Violences sexuelles : des intervenantes à bout de souffle dans l’est ontarien

Le Centre Novas à Casselman, une ressource francophone pour les victimes d'agressions sexuelles, est à la recherche active de financement. L'organisme craint de devoir réduire son offre de services. Le reportage de Camille Kasisi-Monet.
Photo : iStock / kieferpix
Le Centre Novas - CALACS francophone de Prescott-Russell est une des rares ressources francophones dans l’est ontarien pour les victimes de violences sexuelles. Faute de financement, l’organisme en milieu rural craint toutefois de ne plus pouvoir offrir certains services.
De l’extérieur, le bâtiment du Centre Novas, à Casselman, semble banal. Il doit demeurer discret : c’est un lieu à l’adresse confidentielle afin d’assurer la sécurité des bénéficiaires qui sont des femmes et des filles de 12 ans et plus victimes de violences sexuelles.
Martine Lanthier y est directrice générale et gère sept employées. Bien que le Centre Novas n’ait jamais refusé de demande d'accompagnement, la gestionnaire lance un cri du cœur : son organisme est à bout de ressources.
Un financement précaire
Selon elle, la survie des activités du Centre Novas dépend des subventions provinciales temporaires et des dons. L’organisme reçoit 303 000 $ dollars chaque année du gouvernement ontarien. Martine Lanthier affirme qu’il lui faudrait 190 000 $ de plus pour assurer une gestion convenable des activités, offrir des salaires décents à ses employées, ainsi qu’en recruter deux nouvelles.
On prend énormément de temps pour remplir des demandes de subventions et organiser des levées de fonds. Ce temps, on pourrait l’investir pour faire davantage de travail sur le terrain, mais on manque de financement permanent
, déplore Martine Lanthier.

La directrice générale du Centre Novas, Martine Lanthier
Photo : Radio-Canada / Camille Kasisi-Monet
Elle souligne aussi que les salaires de ses employées n’ont pas pu être augmentés depuis plusieurs années. Avec la pénurie de main-d’œuvre et l’inflation, la directrice craint de ne pouvoir ni retenir ses employées actuelles ni d’en attirer de nouvelles.
Avant novembre 2022, le centre n’offrait que des services pour les filles âgées de 16 ans et plus. Maintenant, un nouveau programme permet d’accompagner des filles victimes de violences sexuelles à partir de 12 ans. Selon la directrice, il était primordial de revoir l’âge d’accompagnement à la baisse. Elle observe aujourd’hui que 60 % de la clientèle du centre est mineure.
Interpellé par Radio-Canada, le ministère des Services à l'enfance et des Services sociaux et communautaires de l'Ontario a indiqué avoir investi près de six millions de dollars dans les deux dernières années afin de bonifier les services aux victimes de violence à caractère sexuel dans les communautés mal desservies.
Pour Martine Lanthier, ce n’est pas assez. Elle déplore que le gouvernement offre trop peu de financement stable aux organismes en région rurale, alors que les agressions sexuelles continuent de survenir et que les victimes sont de plus en plus jeunes.
S’en sortir grâce à l’accompagnement

Becky Harrison, victime d’agression sexuelle, et son intervenante, Julie Delorme, au Centre Novas de Casselman.
Photo : Radio-Canada / Camille Kasisi-Monet
C’est le cas de Becky Harrison, survivante de violences sexuelles. Cette Franco-Ontarienne a 15 ans et habite les Comtés unis de Prescott et Russell. L’adolescente se désole d’apprendre que les services de l’organisme sont en péril. J'ai trouvé une force en moi que je n’avais pas grâce à mes rencontres avec l’intervenante du Centre Novas
, témoigne Becky.
Avant, je marchais dans les corridors et j'avais honte. Maintenant, je n’ai plus honte et je me dis que ce sont des choses qui arrivent.
Alors qu’elle n’avait que 13 ans, Becky a été victime d’agressions sexuelles. Elle explique qu’à cette époque, elle ne connaissait pas la notion du consentement. Je ne réalisais pas ce qui se passait. Pour moi, c'était normal. Ce sont mes amies qui m'ont dit que ce n’était pas normal
, se souvient la jeune fille.
Après en avoir parlé à ses parents, ces derniers l’ont poussée à dénoncer son agresseur à la police. C’est d’ailleurs un policier qui a suggéré à Becky de recourir aux services du Centre Novas. C’est là qu’elle a rencontré Julie Delorme, l’intervenante avec qui elle entretient maintenant une relation de complicité.

Julie Delorme, intervenante au Centre Novas, désire sensibiliser les jeunes dès la maternelle au fait qu’une agression sexuelle ne comporte pas toujours un acte physique.
Photo : Radio-Canada / Camille Kasisi-Monet
La clientèle a beaucoup rajeuni dans les dernières années, d’après Mme Delorme. Cette nouvelle composante demande de l’adaptation dans les techniques d’intervention auprès des plus jeunes.
Quand j'ai commencé, je rencontrais des femmes de 40 ans et plus qui avaient vécu une agression à caractère sexuel quand elles étaient jeunes, et c’était souvent la première fois qu’elles en parlaient
, explique-t-elle. L’intervenante souligne qu’en raison de la sensibilisation accrue, les jeunes dénoncent dorénavant ces gestes plus rapidement.

En 2021-2022, 35 filles et femmes ont bénéficié de services d’accompagnement individuel et plus d’une centaine ont participé à des rencontres de groupe au Centre Novas.
Photo : Radio-Canada / Camille Kasisi-Monet
Davantage de dossiers et de signalements
La Police provinciale de l’Ontario (PPO) a ouvert 93 dossiers en matière d’agression sexuelle dans la région de Prescott et Russell en 2022, soit neuf de plus que l’année précédente. Les autorités notent que de nombreux incidents de ce type ne sont pas signalés et que les enfants sont de plus en plus touchés.
Bien que la PPO investisse davantage pour la prévention de ce crime et que le nombre de cas dénoncés augmente, l’intervenante Julie Delorme constate qu’ils sont sous-évalués. Elle rappelle aussi que c’est une minorité des filles et des femmes qu’elle accompagne qui dénoncent leur agresseur. Selon elle, les cas dénoncés, ce n’est que la pointe de l’iceberg
.
En 2022, 60 cas de violences sexuelles dans la région ont mené à des accusations, selon les données de la PPO, comparativement à 51, en 2021.
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Une réalité rurale difficile
Les femmes qui utilisent les ressources du Centre Novas vivent une réalité différente de celles en milieu urbain, note Martine Lanthier. Une réalité rurale qui rend le travail des intervenantes du Centre Novas plus complexe, mais également indispensable pour celles qui en ont besoin, selon elle.
Les valeurs traditionnelles sont encore très présentes dans la région et les agressions sexuelles y sont encore très taboues, ce qui freine des victimes à demander de l’aide
, dit la directrice.
Il y a beaucoup de gens ici qui croient que ça n’existe pas, les agressions sexuelles. Que ça se passe ailleurs et que dans les grandes villes.
Le manque de transport en commun est aussi un problème. La région de Prescott et Russell a une superficie de 2002 kilomètres carrés. On a un bureau à Casselman et un à Hawkesbury. Entre les deux, il y a plein de régions qui ne sont pas couvertes
, avance la directrice. Elle ajoute que certaines victimes dépendent même de leur agresseur pour leurs déplacements.
La confidentialité est aussi un enjeu, selon la directrice. Tout le monde se connaît
dans les petits villages, affirme Martine Lanthier, en soulignant que le sentiment de honte empêche les femmes d’entreprendre des démarches pour être soutenues.
Pour du soutien en matière de violence sexuelle, contactez Fem’aide au 1 877 336-2433