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AnalyseCourtisé de toutes parts, Erdogan triomphe à l’international

Le président turc réélu dimanche savoure ce moment qu’il attendait.

Recep Tayyip Erdogan remercie, la main droite sur le coeur, ses partisans.

Recep Tayyip Erdogan a été réélu dimanche à la présidence de la Turquie. Il a remporté 52 % des voix exprimées au deuxième tour.

Photo : Associated Press / Ali Unal

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a été réélu le dimanche 28 mai avec environ 52 % des suffrages exprimés, contre les 48 % de son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, qui représentait une coalition de l’opposition.

Le perdant, au score très honorable dans un contexte où les dés étaient lourdement pipés contre lui, a reconnu sa défaite. Mais il a aussi déclaré que cette campagne avait été l’une des plus injustes depuis des années, notamment avec l’énorme inégalité de moyens entre les deux camps qui se faisaient face.

On a beaucoup souligné, et avec raison, que même si le décompte des voix, le jour même du vote, est (relativement) honnête et fiable en Turquie, tout ce qui entoure l’élection, les conditions générales de la démocratie – les médias d’opposition interdits ou marginalisés, l’absence forcée de plusieurs acteurs politiques, disqualifiés, voire jetés en prison par une justice aux ordres, la censure sur Internet, etc. – font ressembler davantage le paysage politique turc à une démocrature (mot-valise formé à partir de démocratie et dictature).

Un kiosque de journaux.

Le président turc réélu Recep Tayyip Erdogan occupait la plupart des pages frontispices au lendemain de son élection.

Photo : Reuters / HANNAH MCKAY

Selon le secrétaire général de Reporters sans frontières Christophe Deloire, s’exprimant le 29 mai sur France Info, il y a eu une forme de truquage massif des élections. Erdogan a fait de la Turquie un laboratoire de la répression de la liberté de presse. Ainsi, selon les mesures de cette organisation, le président turc a eu droit en avril à des passages à l’antenne 60 fois plus longs que le candidat d’opposition.

La question reste ouverte quant à savoir si cette nouvelle réélection d’Erdogan sonne le glas pour longtemps de la démocratie en Turquie, ou si le processus pourra être un jour inversé. L’opposition avait parlé cette année des élections de la dernière chance.

Des félicitations venues de partout

Maintenant, que représente cette réélection sur la scène internationale sur le plan géopolitique?

On peut d’abord noter que les félicitations ont afflué dès le lendemain matin, lundi, y compris de pays avec lesquels la Turquie a des relations très difficiles.

Des félicitations souvent intéressées, pour des raisons les plus diverses, venues d’Europe et des États-Unis, et pas seulement de la Chine, de la Russie ou de l’Iran, compères autoritaires plus ou moins proches.

Le président russe s'exprime à la télévision.

Le président russe Vladimir Poutine a salué la réélection de Recep Tayyip Erdogan. (Photo d'archives)

Photo : Reuters / Russian pool

Au niveau officiel, et sans dire un mot sur les conditions douteuses de la démocratie en Turquie, tout le monde ou presque s’est précipité pour reconnaître la victoire de l’homme fort d’Ankara, et espérer travailler de façon fructueuse avec lui.

Le président Emmanuel Macron a été l'un des tout premiers à envoyer son message, dans lequel on lit que la France et la Turquie ont d’immenses défis à relever ensemble, dont le retour de la paix en Europe, l’avenir de l’Alliance euro-atlantique, la mer Méditerranée.

Passes d’armes avec la France

Cela, venant d’un homme qu’Erdogan a insulté copieusement par le passé. La dernière fois, en octobre 2020, il avait mis en doute la santé mentale du chef de l’État français.

Erdogan avait dit que Macron a besoin de se faire soigner après que le président français eut déclaré, en substance, que l’islam de France avait besoin de certaines régulations pour éviter les débordements extrémistes ou séparatistes (le mot séparatisme ayant un sens précis dans le vocabulaire français, pour parler notamment des banlieues échappant à l’État de droit sous l’influence des islamistes).

Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse commune.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et le président français Emmanuel Macron. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / LUDOVIC MARIN

Il est vrai que le même Macron avait déclaré, un an plus tôt, en novembre 2019, que l’OTAN était en état de mort cérébrale. Mais il s’agissait, venant d’Erdogan, d’insultes et d’attaques ad hominem d’ailleurs multiples. Erdogan a aussi taxé les dirigeants allemands de nazisme dans les années 2010. Des attaques directes contre un homologue de la scène internationale, alors que Macron parlait de l’état d’une organisation dysfonctionnelle selon lui, l’Alliance atlantique d’avant la guerre d’Ukraine.

Il avait justement fait allusion à la Turquie, membre de l’OTAN, qui a un pied dans l’alliance et un pied dehors. Par exemple, Ankara achète du matériel militaire à la Russie. La Turquie aux relations souvent ambiguës et changeantes avec ses partenaires russe, européens et moyen-orientaux.

La gentillesse d’Olaf Scholz

Toujours parmi les réactions, on peut noter la gentillesse appuyée du chancelier allemand Olaf Scholz, selon qui cette belle réélection donnera un nouvel élan à nos relations de partenaires étroits et alliés.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, de son côté, espère un renforcement des liens bilatéraux pour assurer la sécurité en Europe. On sait que la Turquie a fourni des drones à l’Ukraine, mais sans appliquer les sanctions et tout en voulant jouer, par exemple dans l’affaire des livraisons de céréales, un rôle de médiation dans la guerre en Ukraine.

On se réjouit à Moscou et à Kaboul

La joie est aussi transparente – pour d’autres raisons – à Moscou, Pékin et Kaboul.

Par exemple, Vladimir Poutine a dit apprécier les efforts du président turc pour renforcer la souveraineté de l’État et mener une politique étrangère indépendante.

À Kaboul, les talibans se réjouissent de la réélection de celui qu’on appelait naguère, à l’Ouest, un islamiste modéré et qui l’est certainement, en comparaison avec eux.

Citation des Affaires étrangères de Kaboul : Que le Dieu tout-puissant accorde plus de force à la Turquie au service de la religion.

Un partenaire désiré et ambigu

Bien entendu, ces félicitations quasi unanimes sont très intéressées, parce que tout le monde veut attirer la Turquie dans sa direction.

Réciproquement, Erdogan, à l’international, veut se faire désirer et toutes ces réactions montrent que ça marche! Poutine loue la politique étrangère indépendante; les Occidentaux l’allié avec qui il faut approfondir les relations; les talibans espèrent l’avancement de l’islamisme politique.

Des bâtiments photographiés à l'horizon.

La Turquie de Recep Tayyip Erdogan souhaite être un carrefour, un pivot autour duquel tout tourne, entre Europe, Asie centrale, Moyen-Orient et Russie. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Patrick Andre Perron

Et puis Pékin, Moscou et Téhéran saluent aussi l’homme fort – sans utiliser le terme – dans cette internationale des hommes forts, à cheval entre démocratie et autoritarisme, voire carrément dictatoriaux.

Tout cela, dans un contexte socio-économique intérieur très difficile en Turquie même, consacre ce pays dans son rôle du partenaire désiré et ambigu. Un rôle qui correspond en partie à la réalité, mais qui est aussi une velléité, un rêve ou un objectif stratégique.

À savoir : être un carrefour, un pivot autour duquel tout tourne, entre Europe, Asie centrale, Moyen-Orient et Russie. Se voir comme un pays, un leader, un médiateur qui se fait désirer de tous et dans lequel tous projettent leurs fantasmes.

La Turquie et le monde, affaires à suivre…

Quelques exemples de dossiers à suivre à l’international, où la Turquie peut jouer un rôle important.

Avec cette mue autoritaire qui se poursuit (un régime qui muselle de plus en plus l’opposition et la libre expression du peuple, ou de cette moitié du peuple qui est contre lui, tout en le laissant voter), est-ce qu’Erdogan ne va pas glisser du côté des hommes forts du même acabit, en se rapprochant par exemple de Moscou et de Pékin?

De la marchandise vendue en vrac dans un marché.

L’indice des prix à la consommation a bondi d’environ 43 % en avril en Turquie par rapport à la même période l’an dernier.

Photo : Reuters / HANNAH MCKAY

Ses intérêts économiques pourraient l’amener à d’autres choix. N’oublions pas qu’Erdogan a été réélu en mettant en avant ses talents d’homme à poigne, de père de la nation, de la grande Turquie influente et crainte, mais tout en faisant habilement oublier à ses électeurs la misère économique qui leur pend au bout du nez.

La Turquie, par exemple, aspire à devenir un carrefour énergétique, pour le transport (oléoducs, gazoducs), mais aussi pour la production, avec des sondages au large des côtes en Méditerranée de l’Est, qui ont entraîné une militarisation de la mer et des tensions avec la Grèce.

Les difficultés économiques du pays peuvent aussi pousser Erdogan à devenir plus conciliant avec les Européens, en Méditerranée ou en mer Noire, pour le commerce maritime.

Un triomphe, mais pour combien de temps?

Ce pays de 85 millions d’habitants reste un joueur important des relations internationales, autour duquel tournent beaucoup d’enjeux, qu’ils soient politiques (démocratie contre dictature), économiques (recherche de stabilité) ou stratégiques (jeu ambigu dans la guerre d’Ukraine, influence en Asie centrale, rabibochage possible avec Bachar al-Assad en Syrie).

Une chose est certaine : Erdogan savoure pleinement ce moment qu’il attendait. Entouré de toutes ces attentions, il doit se sentir bien rempli de son importance. Mais ça ne durera pas nécessairement.

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