La commissaire à l’éthique enquêtera sur la nomination d’un ami de Jolin-Barrette

Le ministre québécois de la Justice, Simon Jolin-Barrette, lors d'une mêlée de presse au congrès national de la Coalition avenir Québec.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
La commissaire à l'éthique et à la déontologie enquêtera sur la nomination d'un ami proche du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, à titre de juge à la Cour du Québec.
Le bureau de la commissaire Ariane Mignolet en a fait l'annonce par communiqué, lundi en fin de journée.
C'est le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji, qui est à l'origine de la requête. M. Derraji a contacté l'institution puisqu'il juge que le ministre a enfreint l'article 16 du Code d'éthique et de déontologie des membres de l'Assemblée nationale, qui porte sur les conflits d'intérêts potentiels.
Le ministre de la Justice est dans l'embarras depuis que le quotidien Le Soleil a révélé la semaine dernière qu'il avait choisi l'avocat Charles-Olivier Gosselin pour siéger à la Cour du Québec. M. Jolin-Barrette a reconnu depuis lors qu'il est un ami proche de M. Gosselin, dont il a d'ailleurs célébré le mariage en 2015.
Le ministre a été informé par écrit de l’ouverture d’une enquête à son égard
, lit-on dans le communiqué transmis par l'équipe de Mme Mignolet.
La commissaire à l’éthique et à la déontologie peut compter sur mon entière collaboration
, a fait savoir Simon Jolin-Barrette par la voie d'une déclaration écrite, dans laquelle il maintient que le processus, qui est strictement encadré par la Loi sur les tribunaux judiciaires et par le Règlement sur la procédure de sélection des candidats à la fonction de juge, a été suivi et respecté en tout point
.
« Il doit être impeccable »
C'est le ministre de la Justice. Il doit être impeccable. Il doit respecter le Code d'éthique
, a déclaré Monsef Derraji en entrevue à Radio-Canada quelques instants après l'annonce du déclenchement de l'enquête. C'est notre système de justice qui est en jeu avec ces agissements
, a-t-il ajouté, disant craindre que la confiance du public soit entachée
par ces récentes révélations.
Il faut que le public sache qu'il peut avoir confiance en son système de justice.
M. Derraji a reçu l'appui de son chef Marc Tanguay, qui a déclaré sur Twitter que les récentes révélations soulèvent des questions sur les agissements du ministre
.
La lumière doit être faite pour ne pas entacher la confiance du public envers notre système de justice
, a ajouté le chef libéral.
Dans la demande transmise à la commissaire, Monsef Derraji soutenait qu'une personne raisonnable pourrait effectivement se questionner quant à savoir si le ministre a favorisé la candidature d’un ami personnel au poste de juge de la Cour du Québec sur la base de leur amitié au détriment des autres candidatures déclarées tout aussi aptes à assumer la fonction de juge qui auraient été contenues dans ce rapport
.

Le député libéral de Nelligan, Monsef Derraji. (Photo d'archives).
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Conformément au Code, la commissaire mènera son enquête à huis clos. Ainsi, aucun commentaire ne sera formulé pendant le processus d’enquête
, peut-on lire dans le communiqué de la commissaire à l'éthique à propos des procédures à venir. Une fois celui-ci terminé, un rapport énonçant les motifs à l’appui de ses conclusions et de ses recommandations sera transmis à la présidente de l’Assemblée nationale, qui le rendra public en le déposant à l’Assemblée.
Nominations controversées
Cette controverse, survenue juste avant le début du congrès national de la Coalition avenir Québec (CAQ), avait amené le ministre à faire une tournée des médias vendredi, lors de laquelle il a défendu son choix en martelant que son ami n'avait reçu aucun traitement de faveur et que sa candidature avait été sélectionnée au mérite.
Ce n’est une cachette pour personne. Tout le monde à Québec savait que je connaissais le juge Gosselin. J’assume pleinement la nomination, parce qu’il s’agit du meilleur candidat, et j’ai fait les recommandations au Conseil des ministres en fonction de la compétence
, avait-il alors déclaré à Radio-Canada.

Me Charles-Olivier Gosselin a récemment été nommé juge à la Cour du Québec. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada
S'il disait alors se douter que cette nomination créerait « des remous », il n'avait avisé ni le cabinet du premier ministre ni le Conseil des ministres de son lien d'amitié avec Me Gosselin. Dimanche, Simon Jolin-Barrette a affirmé que si une telle situation se représentait, il en ferait part à ses collègues.
L'annonce de cette enquête s'ajoute à une autre controverse qui éclabousse le ministre Jolin-Barrette depuis quelques jours. On lui reproche d'avoir refusé tous les candidats à un premier concours pour un poste de juge à Sept-Îles, sur la Côte-Nord, pour finalement arrêter son choix sur un avocat de Longueuil. Cette décision a suscité l'ire de certains juristes de la région.
Si le premier ministre François Legault a alors parlé d'une situation d'exception
, Simon Jolin-Barrette a depuis lors admis être intervenu à cinq reprises pour annuler des appels de candidature, toujours, selon lui, dans l'intérêt de la justice
.
Une « culture du secret »
[Le ministre] devrait relire le rapport Bastarache
, a lancé Martine Valois, professeure à la Faculté de droit de l'Université de Montréal, en entrevue à l'émission 24•60. Mme Valois a participé à la rédaction du rapport final de cette commission qui, en 2010, a enquêté sur le processus de nomination des juges dans la province.
Selon Mme Valois, si la commission Bastarache a donné lieu à la création d'un comité indépendant responsable de la présélection de candidats, ses recommandations sont loin d'avoir toutes été mises en application.
Le règlement spécifie que l'allégeance politique ne peut pas être prise en compte mais ne dit rien sur le favoritisme ni sur le népotisme
, a avancé Mme Valois, rappelant qu'il s'agissait pourtant d'une recommandation phare du rapport.
Les raisons qui motivent la décision du ministre lui appartiennent, a-t-elle rappelé. C'est la culture du secret. Tout est confidentiel
, a-t-elle ajouté.
Le règlement actuel est insuffisant et perpétue cette culture du secret, alors que le commissaire Bastarache avait écrit noir sur blanc que le processus de sélection et de nomination des juges devait être complètement transparent.
Elle a ainsi plaidé pour un examen sérieux du règlement actuel
, jugeant elle aussi que l'état actuel des choses mine la confiance du public dans l'indépendance des juges de la Cour du Québec
.