AnalyseRémunération des députés à Québec : un petit enjeu qui peut faire bien mal

Québec solidaire mène la charge sur la question de la hausse de salaire des députés depuis plusieurs semaines déjà. (Photo d'archives)
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Hausser le salaire des 125 députés de l’Assemblée nationale n’aura pas un grand impact sur le budget d’un État qui se compte en dizaines de milliards de dollars, mais cela pourrait quand même coûter cher au gouvernement.
Sans grande surprise, un sondage Léger commandité par Québec solidaire (QS) montre qu’une majorité de Québécois sont contre une hausse de 30 000 $ du salaire de base des élus.
Les résultats ne laissent place à aucune interprétation, pas moins de 74 % des répondants se disant opposés à l’idée, contre seulement 20 % qui l’appuient. Le contexte actuel de forte inflation contribue sans doute à rendre les citoyens particulièrement chatouilleux sur ce type de question; n’empêche, la marge est considérable, surtout pour un gouvernement qu’on sait très sensible à l’humeur de l’opinion publique.
En point de presse lundi, Gabriel Nadeau-Dubois a soutenu qu’il s’agissait de la décision la plus impopulaire que la Coalition avenir Québec (CAQ) ait prise depuis qu’elle a accédé au pouvoir en 2018. Si l’affirmation est peut-être exagérée, le co-porte-parole a toutefois raison de souligner que c’est le genre de situation qui peut s’avérer bien dommageable pour un gouvernement.
C’est que l’enjeu n’a rien d’une politique publique obscure ou abstraite. Au contraire, tous les électeurs comprennent très bien de quoi il s’agit.
Une stratégie simple
Dès le départ, la stratégie des députés favorables à la hausse était assez limpide : confier un mandat restreint à un comité – dont on pouvait raisonnablement prévoir les conclusions – puis y répondre dans un projet de loi, le plus simple et le plus concis possible.
Dans un monde idéal, le gouvernement aurait souhaité que ce dernier soit adopté sans trop faire de bruit, mais Québec solidaire en a décidé autrement. La formation politique a multiplié les sorties médiatiques sur le sujet, depuis la création même du comité chargé d’étudier la question, avant de multiplier les amendements en commission parlementaire.
Après avoir consacré de longues heures à l’étude du projet de loi, le leader du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, a reproché à QS de faire de la piraterie parlementaire
. Le parti assure de son côté ne pas chercher à faire de l’obstruction, mais on se demande franchement si le public lui en tiendrait rigueur de toute façon.
Il faut dire que François Legault n’a pas aidé sa cause, avec ses justifications selon lesquelles un député a le droit d’aller gagner le plus d’argent possible pour donner le plus possible à ses enfants
. En fait, il semble même avoir donné des arguments à ceux qui réclament que les employés de l’État bénéficient de la même augmentation que celle à laquelle auront droit les députés.
Prendre à partie Gabriel Nadeau-Dubois (Nouvelle fenêtre), à l’issue de la période des questions, n’était pas non plus du meilleur effet. L’incident a témoigné surtout de l’agacement du premier ministre à être questionné sur le sujet.

Les arguments mis de l’avant par François Legault pour justifier la hausse de salaire des députés ont de quoi laisser songeur. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Une occasion en or pour Québec solidaire
L’idéal pour QS aurait sans doute été de forcer le gouvernement à recourir au bâillon ou à reporter à l’automne l’adoption finale du texte, mais les règles de l’Assemblée nationale ne rendent pas la partie facile au deuxième groupe d’opposition. Ce dernier ne dispose que d’un seul siège en commission parlementaire et celui qui l’occupe doit combler seul les longues heures durant lesquelles les élus siègent s’il souhaite réellement retarder le processus. D’entrée de jeu, Gabriel Nadeau-Dubois a reconnu que sa formation politique disposait de moyens limités.
Avec le recul sur le projet de troisième lien autoroutier, les dernières semaines ont été plus difficiles pour la CAQ. Mais au plus grand malheur de Québec solidaire, c’est le Parti québécois qui semble en avoir bénéficié, du moins si on en croit les plus récents sondages. Paul St-Pierre Plamondon a réussi à se démarquer dans un dossier comme celui du serment au roi, mais QS a eu plus de mal à faire siens des enjeux précis.
Dans le cas de la hausse de salaire des députés, QS mène la charge depuis le début, mais le parti s’est quelque peu enlisé en proposant malhabilement des augmentations de salaire de 10 000 $ puis de 20 000 $. Le flou qui persiste sur la manière dont chacun disposera de son augmentation, une fois le projet de loi adopté, n’a pas non plus aidé.
À plus long terme, c’est tout de même le gouvernement qui risque de pâtir le plus de l’exercice, car l’enjeu continuera à faire du bruit jusqu’à la fin de la session parlementaire et même au cours des prochains mois. Comptez en tout cas sur les syndicats pour y faire écho, tant et aussi longtemps que les conventions collectives avec les employés du secteur public n’auront pas été renouvelées.
Qu’on soit pour ou contre la hausse, qu’on juge légitime ou populiste de s’y opposer, force est d’admettre que la stratégie retenue, le moment choisi pour procéder et les arguments mis de l’avant n’étaient pas à point. Quant à Québec solidaire, on lui a offert sur un plateau d’argent l’occasion de se faire valoir tout en mettant le gouvernement dans l’embarras, mais la formation politique a été plutôt maladroite en s’en saisissant.
Le sondage sur la rémunération des élus, dont il est question plus haut, a été réalisé en ligne auprès de 1006 répondants, du 26 au 29 mai 2023.