AnalyseLe début du ralentissement de l’économie canadienne?
« C’est la suite logique pour les entreprises. Elles ont moins de profits et lorsqu’on fait face à un ralentissement, on retire les emplois affichés, puis on coupe les heures et finalement, dans certains cas, on fait des mises à pied », soutient un économiste.

Deux travailleurs discutent au Port d'Halifax.
Photo : Radio-Canada / Robert Short
Si une hirondelle ne fait pas le printemps, un mois ne donne pas toutes les informations sur le marché du travail. Mais avec une première hausse du taux de chômage depuis août 2022, on peut penser qu’il s’agit là du premier signe concret du ralentissement économique attendu, conséquence des hausses répétées des taux d’intérêt par la Banque du Canada.
On peut avoir des anachronismes et des variations de mois en mois, mais la tendance est maintenant là. Et je crois que ce sera encore plus clair lors des prochains mois
, croit l'économiste Daniel Denis en entrevue à Radio-Canada.
Car tous les indicateurs pointent dans la même direction. Même si la pénurie d’emplois demeure importante, le nombre de postes vacants s’est affaissé lors des derniers mois. Il y en avait 815 300 en mars dernier, une forte baisse face aux 990 000 postes vacants de mars 2022.
De plus, les heures travaillées ont beaucoup diminué lors des dernières semaines. Et finalement, avec les dernières données de l’emploi, on voit que les mises à pied sont maintenant commencées. Les pancartes Nous embauchons
, très présentes depuis la pandémie devant les entreprises, pourraient devenir plus rares dans certains secteurs de l’économie lors des prochains mois.
C’est la suite logique pour les entreprises. Elles ont moins de profits et lorsqu’on fait face à un ralentissement, on retire les emplois affichés, puis on coupe les heures et finalement, dans certains cas, on fait des mises à pied. Tout cela a commencé, on le voit de plus en plus.
En mai dernier, le taux de chômage a augmenté de 0,2 % à 5,2 % au Canada et 17 000 emplois ont été perdus, ce qui est la conséquence du ralentissement économique, a aussi confirmé Statistique Canada lors de la publication de ses chiffres, vendredi.
Tout un contraste avec la fin de l’année passée et le début de 2023 où le marché de l’emploi était en ébullition malgré les hausses de taux d’intérêt, avec 104 000 emplois créés en décembre et 150 000 en janvier.

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, et la première sous-gouverneure de l'institution, Carolyn Rogers, lors de leur comparution en avril 2023 devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes. (Photo d'archives)
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
Une question de temps
Mais pour la Banque Nationale, il était clair que le marché du travail allait subir les contrecoups de l’augmentation du taux directeur. Avec le ralentissement prévu, les entreprises veulent contrôler leurs coûts, un phénomène qui risque de s’accentuer lors des prochains mois.
Selon nous, ce n’était qu’une question de temps avant qu’un revirement ne se produise après une vague d’embauches. Nous doutions que le marché du travail continuerait à résister dans un contexte où les hausses de taux d'intérêt de la Banque du Canada n’ont pas encore produit leur plein effet sur l’économie et le marché du travail
, ont écrit les économistes Matthieu Arseneau, Alexandra Ducharme et Emma Patard dans une note publiée vendredi.
Desjardins constate aussi des failles importantes
dans le marché de l’emploi et prévoit toujours un ralentissement économique lors des prochains mois.
Toutefois, l’économiste principal Marc Desormeaux se méfie des projections trop hâtives. Un mois ne fait pas une tendance
, dit-il.
En mai dernier, l’emploi a surtout diminué chez les 15-24 ans, avec une perte de 77 000 postes.

Marc Desormeaux est économiste principal au mouvement Desjardins. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Bienvenu Senga
L’emploi avait très bien performé chez ce groupe d’âge lors des derniers mois, donc on peut penser que les entreprises ont peut être embauché plus tôt cette fois-ci, en raison de la pénurie de main-d'œuvre. Car, pour les 25 ans et plus, la croissance de l’emploi s’est accélérée
, explique M. Desormeaux.
Il faut donc mettre des nuances dans les chiffres présentés. On peut penser que le marché est plus fort que celui présenté dans les manchettes
Même son de cloche pour Dominique Lapointe, économiste et stratège chez Gestion de placements Manuvie.
La baisse est quand même faible et on l’attribue à l’emploi chez les jeunes. Souvent, au mois de mai, on observe des variations saisonnières avec des étudiants universitaires qui se cherchent un emploi pour l’été. […] Ce niveau de baisse d’emploi n’est définitivement pas le signe que l’économie va ralentir substantiellement
, a souligné M. Lapointe à Gérald Fillion lors de l’émission Zone Économie.
Une autre hausse du taux directeur ?
En avril, l’inflation a légèrement augmenté à 4,4 % et l’économie canadienne a crû de 3,1 % au premier trimestre, deux arguments qui ont poussé la Banque du Canada a haussé son taux directeur une neuvième fois depuis mars 2022.
Avec la publication de ces données du marché de l’emploi en berne, l’institution pourrait-elle décider de passer son tour en juillet et de donner une pause aux ménages ? Rien n’est moins sûr !
Tout dépendra des autres indicateurs, le marché immobilier, la croissance de l’économie, l’évolution des salaires (en augmentation de plus de 5 % en mai, au-dessus de l’inflation) et bien sûr l’indice des prix à la consommation (IPC).
C’est sûr que la consommation est moins forte, on voit les mises en chantier qui diminuent, les entreprises investissent moins. Mais je m’attends à ce que les chiffres de l’inflation ne soient pas si bons que cela. Le prix de l’essence a augmenté passablement et il faut voir aussi comment vont évoluer les salaires
, constate M. Denis.
Même son de cloche chez Desjardins, qui croit que la Banque du Canada pourrait tout de même aller de l’avant avec une dixième hausse de son taux directeur.
Notre perspective ne change pas. Nous attendons encore une hausse finale de 25 points de base en juillet. L’inflation de base demeure trop élevée et plusieurs mesures de l’inflation de base avancent encore de 4 % au taux annualisé. Ça justifie encore une autre hausse
, estime M. Desormeaux.
Et à quand une baisse des taux d’intérêt ? Selon plusieurs économistes, il faudra prendre son mal en patience et patienter encore plusieurs mois, au moment où l’économie devrait se retrouver en récession ou en ralentissement.
On anticipe trois mois à l’avance, donc au mois de septembre, les conditions seront malheureusement plus défavorables, ce qui devrait amener la Banque du Canada à se remettre sur pause
, croit M. Lapointe.
Lorsqu’il y aura des signes concrets de ralentissement ou une hausse substantielle du taux de chômage, les banques centrales vont renverser la vapeur, on va rebaisser les taux d’intérêt
, conclut-il.