Expropriation de Rabaska : Lehouillier ne travaille « contre personne »
Le maire de Lévis explique son silence envers le Port de Québec par son devoir de neutralité dans le processus de création d'une réserve foncière.

Le maire de Lévis explique son silence envers le Port de Québec par son devoir de neutralité dans le processus de création d'une réserve foncière. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Pascal Poinlane
Gilles Lehouillier ne travaille « contre personne » en expropriant partiellement la Société en commandite Rabaska dans le but de récupérer la moitié de ses terrains du secteur Lévis-Est. Le maire de Lévis se défend d'avoir agi cavalièrement, plaidant « l'intérêt collectif », et tend la main « à tous les partenaires » économiques intéressés à collaborer au développement de sa ville.
Le conseil municipal de Lévis a adopté, le 2 juin, une résolution prévoyant l'expropriation puis l'acquisition d'une partie des lots appartenant à la Société en commandite Rabaska.
Situés à la frontière de Beaumont, entre l'autoroute 20 et la route 132, ces terrains totalisent un peu plus de 270 hectares. Gilles Lehouillier en veut la moitié pour répondre aux besoins futurs de la municipalité.
En agissant ainsi, ce dernier a provoqué la surprise et même un choc à l'Administration portuaire de Québec. Le Port, qui détient une option d'achats pour l'ensemble des lots depuis 2017, était sur le point de passer chez le notaire avec les représentants de Rabaska lorsque la résolution a été votée.

La séance extraordinaire du conseil municipal a eu lieu le 2 juin dernier. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Sébastien Vachon
Selon nos informations, la transaction devait se conclure au cours des prochaines semaines, peut-être même le prochain mois. Le Port de Québec venait d'obtenir, ce printemps, les autorisations de Transports Canada afin de compléter l'acquisition des lots. Ces documents étaient nécessaires avant d'aller de l'avant.
Ne restait qu'à fignoler les derniers détails auprès des actionnaires de Rabaska, dont font notamment partie Enbridge et Énergir.
Intérêt de la collectivité
Malgré ces informations de notoriété publique, ni le Port ni Rabaska n'ont été prévenus des intentions de Lévis. À ce sujet, Gilles Lehouillier ne regrette pas son geste. On travaille dans l'intérêt de la collectivité
, lance-t-il en entrevue à Radio-Canada, mercredi.
Même si notre geste peut paraître négatif, sachez qu'il s'inscrit dans un climat positif, de collaboration, et c'est ce qu'on veut faire dans les prochains mois.
En avril, alors que le Port venait d'avoir le feu vert du fédéral pour acheter les terrains, le maire de Lévis parlait de collaboration avec l'administration portuaire. Nous, l'idée qu'on veut amener, c'est la création d'une zone d'innovation en construction navale
, disait M. Lehouillier, galvanisé par l'ajout du chantier Davie dans la stratégie fédérale. Il avait même l'intention d'entamer des discussions avec l'administration portuaire.

Le président-directeur général du Port de Québec, Mario Girard, n'a pas digéré la décision de la Ville de Lévis. Il parlait la semaine dernière d'une action « soundaine, unilatérale et incompréhensible ». (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Daniel Coulombe
Voilà que deux mois plus tard, Lévis vient de lancer un processus d'expropriation compromettant, de l'aveu même du Port de Québec, la transaction avec Rabaska. Le Port a qualifié le geste de soudain, unilatéral et incompréhensible
.
Sur ce retournement de situation, le maire de Lévis affirme qu'il fallait garder un contrôle des usages afin de s'accorder aux désirs des citoyens et des gens d'affaires. Il faut s'assurer d'avoir une certaine emprise d'un site aussi immense
, soutient-il, rappelant que les terrains représentent trois fois les Plaines d'Abraham
.
Rappelons que si le Port de Québec en devenait propriétaire, les lots passeraient sous le giron fédéral et le schéma d'aménagement municipal ne s'appliquerait plus.
Développement rapide, terrains rares
Toujours pour défendre sa décision, le maire de Lévis plaide que sa ville connaît la plus grande croissance économique de la province. Les entreprises s'y installent à coups de dizaines et quand on ouvre une rue, tout se vend
à la vitesse de l'éclair, explique-t-il.
Pour répondre à ses besoins futurs et devant la rareté
des terrains, la Ville de Lévis veut se constituer une réserve foncière. Dans la dernière année, un comité a travaillé à identifier l'ensemble des lots récupérables et ainsi enclencher un processus d'acquisition à la grandeur de la ville. Vous ne voyez que le volet de Rabaska, mais c'est une stratégie d'ensemble
, affirme M. Lehouillier.
Pour les terrains de Rabaska, Lévis a déjà l'autorisation du gouvernement provincial d'y aménager une zone industrielle. Depuis plusieurs mois, Gilles Lehouillier évoque la création d'un parc industriel axé sur le domaine maritime.
Il ne veut cependant pas mettre la charrue devant les bœufs. En entrevue, il assure qu'aucun usage n'a encore été déterminé pour la réserve foncière. La population sera consultée lorsqu'une vision sera mise de l'avant, promet-il.

Le parc industriel Lévis-Est se situerait sur la partie des terrains de Rabaska qui longe l'autoroute 20. (Photo d'archives)
Photo : Capture d'écran - Ville de Lévis
En vertu du schéma d'aménagement actuel, Lévis vise les terrains plus au sud, collés sur l'autoroute 20. L'autre moitié des terrains, qui ne sont pas visés par l'expropriation, pourront être vendus par la Société en commandite Rabaska.
Le Port de Québec pourrait donc toujours acquérir la portion plus au nord, donnant accès au fleuve et à une rare opportunité de construction d'un port en eau profonde. Actuellement, ces terrains sont zonés verts afin d'y permettre l'agriculture.
Des règles à suivre
Sur l'absence de communications avec le Port de Québec et Rabaska, Gilles Lehouillier évoque des raisons juridiques. Lorsqu'on crée une réserve foncière, on ne peut pas entrer en communication avec des tiers qui pourraient être intéressés dans la partie de ces terrains-là
, avance-t-il. Elle doit être amenée dans un contexte de parfaite neutralité.
Tant que l'ensemble des démarches ne seront pas complétées, le maire de Lévis s'abstiendra donc de communiquer avec quelconque partie intéressée. Je ne peux communiquer avec des tiers tant que la résolution n'est pas adoptée.
À nouveau, il répète ne pas travailler contre
le Port dans ce dossier et se dit prêt à collaborer avec tous les partenaires
économiques qui lèveront la main. Pour créer la réserve, c'est le seul instrument qui est à notre disposition actuellement. Notre objectif, c'est que la communauté lévisienne ait son mot à dire pour les usages futurs.
De son côté, la Société en commandite Rabaska évalue actuellement ses options. Nous sommes à examiner les impacts et nous vous ferons connaître la suite lorsque des décisions seront prises
, a indiqué par courriel André L'Écuyer, président de Rabaska.
Toujours sous le choc une semaine plus tard, le Port de Québec adopte pour le moment la même posture.