La « nidification » en cas de divorce : au tour des parents de vivre dans leurs valises
Un « arrangement de nidification » permet parfois de mieux sauvegarder l'intérêt supérieur de l'enfant lorsque les tribunaux doivent déterminer la garde parentale.

Dans un arrangement de nidification, il revient aux parents de quitter le domicile familial et d'y revenir chacun à leur tour pour garder leur enfant de façon intermittente.
Photo : Radio-Canada / Jean-Philippe Nadeau
Un tribunal ontarien réitère qu'il faut accorder plus de poids à l'intérêt supérieur de l'enfant plutôt qu'au principe du contact maximal pour établir la garde parentale dans les cas de divorce. Dans la cause Hughes c. Hughes, il a été convenu qu'un « arrangement de nidification » serait moins perturbateur pour l'enfant, notamment dans le contexte de la crise du logement.
Dans une entente de nidification, l'enfant continue de résider dans le foyer familial et il n'a plus à se déplacer entre la maison de son père et celle de sa mère comme dans un arrangement traditionnel.
Fini le dédoublement des maisons, des chambres d'enfant et des coffres de jouets… c'est aux adultes de faire chacun leur petite valise.
Comme chez les oiseaux, les oisillons restent dans le nid et ce sont les parents qui y reviennent à tour de rôle pour les nourrir, si bien qu'ils ne sont jamais laissés seuls
, déclare l'avocate Jessica Polis, qui n'est pas liée à la cause en question.
Chaque parent aura donc son temps parental avec les enfants, mais ils doivent quitter la maison chacun à leur tour pour ne plus être ensemble, en attendant de vendre leur maison et de se trouver un nouveau logement chacun de leur côté.
C'est ce qui est arrivé à Jaclyn et Shawn Hughes, qui se partagent, à temps égal, la garde de leur enfant unique de 7 ans, K. H. [qu'on ne peut nommer, NDLR]. Le couple, qui s'est marié en 2014, est toujours devant les tribunaux en instance de divorce.

La décision succincte Hughes c. Hughes de la Cour supérieure de l'Ontario datée du 18 avril 2023.
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Dans une requête préliminaire, Mme Hughes avait demandé aux tribunaux d'obtenir la garde prioritaire de l'enfant et de rester dans la maison conjugale, mais le juge s'y est opposé.
À en croire la Cour supérieure de l'Ontario, le couple entretient une relation très conflictuelle. Les preuves citées dans la décision montrent que M. et Mme Hughes aiment leur enfant, mais que leur relation lui a causé bien des souffrances
.
Cela peut être très déstabilisant pour l'enfant de ne plus avoir son domicile familial, de ne plus aller à la même école parfois, de se refaire de nouveaux amis, de quitter un environnement qui lui est très familier, cela peut être très difficile
, explique la psychothérapeute Sophia Labonté.
Des comportements néfastes
Comme les Hughes ne pouvaient vendre leur maison dans l'immédiat, ils ont continué à vivre ensemble avant que le tribunal ne rende son jugement au sujet de la requête de la mère de K. H.
Les époux en étaient venus à se méfier l'un de l'autre, à filmer leurs agissements et à enregistrer leurs discussions pour bâtir leur dossier devant les tribunaux, question de se protéger.

Dans cette cause, le divorce des parents de K. H. a eu un effet négatif sur son comportement à l'école.
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Me Polis dit qu'elle n'est pas surprise, parce que ce phénomène s'observe, selon elle, de plus en plus dans les relations conflictuelles entre parents et il ne fait qu'aggraver la séparation des époux.
Les tribunaux désapprouvent ces comportements, qu'il soit permis ou non de présenter ces enregistrements en preuves est une autre question, mais cela devient un problème, parce que ça va à l'encontre de l'intérêt supérieur de l'enfant
, poursuit-elle.
Pareille situation est intenable, selon la psychothérapeute Sophia Labonté. Plus le divorce est conflictuel, plus l'expérience sera traumatisante pour les enfants
, dit-elle.
J'ai entendu des histoires semblables déplorables dans lesquelles les parents adoptent des comportements néfastes, mais ils pensent que ça les aidera à avoir en grande partie la garde de leur enfant.
Selon le jugement Hughes c. Hughes, K. H. a d'ailleurs manifesté récemment des comportements agressifs et problématiques à l'école. Si l'enfant a vu ses parents agir de la sorte et qu'il est pris au milieu, c'est lui qui va en subir les séquelles psychologiques
, poursuit Mme Labonté.
Le tribunal a néanmoins statué qu'aucun des époux n'avait fourni la preuve que l'autre ne pouvait s'occuper du bien-être physique, émotionnel ou psychologique de son enfant, malgré l'implication de la police et des services à l'enfance dans cette affaire.

Dans cette cause, il a été décidé qu'un arrangement de nidification avec garde partagée égale serait dans l'intérêt de l'enfant.
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Il a déclaré qu'il n'y avait en outre aucune preuve à l'appui selon laquelle l'intérêt supérieur de l'enfant serait mieux servi s'il passait plus de temps avec sa mère qu'avec son père.
Le juge a donc en partie accédé à la requête de Mme Hughes en lui proposant un arrangement de nidification
, mais il a refusé de lui accorder la garde principale de l'enfant.
Ce qui est important, c'est le fait que les deux époux sont de bons parents, qu'ils sont capables d'offrir à K. H. ce dont il a besoin; ils représentaient une partie importante de sa vie avant leur séparation et continuent d'être une partie importante de sa vie à l'heure actuelle.
En conséquence, le tribunal ordonne à chaque parent une rotation de 4 jours dans un régime de garde partagée dans la résidence familiale.
L'objectif est d'éviter que l'enfant ait à vivre dans deux maisons, ce qui finira par arriver de toute façon, parce que ce genre d'arrangement n'est jamais permanent
, précise l'avocate Jessica Polis.
Il faudra attendre que les parents soient en mesure de vendre la résidence, d'acheter ou de louer chacun de leur côté un nouveau chez-soi
, ajoute-t-elle.
Crise du logement abordable
Me Polis pense que la crise actuelle du logement fait en sorte que certains couples en instance de divorce sont incapables d'envisager une résolution définitive plus rapidement.
Les délais dans le processus de divorce sont donc allongés et, en attendant, nous voyons de plus en plus ce genre d'arrangements devant les tribunaux
, dit-elle.

Les arrangements de nidification sont de plus en plus fréquents dans les villes où le coût de la vie est devenu trop élevé, comme à Toronto.
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Les Hughes n'ont effectivement aucune intention pour l'instant de vendre leur maison. K. H. y restera donc et ce sont ses parents qui devront faire leur valise pour aller vivre ailleurs, lorsqu'ils n'en ont pas la garde intermittente.
Dans sa requête, Mme Hughes avait fait savoir que les deux parents paieraient l'hypothèque selon leurs revenus respectifs jusqu'à ce qu'elle soit vendue à une date indéterminée.
Beaucoup de couples divorcés vivent des moments pénibles, car il est souvent difficile pour les parents de se séparer financièrement et de trouver deux logements abordables dans le même quartier où se trouve l'école de leur enfant, étant donné la hausse des taux hypothécaires et le prix élevé des loyers.
Dans cette cause, l'aide des grands-parents sauve la donne, puisque K. H. bénéficie de la présence d'une grand-mère maternelle et d'un grand-père paternel dans sa vie de tous les jours.
Une solution d'autant plus pratique que Mme Hughes n'a qu'à traverser la rue pour aller chez sa mère, lorsque son ex-conjoint garde K. H. dans la maison familiale et que M. Hughes va vivre chez son père, dans le même quartier, lorsque son ex-femme y retourne garder leur fils.

Depuis des changements en 2021, la Loi canadienne sur le divorce établit une liste précise de facteurs qui doivent être pris en considération par les tribunaux lorsqu’ils évaluent l’intérêt supérieur de l’enfant.
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Shawn Hughes a d'ailleurs reconnu dans son témoignage devant la cour de la famille qu'un arrangement de la sorte serait moins déstabilisant
pour son enfant.
Avec la crise immobilière, de plus en plus de parents en instance de divorce retournent vivre chez un membre de leur famille à un stade ultérieur de leur vie, ce qui peut aussi compliquer les choses
, précise Me Polis.
À en croire sa pratique, Mme Labonté confirme que le coût de la vie et le prix de l'immobilier entrent en ligne de compte dans ce type d'accommodements.
Inconvénients d'un tel accord
Tous n'ont toutefois pas la chance de M. et Mme Hughes. Les arrangements de nidification ne fonctionnent pas toujours et ce n'est pas pour n'importe quel couple
, ajoute l'avocate.
Si chacun des parents n'a nulle part où aller pendant son temps libre loin de son enfant, ce système n'est pas pour eux; pour que cela fonctionne, il faut que chacun d'eux ait la capacité d'aller chez un proche ou un ami s'il n'est pas en mesure d'emménager dans un appartement
, souligne-t-elle.

Les ententes de nidification ne sont toutefois pas à la portée de tous les couples en instance de divorce.
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Rien n'est toutefois impossible et il faut y mettre beaucoup de bonne volonté, selon Mme Labonté. J'ai vu des cas où cela fonctionnait super bien, mais la clef, c'est d'avoir énormément de communication, de patience et de respect de la part des parents
, souligne la psychothérapeute.
Mme Labonté souligne néanmoins que la nidification
présente des inconvénients, surtout si l'un des parents rencontre une autre personne dans sa vie durant ou après le processus de séparation.
Des objets ou des vêtements qui appartiennent au nouveau partenaire pourraient bien mettre l'ex-conjoint, voire l'enfant, dans une situation inconfortable et la communication devient alors primordiale pour gérer des situations délicates et éviter des problèmes.
Un tel arrangement peut aussi provoquer l'effet inverse, selon Mme Labonté, parce qu'il peut dissuader des parents d'entamer une nouvelle relation le temps que la nidification soit terminée
.
La Loi canadienne sur le divorce stipule qu'en répartissant le temps parental, un tribunal doit tenir compte du fait qu'un enfant passe autant de temps avec son père qu'avec sa mère et s'assurer qu'une telle répartition est compatible avec l'intérêt supérieur de l'enfant.

Un arrangement de nidification peut parfois permettre à des parents en instance de divorce de ne pas se ruiner.
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Le tribunal a d'ailleurs souligné que la requête de Mme Hughes portait sur ce qui est dans l'intérêt supérieur de l'enfant
, et non de savoir si une ordonnance doit être rendue sur la base du principe du contact maximal
.
Il ne s'agit pas de calculer, à la minute près, le nombre d'heures que l'enfant va passer chez son père et sa mère, mais d'adopter une approche holistique pour qu'il passe autant de temps avec eux en tenant compte de leurs disponibilités, de leurs horaires de travail et des activités de l'enfant.
L'avocate se réjouit d'ailleurs que la Loi sur le divorce ait évolué depuis 20 ans, parce que certains juges avaient tendance auparavant à prendre des décisions en tenant compte des besoins des parents.
Il fallait tenir compte des droits du père et de ceux de la mère, alors que maintenant, l'intérêt de l'enfant compte plus que tout… l'enfant est redevenu la priorité
, dit-elle.

Selon Mme Labonté, le counseling, la médiation et la thérapie peuvent permettre à des couples de divorcer à l'amiable au lieu de s'affronter devant les tribunaux.
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Il reste que Mme Labonté pense qu'il est dommage que le couple Hughes ait été aussi loin dans ses démarches.
C'est plate que cela se soit rendu jusque-là, c'est plate pour l'enfant que ses parents n'aient pas été capables de s'entendre à l'amiable et qu'ils aient dû passer devant un tribunal pour se faire dire quoi faire par un juge
, dit-elle.
La psychothérapeute rappelle qu'il existe du soutien pour les parents en instance de divorce et que cette approche est beaucoup moins onéreuse que des honoraires d'avocats.
Personne ne gagne dans un divorce, c'est ça le problème, chaque situation est unique, alors envisagez la thérapie pour apprendre à communiquer et à trouver vous-même des solutions
, conseille-t-elle.
Selon Mme Labonté, les jugements à la Salomon ne donnent rien qui vaille. Les parents cherchent souvent la justice, parce qu'ils sont blessés dans le processus, mais ils n'obtiendront jamais justice
, conclut-elle.