Un projet de piste d’atterrissage dans l’ouest d’Ottawa cause des turbulences

Les images de drone de CBC offrent une vue aérienne de la propriété où une piste d'atterrissage en herbe a été proposée.
Photo : Radio-Canada
Le projet de construction d’une piste d'atterrissage dans un secteur rural de l’ouest d’Ottawa inquiète le voisinage.
Mark Watson, un résident de Dunrobin, la communauté du quartier West Carleton-March, a appris la nouvelle par le biais d’une note qu’on a glissée, le mois dernier, dans sa boîte aux lettres.
Le propriétaire d’un terrain de plus de quatre hectares ne connaît pas la provenance du message, mais il sait qu’une piste d'atterrissage sur gazon longue de 400 mètres sera construite à moins d'un kilomètre de sa cour.
La piste devrait être aménagée d’ici la fin de l’été. Elle sera construite et gérée par un voisin, Les Nagy.
M. Watson dit s’inquiéter de la pollution que va générer une piste d'atterrissage pour l’environnement, en plus de craindre les conséquences des perturbations occasionnées par le projet pour sa ferme biologique.
Les abeilles n’aiment pas ça
, dit-il.

Un panneau informant les résidents du projet de piste d'atterrissage apposé le long de la clôture de la propriété.
Photo : Radio-Canada / Guy Quenneville
Ce dernier est aussi préoccupé par d'éventuels atterrissages forcés sur la route du sixième rang, une artère locale majeure.
Des voisins ont également confié à CBC qu'ils s'inquiétaient du modèle de gestion des nouvelles pistes d'atterrissage ou aérodromes
. Ils soulignent que les activités se déroulent sous la surveillance de Transports Canada alors que des municipalités, comme la Ville d'Ottawa, ne peuvent rien faire.
Une situation que le conseiller du quartier, Clarke Kelly, a qualifiée de très frustrante
.
Ça ressemble un peu au Far West
, dit l’élu.
Selon les normes en place, Transports Canada exige que les constructeurs de pistes d'atterrissage consultent les résidents du secteur avant la construction et l’aménagement du site.
Or, il n’y a pas eu de consultation au préalable, selon Mark Hayman, un autre résident du coin.
M. Hayman, dont le terrain se situe à proximité du lieu désigné pour la construction de la piste, a indiqué que les communications entourant le projet avaient été épouvantables
et uniquement menées par le bouche-à-oreille
.
Le propriétaire tente de rassurer
Les pistes d'atterrissage sont monnaie courante, selon le propriétaire.
M. Nagy est propriétaire du terrain situé au 1881, chemin du sixième rang depuis plus de deux ans, selon les registres fonciers provinciaux. Il se décrit comme un pilote expérimenté, cumulant plus de 20 ans d’expérience de vol.
Sa piste d'atterrissage est destinée à une utilisation mensuelle très faible
par beau temps, a indiqué M. Nagy à ses voisins, dans une correspondance écrite obtenue par CBC.
Je serais très surpris que vous m'entendiez
, a-t-il assuré à son voisin Mark Watson, selon les dires de ce dernier.
M. Nagy compare son projet à un événement très courant
, soulignant que des hydravions amerrissent fréquemment sur le lac de Constance à proximité, et la présence de deux autres pistes privées dans les environs.
Sur sa propriété, Les Nagy a affiché un panneau sur lequel se trouvent un avis et les plans de son projet de piste d'atterrissage. Les cartes jointes montrent que l'extrémité nord de la piste est assez proche
du chemin du sixième rang, note Mark Hayman, un voisin dont le partenaire commercial est décédé dans un accident à l'aéroport de Carp, en 2021.
L'aéroport est équipé pour gérer les urgences, mais dans une zone résidentielle, faire des atterrissages d'urgence va être difficile
, fait-il valoir.

Le chemin du sixième rang est une artère principale de Dunrobin, située dans l'ouest rural d'Ottawa.
Photo : Radio-Canada / Guy Quenneville
La construction de la piste d'atterrissage devrait commencer en juin et durer trois mois, précise l’avis. Selon le document, tous les commentaires et questions devaient être communiqués par téléphone, courriel ou courrier du 5 avril au 20 mai.
Le panneau a toutefois échappé à Patricia Ganim, une autre résidente du secteur, qui déplore que l’information n’était pas assez visible.
Je passe par là probablement quatre ou cinq fois par semaine
, a-t-elle déclaré.

Patricia Ganim craint que la piste d'atterrissage affecte la valeur de sa maison.
Photo : Radio-Canada / Guy Quenneville
Mark Watson et Mark Hayman ont indiqué que leur voisin, Les Nagy, ne les avait jamais approchés en personne pour discuter de son projet. Patricia Ganim, pour sa part, dit avoir reçu un avis à l’adresse de sa propriété commerciale, aussi dans le secteur, mais pas à son domicile principal, situé à trois portes de M. Nagy.
Les Nagy maintient, de son côté, qu'il a suivi toutes les étapes requises par Transports Canada.
Il a décliné une demande d’entrevue formulée par CBC et n'a pas répondu aux questions relatives à ses plans et au processus de consultation. Il a préféré renvoyer CBC vers Transports Canada qui a redirigé les questions vers le principal intéressé, Les Nagy.
Mark Watson raconte avoir demandé à Les Nagy de visiter l’endroit qui deviendra une piste d'atterrissage, mais on lui a répondu par courriel que le propriétaire avait peur face aux gens qui devenaient un peu méchants
.
Je ne cherche pas à obtenir la permission, mais plutôt à entendre les préoccupations et à parvenir à un compromis.
Selon M. Watson, Les Nagy s’est engagé à répondre aux questions des résidents du secteur par téléphone, ajoutant avoir reçu plusieurs courriels de voisins concernés.
M. Nagy lui aurait également dit qu'il ne cherchait pas à obtenir la permission
, mais qu’il voulait plutôt entendre les préoccupations et parvenir à un compromis
.
Je serai très sensible à votre droit de profiter de votre propriété, tout comme j’ai le droit de profiter de la mienne. Je suis prêt à répondre à vos préoccupations
, a déclaré M. Nagy.
Patricia Ganim a quant à elle déclaré que M. Nagy lui avait dit qu'il avait peur d'être intimidé par ses voisins, annulant une réunion prévue sur son projet de piste d'atterrissage.
Aérodromes 101 : comment fonctionne le processus?
Le projet d’aérodrome de M. Nagy met en lumière un système critiqué pour être trop fortement axé sur les pilotes et pas assez sur les municipalités et les voisins.
La réglementation encadrant l'approbation et l'emplacement des aérodromes relève entièrement
du gouvernement fédéral, a expliqué la Ville d'Ottawa, dans une déclaration envoyée par courriel, ajoutant que les aérodromes ne nécessitent pas de zonage municipal particulier.
Les villes ne peuvent même pas enquêter sur les plaintes concernant le bruit produit par les activités d’un aérodrome, déplore le conseiller municipal, Clarke Kelly, qui a rapporté le 24 mai avoir reçu des courriels s'opposant au projet de M. Nagy.

Le conseiller municipal Clarke Kelly
Photo : Radio-Canada / ava
La députée fédérale de Kanata-Carleton, Jenna Sudds, a aussi indiqué qu'un nombre limité de personnes l'avaient contactée pour lui faire part de leurs préoccupations concernant la piste d'atterrissage de M. Nagy. Son bureau lui a demandé d'expliquer comment il allait consulter ses voisins.
Le processus de consultation préalable n'est requis que depuis six ans, à la suite de précédents conflits sur l’aménagement d’aérodromes.
Ces règles obligent les promoteurs à parler aux résidents à proximité, explique Patrick Floyd, un pilote et avocat spécialisé dans l'aviation qui connaît bien le secteur de Dunrobin.
Les promoteurs doivent d'abord identifier correctement
les parties intéressées et les intervenants, ce qui inclut aussi les municipalités concernées, selon Transports Canada.
En date du 1er juin, la Ville d'Ottawa a indiqué que M. Nagy n'avait pas sollicité son avis.
[Il est] responsable devant Transports Canada de toute omission
, a répondu la Ville.
Quels voisins doivent être consultés?
En vertu de la réglementation, les résidents du secteur doivent être consultés lorsqu’un projet d’aérodrome est prévu à moins de quatre kilomètres d'une zone bâtie d'une ville ou d'un village
.
S’il se trouve à plus de quatre kilomètres d’un secteur bâti, seuls les propriétaires dont les terres bordent la zone ciblée pour le projet doivent être approchés, précise Patrick Floyd.
Je vis dans la Ville d'Ottawa. De dire qu'il [M. Nagy] a juste besoin d'informer ses voisins immédiats est, je pense, une interprétation très étroite. La réalité est qu'il volera au-dessus de tous ses voisins
, est d’avis Mark Hayman.
CBC a demandé à Transports Canada de confirmer quelle section s'applique dans le cas de M. Nagy.

Une habitante du quartier a déclaré qu'il était peu probable que les automobilistes remarquent le panneau.
Photo : Radio-Canada / Guy Quenneville
L'Association canadienne des pilotes et propriétaires d'aéronefs (COPA) a produit un guide sur la façon de gérer le processus
, dans le cas de l’aménagement d’une piste d'atterrissage, qui comprend une section intitulée S'entendre avec ses voisins
.
La COPA souligne que de nombreux problèmes juridiques peuvent être évités en prenant le temps, au début d'un projet, d'éduquer les gens
.
L'association conseille aux promoteurs d'informer les voisins, mais suggère également, comme M. Nagy l'a fait dans son courriel destiné à M. Watson, d’éviter de demander leur permission
.
Une fois la piste d'atterrissage construite, la COPA encourage les pilotes à organiser des événements, à accueillir des gens et à leur proposer un tour guidé en avion, durant lequel ils pourront observer leur maison du haut des airs.
Il est également recommandé aux promoteurs de ne pas demander de permis municipal, car cela pourrait les priver de la protection relevant de la compétence fédérale
.
Que se passe-t-il après la consultation?
Une fois la fenêtre de consultation terminée, Transports Canada doit recevoir un rapport du promoteur décrivant les plans, les efforts de sensibilisation, les commentaires reçus et la façon dont le propriétaire prévoit répondre aux objections.
Ce rapport devrait être mis à la disposition de toutes les parties concernées pour une période de cinq ans. CBC a demandé à M. Nagy une copie de son rapport et n'a pas eu de réponse.
Transports Canada a déclaré à CBC qu'il n'exige pas de demandes ou d'approbations pour le développement d'aérodromes
, et un organigramme résumant la réglementation indique que, sauf avis contraire, les promoteurs peuvent commencer la construction 30 jours après la remise du rapport.
Le ministre des Transports peut alors donner le feu vert ou émettre un avis demandant plus d'informations pour évaluer les objections persistantes. C'est un processus qui ne fait rien pour protéger les voisins
, a estimé M. Watson.
En vertu de la Loi sur l'aéronautique, le ministre des Transports peut suspendre un projet pour des raisons de sécurité ou d'intérêt public défavorable
.
De son côté, la Ville d’Ottawa dit comprendre la volonté des résidents que la municipalité s’implique davantage dans ce dossier, mais a assuré qu’elle transmettrait ses préoccupations à Transports Canada.
Étant donné que la Ville n'a aucune autorité sur ces types de questions, le personnel n'est pas en mesure de contacter de manière proactive l'agence fédérale ou le promoteur
, a déclaré la Municipalité.
Carolynne Bruce, une résidente de Dunrobin, estime quant à elle que la Ville doit s'exprimer dans cette affaire.
De dire, ''c’est l’affaire du fédéral'', ça équivaut pour la Ville à abdiquer ses responsabilités et à dire aux citoyens inquiets de se débrouiller seuls
, a-t-elle commenté.
Avec les informations de Guy Quenneville, de CBC News