Selon les Innus, le projet de stratégie de Québec mènera à l’extinction du caribou

Écologistes et experts s'entendent : des actions décisives sont nécessaires afin d'empêcher la disparition du caribou montagnard de la Gaspésie.
Photo : iStock
Selon les conseils de bande d'Essipit et de Mashteuiatsh, le scénario pour la protection du caribou qui leur a été présenté les 26 avril et 16 mai derniers mènera à l'extinction de l'animal. C'est sans compter que la stratégie ne serait pas définitive en juin comme l'avait pourtant promis le gouvernement du Québec.
Le projet de stratégie du gouvernement du Québec pour la protection des caribous forestiers et montagnards en est une d'extinction, selon les Innus d'Essipit, sur la Côte-Nord, et de Mashteuiatsh, au Lac-Saint-Jean.
Les deux Premières Nations n'ont pas été rassurées lorsqu'elles ont pris connaissance du projet lors de deux rencontres en avril et en mai.
Les Innus dénoncent la superficie inadéquate des aires protégées.
Il faut que ce soit des zones d’envergure, donc appréciables pour permettre à l’espèce de pouvoir y vivre, y survivre, se développer. Il faut également protéger les zones de connectivité entre secteurs parce que c’est un animal qui se déplace sur de grandes superficies
, a affirmé Gilbert Dominique, chef de Mashteuiatsh.

Les chefs d'Essipit, Martin Dufour, et Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, craignent pour l'avenir du caribou.
Photo : Radio-Canada / Andréanne Larouche
Le 25 avril, le ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP) avait annoncé, lors de l'étude de crédits budgétaires, qu'il y aurait une aire protégée dans le secteur du réservoir Pipmuacan, sans toutefois parler de superficie.
Pas définitif, selon les Innus
Selon le conseil de bande de Mashteuiatsh, l'ébauche ne prend toujours pas en compte les droits et les intérêts des Innus. C'est sans compter que le plan qui doit être déposé en juin ne serait pas définitif comme Québec l'avait pourtant annoncé.
On répond à 300 consultations par année et on n’est jamais écouté. Nos préoccupations ne sont jamais prises en compte. C’est rien qu’un devoir fiduciaire ou un devoir du gouvernement provincial de dire: "On a consulté les Premières Nations. Maintenant que c’est fait, on fait à notre tête." Ce qu’il se passe actuellement, c’est surtout des stratégies d’évitement qui sont en train de se mettre en place
, a déploré le vice-chef, Patrick Courtois.
Un attaché de presse du ministre Charette n'a pas voulu confirmer l'information, comme quoi ce qui sera déposé en juin ne sera pas final.
En avril, un autre attaché au même ministère avait confirmé la tenue des consultations sur le projet de stratégie, sans s’avancer sur ce qui serait déposé en juin.
Dramatique, selon Martin-Hugues St-Laurent
Le biologiste et chercheur Martin-Hugues St-Laurent croit qu'une stratégie temporaire pour protéger le caribou aurait des impacts dramatiques sur l'espèce.

Martin-Hugues St-Laurent de l'UQAR
Photo : Radio-Canada
C’est un peu une stratégie de terre brûlée parce que pendant ce temps-là, on est allé récolter les ressources, on les a monétisées et on laisse derrière des habitats qui sont défavorables pour plusieurs décennies, au-dessus de 50 ans. Je pense qu’on va avoir perdu de la marge de manœuvre, potentiellement érodé davantage la forêt, affaibli les populations
, a dénoncé Martin-Hugues St-Laurent, biologiste et professeur en écologie animale à l'Université du Québec à Rimouski.
L’UMQ à Alma vendredi
Par ailleurs, le comité sur la forêt de l'Union des municipalités du Québec (UMQ) abordera la question du caribou à Alma vendredi. Le président de l’UMQ, Martin Damphousse, sera présent.

La mairesse d'Alma, Sylvie Beaumont, et le président de l'Union des municipalités du Québec, Martin Damphousse, participeront à la rencontre de vendredi.
Photo : Radio-Canada / Mélissa Paradis
Par le passé, plusieurs municipalités dans la région ont émis des craintes sur d’éventuelles pertes d’emplois, jusqu’à 2000 directs ou indirects, ou fermetures d’usines qui découleraient de la stratégie de protection qui sera déposée.
Et Ottawa?
Rappelons que le gouvernement fédéral doit également jouer un rôle dans le dossier. En avril 2022, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, avait laissé savoir qu’un décret était en préparation pour assurer la protection du caribou au Québec, en vertu de son statut d’espèce menacée.
Un communiqué conjoint avait ensuite été publié en août avec Québec, comme quoi le gouvernement provincial acceptait de limiter le seuil de perturbation à 35 %. En février, le ministre fédéral avait poursuivi le processus pour faire adopter le décret.

Les ministres de l'Environnement, Steven Guilbeault et Benoit Charette, avaient participé à une conférence de presse à Tadoussac en juin sur le parc marin Saguenay-Saint-Laurent.
Photo : Radio-Canada
Les deux ministres de l’Environnement ont ensuite participé à un point de presse conjoint en mars à Tadoussac, en lien avec un possible agrandissement du parc marin du Saguenay-Saint-Laurent. Steven Guilbeault avait alors dit qu’il était confiant d’en venir à une entente avec Québec d’ici juin et que le plan conjoint permettrait de protéger 65 % de l’habitat du caribou.
Initialement, la nouvelle stratégie de protection du caribou devait être déposée avant la fin de 2021. Elle avait été retardée pour faire place à la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards qui a parcouru les régions touchées au printemps 2022.
D'après un reportage de Mélissa Paradis