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Analyse

La guerre en Ukraine est-elle proche d’un tournant?

Au-delà du théâtre et de la propagande, le pessimisme et l’angoisse russes semblent tout à fait réels.

Des soldats circulent dans un char d'assaut.

Des soldats ukrainiens circulent dans un char d'assaut en direction de Bakhmout, en Ukraine.

Photo : Getty Images / AFP/SERGEY SHESTAK

La guerre en Ukraine approche-t-elle d’un tournant? Les événements semblent se précipiter en cette fin mai 2023. L’incursion en Russie, dans la région de Belgorod à partir du 22 mai, par des commandos russes en exil – des groupes pro-Ukraine tout en se disant « patriotiques russes », dont un identifié à l’extrême droite – est-elle le début de la fameuse contre-offensive annoncée depuis des semaines?

Ça peut y ressembler, même si, dans un contexte de guerre, il faut se méfier des apparences et des déclarations, d’où qu’elles viennent. Ce qu’on appelle le brouillard de la guerre, cela inclut les mensonges, les rumeurs, les feintes, les fausses pistes. Dans ce brouillard, il y a aussi la guerre des nerfs.

En ce moment, l’Ukraine mène une guerre psychologique d’assez haute intensité, apparemment efficace si on en juge par l’évolution récente du discours des propagandistes de la télévision russe (voir plus bas).

La direction ukrainienne annonce régulièrement que des opérations d’envergure seront bientôt déclenchées pour « récupérer notre pays ». Elle dit avoir reçu la majeure partie des équipements qu’elle réclamait aux Occidentaux pour lancer cette offensive, même si cette assurance reste sujette à caution. On parle notamment de lacunes persistantes pour la quantité de munitions. Et puis les avions F-16 récemment promis ne font pas partie des plans immédiats de contre-attaque.

Un soldat en action, dans un char d'assaut.

Un soldat ukrainien dans un char d'assaut observe sa position près de Bakhmout, dans la région de Donetsk.

Photo : Associated Press / Efrem Lukatsky

On reste dans le brouillard sur le moment, sur le lieu exact et sur la méthode qui sera utilisée. Où l’attaque sera-t-elle dirigée et quand?

Dans le Donbass, en renversant la vapeur à Bakhmout après le retrait annoncé du Groupe Wagner? Dans la province de Kherson, en traversant le fleuve Dniepr (de nombreuses rumeurs ont couru ces derniers jours…)? Ou encore dans la province de Zaporijia? Ou à deux, trois endroits à la fois? On ne sait pas. Peut-être que les chefs ukrainiens eux-mêmes attendent toujours de décider, selon ce qui se présente, selon les dernières images satellitaires fournies par les renseignements ukrainien, britannique et américain.

On peut ici risquer l’hypothèse que l’armée ukrainienne attendra peut-être encore un peu, quelques semaines, jusqu’en juillet, avant de se lancer. Élément à l’appui de cette hypothèse : sur le plan des munitions (pièces d’artillerie, obus, missiles de défense antiaérienne), il y aurait toujours des manques importants de matériel. Cela est également vrai pour le côté russe.

Dans la guerre psychologique, laisser entendre qu’on va faire A (à tel endroit, à tel moment, de telle manière)… et puis faire à la place B ou C ou une combinaison de B plus C (avec peut-être une touche d’autre chose, D ou E, qu’on n’imagine même pas). C’est aussi ça, la guerre psychologique.

Et c’est ce que font les Ukrainiens depuis avril, avec un certain brio.

Multiplication des harcèlements

Depuis quelques semaines, on note la multiplication des opérations de harcèlement parfois appelées piqûres d’insectes parce qu’elles sont modestes, prises séparément. Des opérations qui peuvent être déstabilisantes, voire humiliantes, mais qui ne sont pas en soi de nature à changer le cours général de la guerre.

Les forces ukrainiennes – ou pro-ukrainiennes, comme cette dernière semaine en Russie même – semblent sonder les défenses russes à la recherche de faiblesses, de failles, en dispersant les harcèlements, les petites attaques, en frappant des postes de commandement, des bases, des entrepôts loin derrière la ligne de front… pour tenter de semer la confusion et l’inquiétude dans le camp ennemi.

Ainsi en va-t-il de ces dernières actions de commandos qui ont pénétré en territoire russe pour attaquer des postes frontaliers et même prendre brièvement le contrôle de deux ou trois villages à la stupéfaction des observateurs extérieurs, mais aussi des premiers intéressés, les Russes!

Voilà le genre de petites surprises que les dirigeants ukrainiens réservent de plus en plus à l’ennemi en attendant peut-être une grande surprise qui, demain, pourrait changer le visage de la guerre, bien davantage que ces piqûres d’insectes à répétition.

Volodymyr Zelensky en point de presse.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / AFP / LOUISE DELMOTTE

Le gouvernement de Kiev a nié son implication dans cette dernière opération, mais sa dénégation n’était pas très plausible.

Il faut dire que cet épisode a mis en scène un groupe (un des deux groupes identifiés et connus des spécialistes), le « Corps des volontaires russes », dirigé par un hooligan russe étiqueté néonazi : pas particulièrement fréquentable.

Il y a probablement plus de groupes d’extrême droite, voire de néonazis, en Russie qu’en Ukraine, malgré toute la rhétorique officielle russe sur la dénazification de l’Ukraine. Un concept plutôt fantasmatique.

On a aussi bien vu que le démenti ukrainien dans cette affaire était accompagné d’un clin d’œil et d’un sourire en coin par les conseillers du président Zelensky et par les responsables militaires.

Toutes proportions gardées, cela ressemble en plus petit à ce qu’avait fait et dit le Kremlin au printemps et à l’été 2014, lors des premières incursions des petits bonshommes verts infiltrés en Ukraine de l’Est – l’ébauche du fameux Groupe Wagner – qui avaient joué un rôle décisif dans la radicalisation du camp prorusse. Poutine avait à l’époque ironisé en disant : Je ne les connais pas! Un peu comme les dirigeants ukrainiens aujourd’hui.

Au fait, en 2023, le Kremlin reconnaît parfaitement son lien avec le Groupe Wagner et son chef Evguéni Prigojine.

Vers des actions d’envergure?

Au-delà de cette opération, est-ce que la guerre psychologique et les harcèlements ukrainiens sont un préalable à des actions d’envergure?

On assiste indéniablement à une intensification des actions, dont ce dernier épisode n’est qu’un exemple. Il y a des sabotages fréquents en Crimée, où se trouvent des bases arrière russes, des dépôts d’équipements. On utilise des armes à distance, comme des drones, mais il y aussi des actions de commandos sur place.

À plusieurs reprises depuis deux mois, Moscou a dit avoir repoussé des attaques de drones contre ses bateaux en mer Noire. Plus au nord, de l’autre côté de la frontière, on cible fréquemment des hangars, des dépôts d’armes et des réservoirs d’essence.

Où la guerre psychologique et les harcèlements additionnés peuvent se métamorphoser en début des grandes manœuvres.

Des drones ukrainiens au Kremlin

Un article du New York Times a révélé le 24 mai que, selon le renseignement américain, les fameux drones abattus au-dessus du Kremlin, début mai, étaient sans doute d’origine ukrainienne. Il ne s'agirait donc pas – selon cette version qui n’est pas sûre à 100 % – d’une mise en scène russe, mais d’une action ayant au moins eu l’aval tacite de Kiev.

On n’en est pas très content à Washington. La Maison-Blanche soutient à fond la défense de l’Ukraine, en Ukraine même. Mais elle se montre chatouilleuse, même hostile, par rapport à l’idée d’aller frapper en profondeur en Russie. Il y a peut-être là une vraie différence stratégique entre les points de vue américain et ukrainien.

Une image captée par une vidéo de surveillance à Moscou, en Russie. Un drone explose contre le sommet du Kremlin.

Le New York Times a révélé le 24 mai que les drones abattus au début de mai au-dessus du Kremlin étaient probablement d'origine ukrainienne.

Photo : Radio-Canada

Encore là, il faut nuancer entre frapper juste derrière la frontière (régions de Belgorod, de Briansk), parce que c’est là que se trouvent les dépôts d’armes et de munitions, parce que c’est de là que viennent certains tirs, et aller frapper en profondeur, jusque dans la capitale russe, à 800 km, même pour des actions essentiellement symboliques.

Ces drones à Moscou en eux-mêmes ne représentaient pas un danger, mais ils ont fait mal paraître un Kremlin censé être inviolable.

À la télévision : l’inquiétude russe

Un mot pour finir sur les réactions qu’on voit et entend à la télévision russe depuis deux semaines et ce qu’elles reflètent de l’atmosphère dans le pays. (Ici, merci à la chaîne française LCI, qui fait un suivi attentif des télévisions russes, avec traductions.)

Les dernières réactions vont clairement dans le sens du pessimisme, de l’angoisse, de la peur. On dit ouvertement : Ça va mal!

Par exemple, ces commentaires tout récents (semaine du 22 mai), de Margarita Simonyan, qui règne sur la chaîne de télévision RT, une des journalistes les plus influentes du pays. Une femme d’habitude connue pour ses déclarations arrogantes, triomphalistes, suprémacistes face aux Ukrainiens et flagorneuses face à Vladimir Poutine.

Elle dit maintenant : J’ai peur, je suis inquiète, j’espère que nous avons les ressources.

Et l’animateur vedette Vladimir Soloviev, l’homme qui préconise régulièrement la solution par des bombes atomiques sur Paris ou sur Washington, inverse maintenant la proposition et déclare à l’antenne : L’Ukraine va nous envoyer une bombe atomique.

Du délire, certes, – surtout si on se rappelle que l’Ukraine a bel et bien abandonné ses armes nucléaires en 1994, en échange de la garantie signée, par Moscou, du respect de son intégrité territoriale – mais Soloviev a bien dit ça.

Puis Evguéni Prigojine lui-même : Il y a aujourd’hui en Russie la possibilité d’une révolution contre le régime […] Nous pourrions tout perdre.

Bien sûr, il peut y avoir dans tout ça du théâtre, un jeu de rôles, de la propagande perverse. Mais si on regarde le non verbal qui accompagne ces déclarations télévisées (ou en ligne, pour ce qui concerne Prigojine), ce pessimisme et cette angoisse russes semblent tout à fait réels.

La guerre en Ukraine

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