : Radio-Canada / Carl Mondello

Il faut travailler à la fois contre et avec ces outils. [...] On ne peut pas céder à la panique. Comme pour tous les outils technologiques, ça va prendre du temps d’adaptation. On fait confiance à nos enseignants. Ils vont être capables de s’adapter et de trouver des solutions.

Une citation de Carl Bouchard, secrétaire de la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal

Comme cela est le cas dans d’autres centres de pédagogie universitaires, le CPU de l’Université de Montréal a rapidement mis sur pied des formations réservées aux enseignants, pour sécuriser ces derniers dans cette période de transition, comme le dit son directeur, Claude Martel. Oui, c’est une transformation importante qui a amené un petit vent de panique, mais on essaie de garder les professeurs le plus informés possible, souligne-t-il.

L’Université Laval abonde dans le même sens : [Nous voulons] apprendre à travailler et à vivre avec ces intelligences artificielles. Nous souhaitons que la communauté étudiante puisse apprendre à utiliser ces nouveaux outils, qui font désormais partie de notre réalité, en gardant son esprit critique et sa capacité d’analyse.

D’autres universités semblent moins interpellées ou proactives en la matière. Nous sommes à l’étape de faire la tournée des différents départements, afin de voir si la problématique nous touche et, si oui, de quelle façon, indiquait le conseiller en communication de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) à la fin de la session d’hiver 2023.

Pour ce qui est des cas soupçonnés de fraude par l’IA ayant été sanctionnés lors de la dernière session, des données existent, mais certaines universités ont refusé de les rendre publiques. Seule la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal a accepté de spécifier que quelques dizaines de cas de plagiat de ce genre ont été recensés jusqu’à présent et que moins d’une dizaine ont entraîné une sanction.

De tels chiffres semblent malgré tout faibles, reconnaît le vice-doyen Carl Bouchard. Est-ce qu’il y a peu de cas parce que c’est peu utilisé ou parce que c’est peu détecté? J’ose croire qu’on a été assez proactifs depuis janvier, que les professeurs se sont adaptés. Le résultat, c’est peut-être des cas un peu moins affolants que ce à quoi on pouvait s’attendre, conclut-il.

Des lignes directrices gouvernementales demandées

L’experte en intégrité universitaire Martine Peters appelle la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, à agir rapidement pour encadrer l’usage de l’IA dans les cégeps et universités et pour outiller les enseignants.

Une enseignante présente devant une classe remplie d'enseignants universitaires.

Depuis le mois de janvier, Martine Peters a donné plus de 25 formations aux quatre coins du Québec et a rencontré des centaines d’enseignants pour leur expliquer comment s’adapter.

Photo : Radio-Canada / Charles Dumouchel

C'est le temps, maintenant, de réfléchir à comment on organise tout ça au niveau provincial pour pouvoir favoriser l'apprentissage de nos étudiants.

Une citation de Martine Peters, directrice du Partenariat universitaire sur la prévention du plagiat et enseignante à l’UQO

Tout le monde demande des balises claires de la part du gouvernement pour nous aider. En ce moment, on travaille tous dans nos [établissements respectifs], mais c’est clair que les règles devront être communes à tous, conclut pour sa part Karine Lemarchand, de l’UQAR.

En entrevue avec Radio-Canada en mai, la ministre Pascale Déry avait rappelé que le Conseil de l’innovation du Québec avait été mandaté pour réaliser à l'automne une consultation sur l’intelligence artificielle qui abordera les questions de l’enseignement supérieur et qui permettra d’alimenter le gouvernement dans la prise de décision concernant les politiques publiques dans ce domaine.

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