90 ans d’histoire pour la radio CHNC
CHNC se targue d’être la plus vieille station de radio généraliste francophone en Amérique du Nord toujours en ondes.

La station de radio fondée en 1933 à New Carlisle possède une riche histoire.
Photo : Gracieuseté CHNC
Dans le cadre du premier Festival international de journalisme de Carleton-sur-Mer, Radio-Canada vous propose de plonger dans l’histoire peu banale de CHNC. La station de radio, déménagée récemment de New Carlisle à Paspébiac, souffle cette année ses 90 bougies.
C’est au dentiste Charles Houde, fervent amateur de la communication radio, que l’on doit l’entrée en ondes de CHNC, un acronyme signifiant Charles Houde New Carlisle. La diffusion sur la bande AM commence le 23 décembre 1933 dans le domicile et cabinet de dentisterie de M. Houde, à New Carlisle.

Né à Nicolet en 1896, le chirurgien-dentiste Charles Houde s'est installé à New Carlisle en 1925 pour ouvrir son cabinet. Le village anglophone était alors le chef-lieu du comté de Bonaventure et l'un des rares villages gaspésiens à avoir l'électricité.
Photo : Musée de la Gaspésie. Fonds Charles-Eugène Bernard et Estelle Allard. P67/B/4a/3/5 / Charles-Eugène Bernard
CHNC, c’était le seul poste qu’on avait. Pour nous, la radio, c’était CHNC
, se souvient Louis Bernard, un résident de Maria âgé de 85 ans. On l’écoutait sur la radio à batterie, parce qu’on n’avait pas encore l’électricité à Maria.
Alors que la musique occupe la plus grande partie du temps d’antenne durant les premières années de diffusion, CHNC se dote d’un service de nouvelles bilingue en 1936 et retransmet éventuellement les émissions et les nouvelles de Radio-Canada, à travers une programmation locale.
René Lévesque au micro de CHNC
Durant l’été 1936, alors qu’il est sur le point de célébrer son 14e anniversaire, René Lévesque, parfaitement bilingue, est embauché par Charles Houde pour traduire les nouvelles.
L’annonceur de l’époque, Viateur Bernard, est subitement retiré des ondes en raison d’une appendicite. C’est ainsi que le jeune René Lévesque a pris place, au pied levé, derrière le micro.
Où j’ai probablement attrapé le virus du journaliste, ça a été à New Carlisle. Il y avait un petit poste de radio qui est devenu un poste assez important, CHNC.
Je suis devenu annonceur de nouvelles, racontait René Lévesque à l’émission Jeunesse oblige, sur les ondes de Radio-Canada, en 1969. Il fallait vraiment être en Gaspésie où les gens, à ce moment-là, pouvaient endurer n’importe quoi. […] C’est un petit gars de 13 ans qui bouchait les trous, ça m’avait donné les éléments d’un métier, du moins l’illusion que je savais ce que c’était.

Récemment déménagée à Paspébiac, la station a nommé son nouveau studio radiophonique en l'honneur de l'ancien premier ministre du Québec qui a amorcé sa carrière de journaliste à CHNC.
Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Outre René Lévesque, plusieurs personnalités québécoises ont été annonceurs ou journalistes à CHNC, dont l’auteur Yves Thériault, l’ancien ministre libéral Gérard D. Lévesque, le comédien Pierre Dufresne et l’ex-député Raynald Blais.

L'ex-ministre et député gaspésien Gérard D. Lévesque a également travaillé à CHNC.
Photo : Musée de la Gaspésie
CHNC a été une radio très importante pour l’histoire du Québec. Les journalistes et animateurs venaient se former ici avant de repartir en ville
, explique le journaliste Michel Morin, à l’emploi de CHNC depuis 2003.
Une émission de radio en ondes durant 50 ans
Beaucoup de Gaspésiens ont encore un souvenir très clair de l’émission La méditation religieuse animée par l’abbé Lionel Boisseau durant cinq décennies, de 1937 à 1987.
L’émission proposait une réflexion religieuse, en lien avec l’actualité. [Je puise dans] un événement qui se passe dans la société, dans la vie, pour lui donner un certain relief religieux […], pour pouvoir changer de sujet chaque jour et intéresser les auditeurs
, expliquait l’abbé Boisseau sur les ondes de Radio-Canada en 1983.

L'abbé Lionel Boisseau a animé une émission à saveur religieuse durant cinq décennies sur les ondes de CHNC.
Photo : Radio-Canada / (Photo d'archives)
Il s’agirait d’une des émissions de radio ayant gardé l’antenne le plus longtemps, avec le même animateur.
Selon les archives de Radio-Canada, l’abbé Boisseau a même appelé Bernard Derome en septembre 1976 en lui demandant de rectifier la nouvelle selon laquelle l’émission Les joyeux troubadours avait établi un record de longévité au Canada.
C’est bel et bien lui qui détient ce record
, affirme le journaliste Vincent Bolduc dans le cadre d’une émission d’affaires publiques diffusée en 1983.
Une station témoin de l’histoire du Québec
En 1957, Pierre Elliott Trudeau s’est arrêté à la station CHNC pour défendre les droits des travailleurs en grève de la Gaspé Cooper Mines à Murdochville.
Autre fait marquant, les ondes de CHNC ont été occupées en août 1969 par les membres qui formeront plus tard la cellule de financement Chénier du Front de libération du Québec (FLQ), dont Paul Rose.
Pendant plus d’une vingtaine de minutes, les futurs felquistes ont pris le contrôle des ondes pour dénoncer, entre autres, l’exploitation des pêcheurs gaspésiens.

L'animateur Octave Thibault travaille à CHNC depuis 2014.
Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
C’est un privilège d’avoir accès aux ondes publiques, d’avoir un micro, mais de le faire dans une radio qui a une grande saveur historique, c’est particulier. Il y a quelque chose d’impressionnant
, affirme Octave Thibault, animateur à CHNC.
CHNC, gardienne du fait français au Nouveau-Brunswick
La présence de CHNC n’a pas eu un impact seulement en Gaspésie, mais aussi dans les provinces maritimes.
La grande portée des ondes AM utilisées de 1933 à 2010 permettait aux résidents de l’Atlantique de capter des émissions francophones, alors que la radiodiffusion dans la langue de Molière dans ces provinces était peu répandue au cours de la première moitié du siècle dernier.
Le 1er août 2016, la Société acadienne du Nouveau-Brunswick a honoré CHNC pour sa contribution à la préservation du français au nord de la province
, raconte le journaliste Michel Morin, qui a assisté à l’événement.
Durant la soirée, beaucoup de gens ont raconté comment la station avait entretenu la flamme francophone parce que les stations de radio là-bas, à l’époque, étaient 100 % anglophones.

Les résidents du Nouveau-Brunswick étaient nombreux à syntoniser CHNC. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Isabelle Gobeil
CHNC faisait même des publireportages en direct au nord du Nouveau-Brunswick et à un moment donné, tous les gens dans la salle ont entonné la ritournelle d’une publicité d’un magasin de Chandler
, raconte Michel Morin. Ils connaissaient les paroles par cœur. Là, j’ai vraiment compris ce qu’était l’importance de CHNC au Nouveau-Brunswick.
On aimait bien ça [écouter la radio de New Carlisle] parce qu’on entendait les voix françaises
, expliquait l’Acadienne Marie-Rose Gaudet, résidente du Nouveau-Brunswick, lors d’une émission diffusée en 1980 sur les ondes de Radio-Canada à Moncton.
Il y avait la radio locale ici, mais c’était toujours en anglais, alors le français pour nous, surtout dans notre région, ça a été une chose importante pour nous autres
, ajoutait-elle.
Une faillite qui mène à la création d’une coopérative
Le 19 février 2007, les employés de CHNC ont acheté la station de radio en formant une coopérative de travailleurs.
Quand on s’est portés acquéreurs de la station, Arthur Houde, le fils du docteur Charles Houde qui avait hérité de la station, était en faillite technique
, explique le journaliste et président de la coopérative, Michel Morin. On le sait que ça lui faisait de la peine, il ne voulait pas perdre la station. On lui a proposé l’option de racheter et de préserver l’héritage de la radio CHNC.

Michel Morin est journaliste à CHNC depuis 2003 et président de la coopérative des travailleurs de CHNC.
Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Selon Michel Morin, la coopérative a mis quatre ans à rembourser rubis sur l'ongle
les quelque 300 000 $ que CHNC devait à de nombreux clients. Le président de la coopérative se rappelle les difficultés rencontrées dans le processus d'acquisition de la station de radio, mais précise que CHNC se porte actuellement très bien.
Être propriétaire de sa station de radio, je n’ai même pas rêvé à ça quand j’étais petit et que je savais que je voulais devenir journaliste. C’est vraiment trippant!
C’est une fierté de travailler à CHNC, d’autant plus qu’on est une coopérative de travailleurs
, ajoute l’animatrice Linda Gagnon, à l’emploi de CHNC depuis 1990.
L’histoire se poursuit à Paspébiac
Depuis la fin janvier, CHNC diffuse à partir de ses nouveaux bureaux situés au deuxième étage de l’hôtel de ville de Paspébiac. Ce déménagement a permis de moderniser les équipements de la station et d'aménager des locaux mieux adaptés aux besoins actuels.

Les nouveaux studios de CHNC à Paspébiac sont beaucoup plus modernes que les installations de New Carlisle.
Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
La vétusté du bâtiment de New Carlisle faisait en sorte que ça nous coûtait plus cher de rénover l’ancienne maison de Charles Houde que les travaux qu’on a faits ici pour avoir une station toute neuve
, explique Michel Morin.
Il y a quand même eu un petit pincement au cœur de quitter New Carlisle, cet endroit-là qui était historique, mais c’est un nouveau chapitre qui commence
, croit Octave Thibault. Mais c’est intéressant de voir qu’une radio qui a autant d’histoire se modernise, déménage et repart sur un élan nouveau.

L'animatrice Linda Gagnon cumule près de 35 ans de service à CHNC.
Photo : Radio-Canada / Isabelle Larose
Je considère CHNC comme une institution, avec les personnages qui sont passés chez nous et l’histoire qui se continue avec les nouveaux locaux
, renchérit l’animatrice Linda Gagnon. On a beaucoup d’optimisme et de motivation.
Avec 90 ans d’existence, on a fait partie de la vie de bien des gens
, résume-t-elle.