Un musée de Winnipeg vend la reine pour enrichir ses collections
La réconciliation avec les communautés autochtones conduit les musées canadiens à mener une réflexion de fond et à mettre en place des mesures concrètes.

Ces peintures d'Andy Warhol ont une valeur estimée à 900 000 $, selon le directeur général du Musée des beaux-arts de Winnipeg.
Photo : Reigning queens, édition royale : Reine Elizabeth II du Royaume-Uni/ Andy Warhol)
Le Musée des beaux-arts de Winnipeg (WAG) vend quatre portraits de la reine Élisabeth II signés par l’artiste américain Andy Warhol, afin de financer l’achat d’œuvres d’art d’artistes contemporains autochtones.
Les œuvres d’art des artistes autochtones ne représentent pour l’instant que 1 % des collections du Musée d'art de la capitale manitobaine. Son président-directeur général, Stephen Borys, déclarait en avril dernier que cette vente était un geste en faveur de la réconciliation avec les artistes métis et des Premières Nations.
Nous avons une longue liste d’artistes dont nous souhaitons acquérir des œuvres, mais nous n’avons tout simplement pas les fonds pour le faire
, explique-t-il. La vente de ces portraits est estimée à 900 000 $.
Stephen Borys explique pourquoi le tableau d'Andy Warhol sera vendu : C'est le symbole de la colonisation et c’est aussi l'œuvre qui nous permettait d'atteindre notre objectif en termes de revenus financiers.
Un symbole fort en faveur des artistes autochtones
Retirer la reine du Musée pour faire plus de place aux œuvres autochtones est vraiment comique et symbolique
, estime David Garneau, artiste métis, professeur à l’Université de Regina et directeur du département des arts visuels.
Par cette action symbolique, le Musée des beaux-arts de Winnipeg se positionne en déclarant symboliquement que les œuvres d’artistes autochtones sont plus importantes que le portrait de la reine. Le musée ne fait que répondre à l’intérêt que la société porte dorénavant aux Autochtones
, poursuit-il.

L'artiste David Garneau
Photo : David Garneau
Le professeur et historien de l’art à l'Université du Québec à Montréal Jean-Philippe Uzel apporte une nuance : Il faut faire attention à ce que la réconciliation ne soit pas qu’une question de symbole qui consisterait simplement à remplacer le portrait de la reine par de l’art autochtone.
Comme si ce jeu sur les symboles pouvait faire oublier des siècles d'oppression et de spoliation de l’art autochtone
, ajoute Jean-Philippe Uzel, pour qui il est nécessaire d’aller plus loin.
C’est aussi l’avis de la directrice de la recherche et du développement au Centre national pour la vérité et la réconciliation, Brenda Gunn. Je pense qu’on peut toujours en faire plus, mais je pense aussi que le WAG montre l’exemple à suivre de différentes et nombreuses façons
, explique-t-elle.
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Le Musée des beaux-arts de Winnipeg est l'un des musées qui mettent en place un certain nombre de mesures qui vont dans le sens de la réconciliation au Canada.
Outre les expositions et les collections que le Musée souhaite enrichir avec des œuvres d’artistes autochtones, il est très progressiste, notamment en recrutant du personnel autochtone ainsi qu’en incluant dans son comité de direction des Autochtones
, selon le professeur et directeur du département des arts visuels de l’Université de Regina, David Garneau.
La réconciliation dans les musées d’art et les musées d’histoire
La réconciliation avec les communautés autochtones conduit les musées canadiens à mener une réflexion de fond. L’autochtonisation et la décolonisation sont deux aspects de la réconciliation à prendre en compte.
Brenda Gunn, du Centre national pour la vérité et la réconciliation, estime que l’autochtonisation implique d’inclure davantage les personnes autochtones
, comme le font les musées d’art, en cherchant à acquérir davantage d'œuvres d’artistes contemporains autochtones.

Sculpture inuit de la collection du Musée des beaux-arts de Winnipeg
Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier
Cela permet notamment de leur donner de la visibilité et de reconnaître leur contribution. L’art est un médium très important pour s’exprimer et donner la parole aux Autochtones. Leur donner de l’espace pour leur art dans des galeries prestigieuses est d’une grande importance. Cela permet de leur donner une visibilité et aussi de leur donner un espace propre pour parler de leurs expériences et de leur histoire
, explique Brenda Gunn.
Pendant trop longtemps, les Autochtones ont été interdits de parole dans les espaces publics et dans les médias où on a trop souvent parlé d’eux de manière négative
, ajoute-t-elle.
Elle ajoute qu'il faut aussi parler de décolonisation des musées en observant l’évolution des institutions muséales.
Les musées doivent regarder leurs collections et déterminer quelle représentation celles-ci donnent à voir des Autochtones.
Cette étude des collections implique un autre processus qui est celui des restitutions d’objets aux communautés autochtones qui le souhaitent. Ce genre de restitutions concerne surtout les musées d’histoire, qui conservent des objets de cérémonie, contrairement aux musées d’art, qui cherchent à donner plus de visibilité aux artistes contemporains autochtones dans leur collection.
Pour Jean-Philippe Uzel, l'autodétermination
est la clef de la réussite dans ce processus de restitution.
Les peuples autochtones doivent être libres de se déterminer politiquement, socialement et culturellement.
Pour qu'une culture puisse se reconstruire, pour qu'elle puisse atteindre cette forme d'autodétermination, elle doit posséder et avoir l'usage de son patrimoine. Or 90 % des objets autochtones sont concentrés dans les collections de huit musées canadiens
, explique Jean-Philippe Uzel.

Jean-Philippe Uzel est spécialisé en art et politique et enseigne à l'UQAM.
Photo : Gracieuseté Jean-Philippe Uzel
Cependant, les demandes de restitution se font au cas par cas suivant la volonté de chacune des communautés autochtones concernées.
Tous les objets cérémoniels autochtones sont censés revenir chez eux. Mais certaines communautés autochtones préfèrent laisser ces objets dans les musées afin d’en faire des objets d’études pour les étudiants. Donc, certaines choses partent, d’autres restent. C’est vraiment du cas par cas en fonction des situations
, explique David Garneau.
Le musée, lieu symptomatique d’une évolution en cours
La conception autochtone des objets a des répercussions sur les musées. La définition même de l'œuvre d’art est remise en cause.
Les musées ont été créés en Europe à la fin du 18e siècle pour conserver des objets, pour en prendre soin afin de les projeter dans une sorte d’éternité. Les objets ne peuvent pas s’user et ils sont destinés à la simple contemplation
, raconte Jean-Philippe Uzel.
Cela ne fonctionne pas d’un point de vue autochtone, car ces objets sont faits pour être utilisés dans des cérémonies. Ces objets sont faits pour vivre. Cela conduit les musées à réfléchir à leurs collections. Qu’est-ce qu’un objet conservé? Qu’est-ce qu’une collection?
, explique l'historien de l'art.
Ces questions conduisent les musées à repenser leur modèle en tant que musée encyclopédique et incitent les artistes autochtones à s'interroger sur leur identité.
Beaucoup de manières de travailler se sont perdues, comme la manière de créer des peintures autochtones. C’est une manière de se reconstruire et de renaître en tant qu’Autochtone, ce qui est en train de se passer actuellement
, affirme le professeur et artiste métis David Garneau.
J’ai hâte de voir les œuvres d’art qu’ils vont acheter avec la vente des œuvres d’Andy Warhol
, conclut-il avec un sourire.