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Un cas de censure dans un débat sur l’identité de genre à l’école devant les tribunaux

Carolyn Burjoski accuse le Conseil scolaire de district de la région de Waterloo de l'avoir réduite au silence lors d'un débat sur la place des livres sur la sexualité dans les bibliothèques de ses écoles.

Il faut laisser les enfants explorer leur identité de genre.

La défense de Carolyn Burjoski demande que la décision du conseil scolaire de Waterloo d'avoir expulsé sa cliente fasse l'objet d'une révision judiciaire afin qu'elle soit de nouveau entendue au sujet de la place des livres sur la sexualité pour les enfants dans les écoles.

Photo : iStock

Carolyn Burjoski conteste devant les tribunaux la décision du conseil scolaire de la région de Waterloo de l'avoir expulsée d'un débat sur la place de certains livres de bibliothèque qu'elle qualifie d'inacceptables à l'école primaire. La résidante avance que le conseil a enfreint sa liberté d'expression et demande une révision judiciaire pour l'obliger à l'entendre de nouveau.

Carolyn Burjoski avait assisté le 17 janvier 2022 à une réunion en ligne du conseil scolaire, pandémie oblige.

La rencontre portait sur la sélection des livres des bibliothèques du conseil pour les enfants de 4 à 11 ans.

Carolyn Burjoski.

Le Centre juridique pour les libertés constitutionnelles représente Carolyn Burjoski dans cette cause contre le Conseil scolaire du district de Waterloo.

Photo : Avec l'autorisation du Centre juridique pour les libertés constitutionnelles

Mme Burjoski, qui enseigne l'anglais aux immigrants, n'est pas employée par le conseil, bien qu'elle cumule 20 ans d'expérience dans l'enseignement.

À l'époque, elle avait tenté d'exprimer son point de vue, en soulignant que les livres proposés sexualisaient les enfants et minimisaient les risques lors des opérations de changement de sexe.

Deux livres controversés

Un livre sur la sexualité pour les enfants du primaire.

Dans le livre « Rick », le personnage principal décide qu'il doit y avoir quelque chose qui cloche avec lui, parce qu'il ne ressent aucune attirance sexuelle pour les filles, si bien qu'il déclare être asexuel.

Photo : Éditions Scholastic

Mme Burjoski avait notamment cité le livre intitulé Rick, qui raconte l'histoire d'un jeune garçon dont l'ami parle tout le temps de filles nues.

Elle avait déclaré aux conseillers scolaires que ce livre montrait le mauvais exemple aux enfants et qu'on devrait cesser de les forcer à être des êtres sexués dès le plus jeune âge.

Mme Burjoski avait ensuite présenté un livre intitulé The Other Boy, qui parle d'un enfant de sexe féminin à la naissance qui s'identifie maintenant comme étant un garçon et qui prend des bloqueurs de puberté.

Une couverture de livre pour enfant sur les opérations de changement de sexe.

Dans le livre « The Other Boy », un médecin explique à une fille le risque de devenir infertile si elle devient un garçon, ce à quoi elle répond que « c'est tendance ».

Photo : Éditions Harper Collins

Elle avait alors commenté devant l'assemblée de conseillers qu'une telle littérature montre qu'il est facile, voire tendance, de prendre des bloqueurs d'hormones sexuelles à un jeune âge.

Le président du conseil, Scott Piatkowski, l'avait alors interrompue après 4 minutes, en alléguant qu'elle violait le Code des droits de la personne de l'Ontario.

M. Piatkowski lui avait expliqué que le Code interdit toute discrimination à l'endroit des personnes transgenres et qu'il était inquiet qu'elle ne s'avance sur un terrain trop problématique pour la laisser continuer sa présentation.

Le Conseil a voté en faveur de la décision de M. Piatkowski et Mme Burjoski a été renvoyée de la réunion.

La défense du conseil scolaire n'a à aucun moment des plaidoiries discuté du propos même des deux œuvres.

PRÉCISION :

Radio-Canada n'a pas lu les deux livres en question, puisque la nature de leur propos ne faisait pas l'objet de cette audience devant la Cour divisionnaire. La défense de la plaignante a brièvement abordé à l'oral le propos des deux livres à l'attention des juges pour les replacer dans le contexte de cette cause sur la liberté d'expression de la plaignante et non des deux auteurs.

Position de la demanderesse

D'entrée de jeu, l'avocat de Mme Burjoski affirme que sa cliente a été polie et professionnelle tout au long de sa présentation, qu'elle n'a pas été blessante à l'égard de quiconque et que la décision de l'expulser était injustifiée.

Rob Kittredge présente d'ailleurs à la cour un extrait du débat qui était diffusé à l'époque sur YouTube. Le ton de sa cliente est en effet calme et posé.

Il précise que sa cliente n'a pu participer à la seconde partie de la rencontre qui portait sur la décision du conseil de ne pas appeler les parents d'un enfant qui mentionnerait son identité de genre à l'école, parce qu'elle avait été expulsée durant la première partie du débat.

Dessin d'hommes et de femmes. La tête est remplacée par des symboles d'identité sexuelle différents.

La défense de Mme Burjoski affirme qu'elle n'a pas violé le Code des droits de la personne de l'Ontario et que le Code n'a pas été écrit pour censurer les Ontariens.

Photo : iStock

Me Kittredge ajoute qu'elle n'était pas hors sujet comme l'a dit le président du conseil. Elle a seulement voulu dire que ces livres sont fallacieux, parce qu'ils oublient de mentionner les conséquences d'une telle intervention chirurgicale plus tard à la vie adulte, dit-il.

Il ne revient pas au conseil de décider si le Code a été enfreint ou non, mais bien au Tribunal ontarien des droits de la personne, poursuit-il.

Il souligne que sa cliente ne faisait que faire valoir son opinion selon laquelle ces livres sont inappropriés pour des enfants et qu'il est raisonnable de se demander s'il vaut la peine pour un conseil d'investir de l'argent dans de tels achats pour ses bibliothèques.

L'avocat affirme ensuite que Mme Burjoski s'inquiétait que l'on parle de bloqueurs d'hormones sexuelles à des enfants du primaire. En quoi a-t-elle enfreint le Code? s'interroge-t-il.

Un tableau vert sur lequel sont dessinés à la craie des symboles de genre masculin et féminin.

La défense de Mme Burjoski soutient que le conseil scolaire de Waterloo a l'obligation, en vertu de son mandat, de respecter les différents points de vue de tout le monde.

Photo : iStock

Son confrère, Jorge Pineda, ajoute que la décision du président Piatkowski était déraisonnable, injuste et biaisée et qu'il s'est servi de son pouvoir discrétionnaire pour faire taire sa cliente.

Le président d'un conseil ne peut utiliser son pouvoir en dehors du mandat qu'il lui a été confié pour refuser de débattre avec des parents qui soulèvent leurs inquiétudes, précise-t-il.

Il affirme que M. Piatkowski ne lui a pas fait comprendre qu'elle était hors sujet et qu'il a cru à tort qu'elle avait violé le Code. Il a usé d'une mauvaise justification pour l'empêcher de poursuivre son propos, dit-il.

Gros plan sur la Charte canadienne des droits et libertés.

La défense de Mme Burjoski rappelle à la Cour divisionnaire de l'Ontario que ses droits ont été enfreints en vertu de l'article 2b de la Charte.

Photo : Radio-Canada / David Horemans

Me Pineda accuse M. Piatkowski de ne pas avoir su équilibrer les intérêts contradictoires dans ce débat, à savoir le droit de Mme Burjoski à la liberté d'expression et le mandat du conseil, qui dicte aux écoles d'être inclusives.

Le conseil scolaire ne s'est pas assuré que les droits de ma cliente avaient été respectés, déclare-t-il.

Il rappelle qu'un débat est un forum démocratique dans lequel toutes les opinions, aussi divergentes soient-elles, sont acceptées dans les limites du respect de chacun.

Il est fondamental que le conseil tolère les opinions avec lesquelles il est en désaccord et qu'il protège la liberté d'expression, conclut-il.

Position du conseil scolaire

L'avocat du Conseil scolaire de Waterloo, Kevin McGivney, demande au tribunal de rejeter du revers de la main la requête de Mme Burjoski, parce qu'elle est sans fondement.

Me McGivney souligne que la partie adverse a omis de mentionner la véritable citation de Mme Burjoski, celle qui a contrevenu au Code.

Elle a dit que le livre The Other Boy parlait d'opérations de changement de sexe comme étant des interventions faciles à faire pour soigner un malaise émotionnel et une détresse sociale, rappelle-t-il.

Les paroles de Mme Burjoski étaient blessantes à l'endroit des personnes transgenres, dit-il en ajoutant que ces personnes sont les plus vulnérables de la société et qu'elles doivent être protégées.

L'identité de genre existe et l'expression du genre est réelle, déclare-t-il.

Pot de crayons et ciseaux déposé sur une table. On y voit des drapeaux inclusif, trans et allié miniatures.

L'avocat Rob McGivney souligne que les mots malaise et détresse sont porteurs de sens, même s'ils ont été prononcés avec calme et civilité dans un débat sur l'identité de genre.

Photo : Radio-Canada / Marie-Lou St-Onge

Me McGivney soutient par ailleurs que M. Piatkowski lui a signifié qu'elle n'avait pas respecté le protocole du conseil sur les débats, ni la Loi sur l'éducation de l'Ontario ni le Code des droits de la personne.

Il explique que Mme Burjoski a eu le droit de reprendre sa présentation après un premier avertissement qui lui indiquait qu'elle faisait fausse route, mais qu'elle a défié M. Piatkowski en continuant dans la même voie.

M. Piatkowski l'a interrompue avant qu'elle ne fasse davantage de mal, poursuit-il.

Il ajoute que la décision a été démocratique, puisque la décision du président Piatkowski a été soumise au vote des conseillers scolaires présents, qui ont voté à la majorité en faveur de son renvoi.

Levée d'un drapeau gai.

Le Conseil scolaire de Waterloo a présenté la récente cause Ann Gillies contre le Conseil scolaire de district de Bluewater, qui lui est favorable dans une affaire relativement semblable.

Photo : Radio-Canada

Me McGivney soutient en fait que Mme Burjoski a tenté de saisir l'occasion pour parler de deux livres qu'elle n'aimait pas voir dans les bibliothèques scolaires de sa région.

L'avocat souligne que la Charte n'est pas un outil qui permet de dire tout et n'importe quoi dans un débat de société.

En ce sens, le président Piatkowski a eu raison, selon lui, d'expulser Mme Burjoski, parce qu'il fallait respecter la Loi provinciale sur l'éducation qui dicte aux écoles d'offrir un environnement positif, inclusif et exempt de toute discrimination et de harcèlement pour tous les enfants.

Un marteau d’un juge.

Les trois juges de la Cour divisionnaire de l'Ontario ont mis la cause en délibéré jusqu'à une date indéterminée.

Photo : iStock / Zolnierek

Me McGivney rappelle enfin à la Cour que le même tribunal a rejeté dans un récent jugement une requête semblable d'Ann Gillies, qui contestait en 2019 la décision du Conseil scolaire du district de Bluewater de ne pas l'entendre à l'oral lors d'un débat au sujet de son opposition au lever du drapeau arc-en-ciel dans les écoles de sa région.

Mme Gillies affirmait, elle aussi, que le conseil avait enfreint son droit à la liberté d'expression, même s'il lui avait offert d'exprimer son opposition par écrit.

Dans sa décision du 1er mai 2023, la Cour divisionnaire a statué que le conseil avait respecté l'équilibre entre les droits de la plaignante à se faire entendre et ceux de la communauté LGBTQ+ visée par sa plainte.

Dans son droit de réplique, Me Kittredge a expliqué que cette jurisprudence n'a absolument rien à voir dans cette cause, dans la mesure où Mme Burjoski n'a jamais présenté l'identité de genre comme une idéologie radicale comme Mme Gillies.

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