Pourquoi un groupe d’orques s’en prend-il aux bateaux au large de la péninsule ibérique?

Certains scientifiques pensent que les orques sont simplement en train de jouer avec les bateaux.
Photo : Associated Press
Des scientifiques internationaux tentent de comprendre pourquoi des orques frappent de plus en plus souvent la coque de bateaux au large des côtes espagnoles et portugaises depuis les trois dernières années.
Le 24 mai, par exemple, dans le détroit de Gibraltar, trois orques s’en sont prises au gouvernail d’un voilier, avant de heurter sa coque à plusieurs reprises, causant des dommages et mettant en péril l’embarcation et ses occupants.
Plus de 500 interactions entre orques et bateaux ont été observées depuis 2020, selon Jared Towers, le directeur de l’organisme Bay Cetology, qui étudie les populations d’épaulards résidents du Nord, près de l’île de Vancouver.

Au large des côtes espagnoles, un voilier a été considérablement abimé par des orques, déclenchant une opération de sauvetage en mer.
Photo : Reuters / April Boyes/Instagram
Une réponse à un stress constant
Selon Lyne Morissette, biologiste et spécialiste des mammifères marins, le stress constant causé par le trafic maritime et le bruit ambiant pourraient être à l’origine du comportement récent et inhabituel de cette population d'orques.
Gibraltar, c’est la pire place à être pour des épaulards. C’est un goulot d’étranglement entre l’océan atlantique et la Méditerranée, et tout ce qui doit entrer ou sortir en Méditerranée passe par là
, déclare-t-elle.
La biologiste pense que les bateaux représentent non seulement une menace de collision pour les orques, mais aussi une menace de compétition pour les ressources de nourriture. Dans les deux cas, un bateau, ce n’est pas vu d’un bon œil par la population d’épaulards
, ajoute Lyne Morissette.
Le professeur et directeur de la recherche sur les mammifères marins à l’Université de la Colombie-Britannique, Andrew Trites, ne croit pas à cette théorie.
Selon lui, le fait que ce soit des bateaux à voile qui suscitent l’intérêt des épaulards rend cette théorie peu probable. « Ces bateaux ne font presque pas de bruit et ne sont pas utilisés dans la pêche aux thons rouges », la nourriture de prédilection pour cette population d’orques.
Un désir de vengeance
Une autre théorie voudrait qu’une matriarche de cette population d’orques, nommée White Gladis, ait été blessée par un bateau dans le passé. Elle serait ensuite parvenue à entraîner d’autres orques dans son désir de vengeance.
Ça ne tient pas debout
, pense Andrew Trites. Imaginez le niveau de communication complexe que ça demanderait pour convaincre les autres de s’engager dans un comportement risqué qui n’apporte aucun bénéfice.
La théorie du jeu
Des scientifiques croient qu’il s’agirait plutôt d’un jeu. Je crois que c’est la théorie la plus plausible
, affirme Jared Towers, de l’organisme Bay Cetology.

Selon Jared Towers, certains comportements peuvent devenir une tendance au sein de plus petites populations d'orques, lorsque les individus s’enseignent des comportements entre eux. Selon lui, ces comportements auraient tendance à disparaître avec le temps.
Photo : Radio-Canada / Justine Beaulieu-Poudrier
Selon lui, les épaulards sont des mammifères qui aiment jouer avec les objets qui se trouvent dans leur environnement, comme les parties d’un bateau, des bouées, de l’équipement de pêche ou d’autres animaux.
Andrew Trites pense aussi que la théorie du jeu est à privilégier.
C’est comme si les épaulards se retrouvaient dans un parc d’attractions et qu’ils jouaient aux autotamponneuses avec les bateaux
, croit-il. J’imagine qu’ils chantent glorieusement en faisant ça
.
D'après lui, en interagissant avec les bateaux, les orques recherchent des sensations corporelles, comme le frottement ou l’eau qui se jette sur eux.
C’est comme s’ils étaient dans un jacuzzi
, explique Andrew Trites.

Quelques interactions isolés entre navire et orques ont été observées en Colombie-Britannique, mais jamais avec autant d’individus sur une aussi longue période, comme on le voit sur les côtes de l’Espagne et du Portugal, affirme Thomas Doniol-Valcroze.
Photo : Radio-Canada / Justine Beaulieu-Poudrier
Thomas Doniol-Valcroze, directeur du programme sur les cétacés à Pêches et Océans Canada, précise que les épaulards sont naturellement attirés par les bateaux. Après tout, ce sont de grands dauphins
.
Le chercheur en biologie marine préfère parler de rencontres ou d’interactions, plutôt que d’attaques. Lorsqu’on regarde les vidéos du comportement des animaux, les animaux n’ont pas l’air très agressif. Au contraire, ils ont l’air d’être assez calmes
, observe-t-il.
En l’absence de consensus scientifiques, le mystère persiste au large de la côte ibérique.