L’importation de mangues haïtiennes de plus en plus rare

Une marchande ambulante transporte des mangues dans les rues d'Haïti. Pour se faire remarquer, certaines entonnent des chants criant leurs marchandises aux potentiels acheteurs.
Photo : Associated Press / Dieu Nalio Chery
Les mangues d'Haïti tardent à se trouver dans les étalages de commerces canadiens en raison de la situation sociopolitique du pays. Des consommateurs d’origine haïtienne expriment leur attachement à cette denrée au goût typique de leur terre natale et espèrent en déguster cette année.

L'entrepreneure Mirmonde Saint Jean souhaite qu'il y ait une sortie de crise afin de permettre à son épicerie de continuer à mieux desservir la communauté haïtienne de Toronto.
Photo : Mirmonde Saint Jean
L’épicière Mirmonde Saint Jean, qui tient le seul commerce spécialisé dans la vente de produits alimentaires haïtiens de Toronto, affirme que la mangue haïtienne a beaucoup de succès auprès de la communauté.
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On est toujours en contact avec nos distributeurs parce qu’il y a beaucoup de demande en grande partie des Haïtiens, mais aussi des consommateurs jamaïcains, roumains et indiens. Ils sont amoureux de cette mangue.
Un fruit qui suscite la nostalgie
Dave Champagne, résident d’Oshawa, à l’est de Toronto, consomme de temps en temps des mangues exportées d'Haïti. Il raconte avoir, durant son enfance, passé ses vacances estivales à Léogâne ou à la Plaine du Cul-de-Sac, deux localités qui produisent en grande partie les mangues de la région métropolitaine de Port-au-Prince.
À l’époque, le jeune garçon en profitait pour grimper sur les manguiers, détacher le fruit des branches et en déguster. On en mange à satiété, à ne plus pouvoir en prendre
.
La mangue haïtienne fait partie de notre patrimoine. Elle nous rappelle notre innocence, l'Haïti qu’on connaît, où le kidnapping n’existait pas.
L’Ottavienne Carla Léonard est aussi originaire d’Haïti. Elle replonge également dans ses souvenirs d’enfance pour démontrer la place de ce fruit dans son identité culturelle. C’est son oncle qui leur apportait des piles de mangues en provenance de la Plaine du Cul-de-Sac.

Différentes variétés de mangues haïtiennes sont posées sur un sac à même le sol. Certaines sont mises dans des récipients en plastique ou en métal.
Photo : Wendel Jean-Baptiste
Elle raconte son excitation qui la conduisait à dévorer le fruit sans tenir compte des dégâts qu’elle causait autour d’elle. Ma maman ne nous laissait pas manger la mangue sur des chaises dans le salon ou la salle à manger. Honnêtement, j’ai encore du mal à rester propre en mangeant une mangue
, avoue la friande de mangues haïtiennes.
Mme Léonard dit être prête à passer des commandes auprès des épiceries locales et à espérer mieux pour la mangue haïtienne sur le marché international.

Cette fillette aspire le jus d’une mangue. Elle fait ce qu’on appelle en créole tòtòt.
Photo : Associated Press / Odelyn Joseph
L'expression faire tòtòt
consiste à liquéfier la chair de la mangue en la frappant ou la pinçant de tout bord sans l'éplucher. Afin d’aspirer le jus, un trou est percé à l’extrémité du fruit pour permettre sa succion.
Haïti possède plus de 108 variétés de mangues
, affirme l’ingénieur et agronome haïtien, Wisky Louis.
Mme Léonard en consomme plusieurs variétés telles que la mangue madame Blanc, la mangue Carotte et la mangue Corne. Cette dernière a une particularité fort appréciée.
Comme on dit en créole, on fait tòtòt avec
, explique Carla Léonard. Elle affectionne particulièrement la mangue Francisque. C’est ma préférée. C’est la Mercedes des mangues
, dit-elle en riant.

L’agronome Wisky Louis, à droite; à gauche, l’agronome Michel Saint Louis, tous deux responsables du département de l’agriculture pour la compagnie Black Gold International S.A, en Haïti.
Photo : Altude Dorcely
L’agronome Louis ajoute que la mangue appelée madan Fransik, (en français Francisque) est la plus exportée. Son confrère, l’agronome haïtien Michel Saint Louis, affirme que les productions de mangues n’ont pas ralenti au pays. Son exportation, par contre, a largement baissé depuis 2021 selon lui.
L’insécurité en Haïti, frein à l'exportation de la mangue
La mangue Francisque fait partie des variétés de mangues attendues par l’épicerie haïtienne de la région de Toronto, qui a pignon sur rue à Scarborough. Les mangues sont censées être livrées tous les jeudis. On avait une livraison à la fin du mois d’avril
, se désole l'épicière Mirmonde Saint Jean.
On était censé recevoir une livraison la semaine dernière. Malheureusement, le fournisseur nous a confié que son camion a été saisi par des bandits en Haïti.
À Montréal, Sami Fruits, dont le dernier stock de mangues haïtiennes remonte à quelques semaines, est aussi en attente d’une cargaison qu’elle espère recevoir ce dimanche.
L’ambassadeur du Canada en Haïti, Sébastien Carrière, a récemment affiché plusieurs adresses où les mangues haïtiennes seraient disponibles. L’épicerie Sami Fruits fait partie de la liste.
Francine Bomben, représentante de Sami Fruits, croit aussi que la situation sociopolitique qui sévit actuellement en Haïti empêche l'exportation des cargaisons de mangues.
Les fournisseurs ont de la difficulté à les acheminer directement d’Haïti, donc c’est envoyé par camion en République dominicaine et parfois elles n’arrivent pas à destination
, raconte la femme d’affaires.
Ça ne va pas bien en Haïti en ce moment, donc on en manque parfois pendant deux à trois semaines.
Sur le terrain en Haïti, les agronomes Wisky Louis et Michel Saint Louis confirment que le climat sociopolitique rend difficile l’accès aux routes et parfois au carburant. Une situation qui affecte les madan Sara, vendeuses au détail et les fournisseurs exportateurs des mangues haïtiennes
.
La résidente d'Ottawa, Carla Léonard, se désole des opportunités de commercialisation manquées pour la mangue haïtienne. Le pays doit aller bien pour que la mangue haïtienne aille bien et aille loin
, dit-elle.
Elle note que l'année en cours n'est pas la plus favorable pour la mangue Francisque, car les inspecteurs américains ne pouvaient pas vérifier les fruits sur place. Cela a mis un frein à son importation.
Auparavant, Haïti exportait 350 000 à 400 000 tonnes de mangues par an.
L’exportation rapportait 7 millions de dollars américains par an. Elle a diminué à 1,5 million de dollars par an
, ajoute-t-il.
Monsieur Saint Louis déplore pour sa part le fait que de nombreuses récoltes de mangues pourrissent actuellement en Haïti.