Paye des fonctionnaires : des centaines de milliers de transactions toujours en retard

Après avoir connu une accalmie, le nombre de transactions en retard a remonté pour atteindre les niveaux préoccupants qu'on avait enregistrés en 2019. Des fonctionnaires, qui en subissent les conséquences, se sont confiés à Patrick Foucault.
Photo : Radio-Canada / Christian Patry
Après avoir atteint un creux il y a deux ans, le nombre de transactions en attente liées à la paye des fonctionnaires fédéraux est remonté au-delà des 200 000 cette année, un niveau semblable à celui de 2019. Preuve, selon un syndicat, que les déboires du système de paye Phénix sont loin d’être terminés.
En janvier 2018, alors que le système de paye Phénix avait près de deux ans, le gouvernement fédéral estimait à 384 000 le nombre de mouvements financiers excédant la charge de travail habituelle du Centre des services de paye de Miramichi, au Nouveau-Brunswick.
Qu’est-ce qu’un mouvement financier?
Les mouvements financiers
représentent les dossiers liés aux salaires, comme les montants dus aux fonctionnaires ou ceux qui leur ont été versés en trop. Ils peuvent aussi être liés à des changements à la situation professionnelle d'employés, comme des congés parentaux ou des promotions.
Leur nombre était descendu sous la barre des 100 000 en 2021. Depuis, il remonte progressivement, pour s’établir à 209 000 en avril 2023.
Des réaffectations d’employés au cœur du problème?
C’est très plate qu’on s’en parle encore aujourd’hui, sept ans après la mise en œuvre du système de paye Phénix
, lance Bruce Roy, président du Syndicat des services gouvernementaux.
Selon lui, cette recrudescence s’explique par un manque de ressources et un changement d’affectation de nombreux spécialistes en rémunération.
Pendant les deux dernières années, des décisions du gouvernement de faire des recouvrements de fonds de trop-payés, dus à des erreurs créées en 2016, fait que certains de nos excellents conseillers en rémunération sont réassignés à ces recouvrements de fonds
, affirme-t-il.

Bruce Roy, le président du Syndicat des services gouvernementaux, a peu d’espoir que le gouvernement règle les problèmes de paye des fonctionnaires.
Photo : Radio-Canada
Selon le syndicat affilié à l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), il faudrait environ 1000 employés de plus pour renverser la tendance, sans quoi les vies des fonctionnaires touchés continueront d’être ponctuées d’angoisse et de décisions difficiles.
On hésite à prendre des promotions, à aller en congé de maternité ou en congé parental. C’est très triste comme situation.
En attente de 82 000 $
C’est le cas de la fonctionnaire gatinoise Manon Bertrand, qui se bat depuis plus d’un an et demi pour obtenir un montant de 82 000 $ qu’elle affirme lui être dû par son employeur.
Depuis un AVC qui a bouleversé sa vie en novembre 2015, l’ancienne spécialiste en rémunération dépend pleinement de l'assurance invalidité à long terme. Or, en 2021, elle apprend qu'elle est mise à pied... depuis 2016.

Manon Bertrand a commencé sa carrière de fonctionnaire au début des années 2000 en tant que conseillère en rémunération.
Photo : Radio-Canada / Émilien Juteau
On lui promet alors une prestation de départ. Si le gouvernement fédéral reconnaît lui devoir 70 000 $, Manon Bertrand estime plutôt à 82 000 $ le manque à gagner. Avec les nombreux retards dans le système, rien ne lui dit quand elle pourra l’obtenir.
Si ce n’était que 200 ou 500 $, ça n'en vaudrait pas la peine
, dit-elle. Mais là, on parle de plusieurs milliers de dollars.
Précision
Une version précédente de ce texte indiquait que la fonctionnaire Manon Bertrand est en attente d'un montant de 12 000 $ de la part du gouvernement fédéral. Ce montant s'élève plutôt à 82 000 $.
Ottawa ajoute des ressources
Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) reconnaît que les arriérés prennent de l’ampleur depuis 2021 en raison de l'augmentation constante et marquée du nombre de mouvements que le Centre des services de paye reçoit
.
Cette augmentation, conjuguée à la grande complexité des dossiers à traiter, a limité notre capacité à réduire le nombre total de mouvements en attente
, explique Alexandre Baillairgé-Charbonneau, porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada.
Par ailleurs, SPAC assure que le rythme de traitement des dossiers s’accélère. En 2022, les spécialistes en rémunération ont traité 138 000 mouvements de plus qu'en 2021, selon le ministère.
Au cours des quatre premiers mois de 2023, nous avons traité 65 000 mouvements de plus qu'au cours de la même période l'an dernier.
Contrairement aux dires du Syndicat des services gouvernementaux, Ottawa soutient que le problème n’est pas lié à des réaffectations d’employés, et que moins de 5 % des conseillers en rémunération du Centre des services de paye sont affectés exclusivement à la tâche de récupérer les montants versés en trop.
Le gouvernement ajoute que le Centre des services de paye a embauché plusieurs centaines d'agents de traitement de la paye et d'employés de soutien de plus depuis novembre 2021. Environ 175 conseillers en rémunération supplémentaires devraient également être engagés d’ici septembre 2023.
Je ne sais plus quoi faire
Depuis la nouvelle de sa mise à pied, Manon Bertrand se sent impuissante. Elle enchaîne les démarches pour tenter de faire accélérer son dossier, sans succès. Après plusieurs appels au bureau de son député fédéral, le libéral Greg Fergus, elle dit ne pas avoir reçu de mise à jour satisfaisante.
Ce n’est pas parce que je n’essaie pas
, se désole-t-elle. C’est décourageant, parce qu’il n’y a pas de lueur au bout du tunnel.
Je ne suis pas la seule. Il y a un paquet de monde comme ça.
C’est un problème pour moi, en tant que député
, répond Greg Fergus, qui se désole que de nombreux fonctionnaires subissent encore des problèmes avec leur paye.

Le député libéral fédéral Greg Fergus (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Mathieu Gohier
Le député fédéral estime que les élus ont un rôle à jouer, mais il reconnaît que la complexité de la situation limite son champ d’action.
Il y a plusieurs classifications dans la fonction publique canadienne
, dit-il. Quand les gens changent d’un poste à l’autre ou qu’ils ont eu des problèmes avec Phénix, c’est difficile de régler ces problèmes. Ça prend beaucoup de travail.
Face à cette situation, Manon Bertrand veut mettre une chose au clair : elle blâme le système, et non les employés. Le système doit changer. Si le système ne change pas, ça ne s’améliorera pas.