AnalyseRon DeSantis a-t-il déjà raté sa chance?

Les aspirations présidentielles du gouverneur Ron DeSantis sont-elles encore réalisables?
Photo : Getty Images / Scott Olson
Il a chuté dans les sondages d'opinion, a vu bien des soutiens aller à son rival Donald Trump et a senti les principaux donateurs républicains exprimer leurs doutes quant à sa viabilité politique. Ron DeSantis, que certains voyaient comme le candidat républicain providentiel pour prendre la place de Donald Trump comme candidat investi pour 2024, a-t-il déjà manqué son coup de poker pour la présidentielle?
Alors que Donald Trump caracole en tête des sondages d’opinion des républicains pour devenir plus que probablement le candidat opposé à Joe Biden, le gouverneur de la Floride n’en finit pas de chuter dans les intentions de vote. Aujourd’hui, il accuserait un retard de 30 points sur son adversaire.
Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas. Lorsque Ron DeSantis remportait, le 8 novembre dernier, un deuxième mandat à la tête du Sunshine State
avec une marge confortable, il a ravivé l'intérêt des républicains.
Ce même soir, Donald Trump, le faiseur de rois
qui avait soutenu une ribambelle de candidats entièrement dévoués à sa cause dans l’espoir de rafler des dizaines de sièges à la Chambre des représentants et ravir le Sénat aux démocrates, recevait plusieurs gifles en plein visage.
Son pouvoir de sélection de candidats ne s’est traduit que par une petite poignée de sièges supplémentaires à la Chambre, mais surtout par un renforcement de la courte majorité démocrate au Sénat.
Un protégé devenu ennemi de Trump
Avec l’entrée en scène d’un gouverneur républicain très conservateur, de 32 ans son cadet, tout auréolé de son succès électoral, l'ancien président défait commençait à voir d'un mauvais œil l’ascension d’un adversaire sérieux qui en plus a réussi à augmenter le contingent d’élus républicains en Floride.

Autrefois protégé de Donald Trump, Ron DeSantis est devenu la cible de choix de l'ancien président.
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Pour sa part, DeSantis devenait un candidat de substitution sérieux, respecté et, surtout, qui n’avait pas de casseroles politiques, de poursuites et d'autres enquêtes à ses trousses comme l’ancien locataire de la Maison-Blanche.
Deux phénomènes ont alors été observés et ont probablement eu les conséquences auxquelles font face les deux ennemis d’aujourd’hui.
D’abord, Donald Trump a fait ce qu’il sait faire de mieux : attaquer de front DeSantis avec sa stratégie qui lui a souvent bien servi, particulièrement lors de la course à l’investiture de 2016. Trouver des sobriquets peu flatteurs est devenu la marque de commerce de Trump.
Rappelez-vous les Little Marco
(pour le sénateur floridien Marco Rubio), Lyin’ Ted
(pour le sénateur texan Ted Cruz) ou encore Low Energy Jeb
(pour Jeb Bush), qui ont tous été balayés par la tornade Trump. Pour DeSantis, ce fut Ron De Sanctimonious
.
Puis, récemment, Trump a fait flèche de tout bois contre le gouverneur en évoquant la piètre gestion de la Floride sous sa gouverne. Peu importe que ce soit vrai ou pas, plus il le répète, plus ses partisans le croient, et ils sont puissants au sein du parti. Rappelons que la campagne pour l’investiture ressemble beaucoup à un concours de popularité.
DeSantis, son propre ennemi
Ensuite, l’autre problème, c’est que depuis son deuxième mandat, Ron DeSantis se pose en homme fort de la Floride avec une idéologie très campée à droite. This is where the wokeism dies
est l’un de ses slogans préférés pour galvaniser ses troupes. En bref, il veut combattre une sorte de bien-pensance
gauchisante qui veut notamment laisser la liberté aux minorités sexuelles et autres de vivre comme bon leur semble.

Ron DeSantis a mené une croisade pour le bannissement de livres qui selon lui étaient contraires à une bonne éducation des élèves.
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Ainsi, les actions largement dictées par la croisade anti-woke
de Ron DeSantis se sont traduites par une série de politiques et de lois très radicales. Par exemple, il a encouragé les parents conservateurs à prendre le pouvoir au sein des conseils scolaires de la Floride pour qu’ils aient leurs mots à dire sur l’éducation de leurs enfants.
Ce qui a mené, sous sa gouverne, à l’interdiction de centaines de livres dans les bibliothèques scolaires parce qu’ils contenaient, selon eux, des passages au parfum de pornographie et autres contenus dérangeants parce qu’il était question d’homosexualité, de lesbianisme, de dysphorie du genre ou même de satanisme.

Le combat idéologique et politique contre Disney pourrait coûter des appuis au gouverneur de la Floride en dehors des frontières de l'État
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En ce sens, depuis des mois, il a aussi mené une campagne contre l’empire Disney, accusant l’entreprise d’être le diable en personne. Le conflit entre M. DeSantis et Disney a commencé en mars de l'année dernière, lorsque Disney s'est jointe à d'autres entreprises pour critiquer une loi contestée sur l'éducation de l'État qui, entre autres choses, interdit les discussions en classe avec les jeunes élèves sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
Le gouverneur républicain et ses alliés au sein de l'assemblée législative de Floride ont immédiatement commencé à attaquer Disney en la qualifiant d'entreprise fantôme
et se sont efforcés de restreindre l'autonomie dont elle jouit depuis longtemps dans l'État.
Ce combat surréaliste a pris des proportions dantesques avec une riposte de Disney qui a intenté une action en justice en invoquant des représailles de la part du gouverneur et l'annulation illégale de contrats.

Les thèmes chers à la Floride conservatrice de Ron DeSantis pourraient lui coûter des appuis en dehors de son État.
Photo : Getty Images / Joe Raedle
Sur le plan de l’accès à l’avortement, là aussi Ron DeSantis a été radical en devenant un apôtre de l’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse à partir de six semaines seulement.
Quant à sa vision sur les armes à feu, il a récemment signé une nouvelle loi donnant aux Floridiens le droit de porter des armes dissimulées sans permis. Une autre victoire législative pour lui, histoire de plaire aux républicains, dans le cas d’une campagne potentielle pour la présidence.
Mais ces thèmes risquent de repousser un électorat hors du cercle conservateur, un électorat pourtant nécessaire pour réussir à se hisser au-dessus de la mêlée.
Une personnalité abrasive
Dans le but de montrer qu’il peut être autre chose qu’un gouverneur plénipotentiaire au sein de son État, Ron DeSantis a fait une tournée internationale en Israël, au Japon et au Royaume-Uni pour essayer de stimuler son envergure présidentiable. Malheureusement pour lui, son séjour en terres étrangères à la Floride ne lui a pas offert d’occasions de briller. Et il en est probablement responsable.

Les prestations publiques de Ron DeSantis lors de sa tournée internationale n'auraient pas permis de convaincre certains de son envergure potentielle.
Photo : Getty Images / Amir Levy
D’abord, dans les endroits où il se présentait, les curieux sont loin d’avoir été séduits par les qualités oratoires et la présence sur scène du gouverneur floridien. Manquant d’énergie et de rythme pour mettre en valeur sa vision, Ron DeSantis a déçu.
Un discours peu convaincant et épouvantable pour certains spectateurs qui ont été même jusqu’à dire que personne dans la salle ne s'est dit : Cet homme va aller loin.
Manquant de charisme, d'humour, de charme et de répartie, les qualificatifs négatifs ne manquent pas lorsque certains parlent de l’adversaire potentiel de Trump dans cette course à l'investiture républicaine. Ses points de presse ont donné lieu à des réponses confrontationnelles du gouverneur face aux médias. Comme si, à l'extérieur de sa bulle floridienne dans laquelle il exerce un certain contrôle, il était en déroute.
Devenu aussi une cible facile sur les réseaux sociaux avec ses mimiques caricaturales et sa combativité face aux médias qui le font, il faut le dire, mal paraître, Ron DeSantis ne parvient pas à convaincre ceux qui hésitent à le suivre et, pire encore, une partie de l’establishment républicain et de potentiels bailleurs de fonds pour une campagne à l’investiture.

Les mimiques de Ron DeSantis sont devenues virales sur les réseaux sociaux, à ses dépens.
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Bientôt un sursaut salutaire?
Les proches de Ron DeSantis parlent d’une déclaration de candidature imminente. Ce qui laisse à penser que le gouverneur, même en chute dans les sondages républicains, irait donc de l’avant, même si la côte risque d'être pénible à remonter. On voit mal comment il pourrait s’abstenir de se lancer dans la course.
Il pourrait cependant attirer de nouveaux appuis de certains qui attendaient qu’il se lance officiellement dans la mêlée, ce qui pourrait se traduire par une remontée dans les sondages. Une vraie campagne lui permettrait de se mettre davantage en évidence et de riposter enfin à l’ancien président, de le battre d’abord dans l'espoir de pouvoir plus tard en découdre avec le président démocrate actuel. On est évidemment dans l’hypothèse la plus totale pour l’instant.
Mais, ce qui en fait jaser d’autres sur les chances réelles de Ron DeSantis, c’est ce qu’il a réussi à faire la semaine dernière. Les législateurs de Floride ont en effet décidé d'exempter les candidats à la présidence et à la vice-présidence d'une loi de l'État qui stipule que les élus doivent démissionner pour se présenter à un autre poste, ouvrant ainsi la voie à M. DeSantis pour briguer la Maison-Blanche sans renoncer à son poste actuel de gouverneur.
Il n’en fallait pas plus pour créer la perception qu’il assure ses arrières, alors que les pronostics ne sont pour l’instant pas très optimistes dans son combat face à Trump pour obtenir l’investiture républicaine.
En attendant, le Super PAC MAGA Inc. de Donald Trump intensifie ses attaques contre Ron DeSantis, augmentant ses placements publicitaires anti-DeSantis. Le total des dépenses contre le gouverneur de Floride atteint environ 9,5 millions de dollars depuis le 29 mars dernier seulement.
Donc, le compteur tourne, et tout ce qu’espèrent ceux qui croient encore en Ron DeSantis, c’est que le vent fera de même, en faveur de leur poulain. Avant qu’il ne soit trop tard…