Michael Sabia, gestionnaire, stratège et négociateur

Michael Sabia a montré ses qualités de gestionnaire dans le passé, notamment à la Caisse de dépôt, mais il est aussi associé à la gestion critiquée des finances publiques à Ottawa ces dernières années.
Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick
En vertu de ses expériences au CN, à BCE, à la Caisse de dépôt et au ministère des Finances à Ottawa, Michael Sabia présente une longue feuille de route qui l’amènera dans les prochains jours à la tête d’Hydro-Québec. Le gouvernement Legault doit confirmer cette nomination surprise d’ici une semaine. Est-il vraiment l’homme de la situation?
Plusieurs ont souligné le fait que Michael Sabia n’a pas d’expertise sur le plan énergétique. C’est vrai, mais cela demande des nuances.
Michael Sabia est un gestionnaire, un homme de finances, un stratège qui a eu pour tâche, au fil du temps, de faire fructifier l’avoir des actionnaires comme PDG de BCE ou de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il l’a fait, avec beaucoup de succès, surtout à la Caisse de dépôt.
Il a su transformer l’institution, la remettre sur les rails après le terrible dérapage de 2008, a conduit une politique d’investissement qui a propulsé la Caisse de dépôt, de 2009 à 2020, parmi les meilleures institutions du genre. Peu de gens ont pu quitter la Caisse à la fin de leur mandat avec un bilan salué de toutes parts, comme a pu le faire Michael Sabia.
L’homme du REM
Sur le plan de la transition énergétique, il faut lui reconnaître deux choses. D’abord, c’est lui qui a mis en place le rapport d’investissement durable de la Caisse, jetant les bases d'une plus grande transparence de la part de l’institution quant à ses investissements. Charles Émond, qui a succédé à Michael Sabia, a porté cette vision plus loin en engageant la Caisse dans une sortie de la production de pétrole.
C’est aussi Michael Sabia qui a développé le REM, le Réseau express métropolitain, une solution structurante dans le contexte de l’électrification des transports. Ce projet est régulièrement critiqué, avec raison d’ailleurs, mais Michael Sabia a su négocier d’excellentes conditions pour la Caisse avec le gouvernement du Québec.
Du strict point de vue de la Caisse de dépôt, le cadre de développement du REM
garantit à l’institution un rendement assuré à long terme. Et, dans le cas où la Caisse n’y verrait plus son intérêt, comme ç'a été le cas pour le REM de l’Est, elle pourrait se retirer du projet.Si Michael Sabia n’est pas l’expert en énergie qu’était Sophie Brochu, il est certainement un homme de vision, un stratège efficace et un négociateur redoutable. D’ailleurs, c’est peut-être cette qualité-là qui est la plus intéressante dans le choix de sa candidature.
D’abord, négocier
Le Québec s’engage dans les prochaines années à négocier une nouvelle entente avec Terre-Neuve-et-Labrador sur le contrat d’approvisionnement de la centrale de Churchill Falls. Cette installation fournit 31 térawattheures d’électricité par année au Québec, soit 15 % de ses besoins. Elle est très profitable pour Hydro-Québec : le contrat prévoit un prix dérisoire à l’achat de 0,2 cent le kilowattheure jusqu’en 2041, ce qui enrage Terre-Neuve.
Avant de penser à construire d’autres barrages, dans un contexte où le Québec ne sera plus en surplus d’électricité à partir de 2026, Michael Sabia jouera un rôle de premier plan dans la négociation avec Terre-Neuve et dans le développement de la boucle de l’Atlantique, un corridor électrique entre le Québec, Terre-Neuve-et-Labrador, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.
Miser sur les experts
Sur le plan stratégique, la compétence de Michael Sabia n’est plus à prouver. Il est particulièrement apte à développer le plan d’Hydro-Québec pour les 25 prochaines années : efficacité énergétique, production d’électricité, modulation des tarifs, exportations. Et il pourra compter sur les experts déjà présents entre les murs de la société d'État.
Je le souligne de nouveau : il faut se fier aux experts. Michael Sabia doit se tourner vers l’expertise interne et externe, au Québec, pour développer son plan. Le Québec est un leader mondial en matière de production d’énergie propre. Il a tout ce qu’il faut pour faire les meilleurs choix. Le nouveau PDG n’a pas à avoir les compétences techniques des experts. Il n’a qu’à les consulter et à les écouter pour ensuite concevoir une stratégie cohérente.
Par ailleurs, le nouveau patron pourra pousser plus loin la réflexion sur la modulation des tarifs. Et, bien que l’engagement premier d’Hydro-Québec soit de sécuriser un approvisionnement énergétique fiable et à faibles coûts pour le Québec, l’État, de gouvernement en gouvernement, compte sur un dividende toujours plus important de la part d’Hydro-Québec, véritable vache à lait des finances publiques du Québec.
La société d'État a généré des revenus de 16,6 milliards de dollars en 2022, un profit net de 4,6 milliards et un dividende versé au gouvernement de 3,4 milliards.
Dettes et déficits à Ottawa
Il y a peut-être quelques nuages dans le ciel de Michael Sabia quand vient le temps d’évaluer son travail comme sous-ministre aux Finances à Ottawa depuis décembre 2020. C’est lui qui a préparé, avec la ministre Chrystia Freeland, les trois derniers budgets fédéraux. Et la gestion des finances publiques à Ottawa fait l’objet de vives critiques ces jours-ci. Ces critiques, dirigées vers Chrystia Freeland, s’adressent aussi, dans les faits, à Michael Sabia.
Le gouvernement du Canada prévoit 43 milliards de dollars de nouvelles initiatives d’ici six ans, avec des déficits totalisant 175 milliards de dollars jusqu’en 2027-2028. Les frais de la dette publique vont passer de 24,5 milliards de dollars en 2021-2022 à 44 milliards de dollars en 2023-2024, une poussée de 79 % en deux ans seulement.
Le legs de Michael Sabia en est un de dépenses élevées, d’endettement et d’absence totale d’engagement envers un retour à l’équilibre budgétaire. Est-ce un bon bilan? Certains diront qu’il n’a fait qu’élaborer le plan budgétaire dans le cadre qui était le sien : celui d’un gouvernement minoritaire qui doit maintenir une entente politique avec le Nouveau Parti démocratique. D’autres diront que le tandem Freeland-Sabia a perdu la maîtrise du compte de dépenses de l’État.
Par ailleurs, on croit comprendre que Michael Sabia a été sollicité pour diriger Hydro-Québec avant la publication du budget fédéral, le 28 mars dernier. Or, la ministre Chrystia Freeland a annoncé, dans ce budget, l’introduction d’un crédit d’impôt de 15 % sur la production d’électricité qui sera accessible aux sociétés d’État provinciales, comme Hydro-Québec. Ce nouvel outil fiscal sera bien utile dans la stratégie de Michael Sabia à la tête d’Hydro-Québec.
En terminant, dans l’analyse du choix de Michael Sabia pour diriger Hydro-Québec, il me semble évident qu’il faut aller au-delà des avis formulés sur son âge. Certains experts et commentateurs se sont permis de dire, tout en affirmant ne pas vouloir faire de l’âgisme, qu’à 69 ans, on pouvait se demander si Michael Sabia pourrait aller au bout de ses réformes.