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Pesticides : démission « révélatrice » d’un scientifique nommé par Ottawa

Le professeur pense que le gouvernement fédéral donne « un faux sentiment de sécurité » aux Canadiens.

Bruce Lanphear, dans un jardin.

Le professeur en sciences de la santé Bruce Lanphear avait été choisi par le gouvernement canadien pour coprésider un comité d'experts scientifiques au sujet des pesticides.

Photo : Simon Fraser University

Un scientifique nommé l'an dernier pour conseiller Santé Canada dans ses décisions relatives aux pesticides a claqué la porte. Dans une lettre de démission datée du 27 juin, le chercheur en santé environnementale des enfants Bruce Lanphear dénonce le manque de transparence du gouvernement fédéral, l'influence de l'industrie agrochimique et les failles du système d'autorisation des pesticides au Canada.

Je crains que le Comité consultatif scientifique (et mon rôle de coprésident) ne donne un faux sentiment de sécurité en donnant l'impression que l'ARLA [Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire] protège les Canadiens contre les pesticides toxiques, écrit-il. Sur la base de mon expérience au cours de l'année écoulée, je ne peux pas donner cette assurance.

Médecin de formation, le professeur de l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, avait été nommé en juin 2022 à la tête d'un nouveau comité chargé de conseiller l'ARLA au sein de Santé Canada. Le gouvernement fédéral voulait ainsi rassurer les Canadiens à la suite d'une controverse survenue juste avant le déclenchement de la campagne électorale, en 2021.

Justin Trudeau et Jean-Yves Duclos assis côte à côte en conférence de presse.

Le premier ministre Justin Trudeau, à droite, et le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Radio-Canada avait révélé que Santé Canada voulait augmenter les quantités de résidus de glyphosate permis dans les légumineuses et permettre plus de traces de pesticides dans les petits fruits. Nous avions ensuite découvert que ces révisions avaient été lancées à la demande des fabricants de pesticides Bayer et Syngenta.

En entrevue, une cadre de Santé Canada nous avait expliqué que les compagnies de pesticides nous donnent des données scientifiques, on les évalue, puis on propose des limites maximales de résidus à la suite de cette évaluation. Une affirmation qui n'avait pas rassuré tout le monde.

Le tollé avait poussé le fédéral à promettre de s'adjoindre des scientifiques indépendants (Nouvelle fenêtre) afin d'être plus transparent et de renforcer le système canadien de réglementation des pesticides.

Des haricots noirs, blancs et rouges, des lentilles et des pois chiches dans des bocaux.

Une limite maximale de résidus (LMR) est la plus grande quantité de résidus de pesticides qui peut rester sur (ou dans) un aliment lorsqu’un pesticide est utilisé correctement.

Photo : iStock

Accès refusé à des données

Bruce Lanphear raconte dans sa lettre que lui et plusieurs membres du comité ont demandé à examiner les données qui avaient permis d'autoriser l'utilisation au Canada de deux pesticides controversés : l'herbicide glyphosate et de l'insecticide chlorpyrifos. Les conseillers scientifiques voulaient comprendre sur quelle base, notamment sur quelles études sur des populations humaines, le gouvernement s'était appuyé. Mes demandes ont été refusées, explique-t-il.

Il est aujourd'hui établi que le chlorpyrifos a un impact négatif sur le quotient intellectuel des enfants (Nouvelle fenêtre). Son utilisation sera finalement interdite au Canada en décembre 2023. Dès 2015, Santé Canada s'interrogeait (Nouvelle fenêtre) si elle devait interdire son utilisation.

Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour restreindre ou interdire l'utilisation du chlorpyrifos? Ce sont des questions pour lesquelles je n'ai pas pu obtenir de réponse.

Une citation de Extrait de la lettre de démission de Bruce Lanphear, coprésident démissionnaire du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires
Pulvérisation d'herbicide dans un champ de plantes de couverture.

Épandage de pesticides

Photo : Radio-Canada

En entrevue avec Radio-Canada, le chercheur ne remet pas en question le professionnalisme des employés de l'ARLA, mais il pense que le système les contraint et que des raisons légales les empêchent d’être aussi transparents qu’ils le voudraient.

Bruce Lanphear rappelle que, l'an dernier, une étude dirigée par Santé Canada (Nouvelle fenêtre) a retrouvé du glyphosate dans l'urine de 74 % des femmes enceintes analysées. En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé a classé le glyphosate comme probablement cancérogène pour les humains.

J'ai demandé à plusieurs reprises comment l'ARLA utilise les nouvelles études de biosurveillance dans son processus réglementaire. Je n'ai jamais reçu de réponse.

Une citation de Extrait de la lettre de démission de Bruce Lanphear, coprésident démissionnaire du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires

Le glyphosate, herbicide le plus utilisé du pays, est autorisé au Canada au moins jusqu'en 2031.

Interrogé par Radio-Canada, l'ARLA répond que le mandat du comité prévoit la possibilité de discuter d'évaluations complexes, mais il se concentre actuellement sur les priorités qui ont été discutées et décidées en tant que comité.

Influence de l'industrie dans les décisions

Bruce Lanphear dénonce aussi dans sa lettre la présence de représentants de l'industrie dans un autre comité chargé de conseiller Santé Canada sur ses politiques et règlements relatifs aux pesticides. Il nous a fait part de son « inconfort » face à ce « conflit d’intérêts évident » : Ils ne peuvent pas donner des conseils impartiaux.

Santé Canada répond que « pour améliorer la transparence », elle se doit de prendre conseil auprès de diverses sources et comités, y compris des experts scientifiques, des représentants de l'industrie et d'autres parties prenantes. Le ministère l'assure : L'ARLA reste pleinement ancrée dans la science.

L'ARLA croit fermement à l'importance de la transparence et consulte le public sur toutes les décisions majeures proposées.

Une citation de Marie-Pier Burelle, porte-parole de Santé Canada

Actuellement, la vaste majorité des études sur lesquelles s'appuie le gouvernement pour prendre ses décisions sont produites par les fabricants de pesticides eux-mêmes.

Des bouteilles du désherbant Roundup, contenant du glyphosate, sur une tablette de magasin.

Le Roundup et son ingrédient actif, le glyphosate, est l'herbicide le plus vendu du monde.

Photo : Reuters / Yves Herman

Le conseiller scientifique raconte, par ailleurs, que les membres du comité ont appris, par un cadre de l'ARLA, que seules quelques études étaient disponibles pour certains pesticides. Comment l'ARLA peut-elle être sûre que les réglementations sont protectrices en l'absence de données?, se demande-t-il.

Il donne aussi l'exemple du remplacement de pesticides jugés trop nocifs (comme les insecticides « tueurs d'abeilles ») par d'autres pesticides qui finissent par se révéler, eux aussi nocifs.

Cette substitution regrettable a convaincu de nombreux scientifiques que nous ne pouvons plus continuer à nous fier à un système réglementaire obsolète qui protège l'industrie des pesticides plus qu'il ne protège les Canadiens.

Une citation de Extrait de la lettre de démission de Bruce Lanphear, coprésident démissionnaire du Comité consultatif scientifique sur les produits antiparasitaires

Santé Canada assure examiner diverses études de toxicité afin d'évaluer les effets potentiels sur la santé : Il s'agit notamment d'études visant à caractériser la toxicité aiguë et chronique (à court et à long terme), le risque de cancer, la toxicité pour la reproduction et le développement, l'immunotoxicité, la neurotoxicité, la génotoxicité et le risque de perturbation endocrinienne.

Une démission « grave, logique et révélatrice », selon un groupe écologiste

La responsable de la campagne Sortir du glyphosate à Vigilance OGM, Laure Mabileau, a l'impression que la démission du conseiller scientifique « valide » les prises de position de son organisation : Dans chacune des décisions de Santé Canada sur les pesticides, il y a l'emprise de l'industrie.

Selon elle, la démission de Bruce Lanphear est « grave, logique et révélatrice », car elle vient d'un scientifique qui a vu aller le gouvernement de l'intérieur. Comme lui, elle demande « une réforme profonde ».

Vigilance OGM appelle les autres membres du comité scientifique à démissionner s'ils sont d'accord avec ce constat-là.

Pas de démission pour l'autre coprésidente, mais des critiques partagées

Contactée par Radio-Canada, la coprésidente du comité, Valérie Langlois, professeure titulaire à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), assure ne pas vouloir démissionner, mais elle « partage les opinions » de son confrère.

Je suis extrêmement déçue, car Bruce, c'est un scientifique de renom au Canada et à l'international, explique celle qui étudie les effets des contaminants environnementaux, dont les pesticides, sur la santé des animaux.

Je comprends pourquoi il est parti.

Une citation de Valérie Langlois, coprésidente du comité et professeure titulaire à l'INRS

Elle a toutefois une « perspective différente » et veut rester optimiste : J'ai l'espoir de faire passer quelques éléments importants pour améliorer la gestion des pesticides au Canada.

Valérie Langlois

La professeure Valérie Langlois, spécialiste en écotoxicogénomique à l'INRS.

Photo : Institut national de la recherche, Laëtitia Boudaud

Je l'ai dit fort à plusieurs reprises, dans la dernière année, que, des fois, j'ai vraiment l'impression qu'on ne nous écoute pas, qu'on ne veut pas être des marionnettes, raconte-t-elle. Et on n'arrêtait pas de me répondre que non, qu'on est en train de faire une grosse transformation, ça prend du temps, on est en train de changer les mentalités.

Valérie Langlois raconte que Santé Canada a demandé aux membres du comité scientifique d'être « patients » et indiqué que les choses changent tranquillement à l'intérieur.

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