1er jour du seul magasin de drogues dures au pays : un geste de « désobéissance civile »

Sept ans après avoir déclaré l’état d’urgence sanitaire, en 2016, la Colombie-Britannique bat toujours des records de surdoses.
Photo : Radio-Canada / Sophie Chevance
En ouvrant pour la première fois les portes de son magasin mobile de drogues dures dans le quartier du Downtown Eastside (DTES) de Vancouver, Jerry Martin souhaite répéter un message : la lutte contre la crise des surdoses doit passer par un approvisionnement en drogues sécuritaires. Il compte mettre la main à la pâte.
Au coeur du DTES, le propriétaire gare sa camionnette à laquelle est accroché son petit magasin mobile noir, devant quelques résidents venus pour l’événement.
Il lève le rideau, sort sa pancarte. Au menu de son drugs store
: cocaïne, héroïne, méthamphétamine ou MDMA, vendues par petites doses, soit 2,5 grammes maximum.
Il y a une note en bas : Toutes les drogues vendues sont testées et exemptes de fentanyl.

L'exemption accordée par Ottawa ne couvre que la possession à des fins personnelles par des personnes âgées de plus de 18 ans, en Colombie-Britannique.
Photo : Radio-Canada / Sophie Chevance
Je lance cette initiative parce que le gouvernement [fédéral] a décriminalisé la possession de certaines drogues, mais il ne garantit pas pour autant un approvisionnement sécuritaire, et la crise des surdoses continue
, explique Jerry Martin.
Jerry Martin, qui a perdu son frère d’une surdose l'an dernier, veut aider comme il peut les personnes aux prises avec des dépendances. Il compte reverser la majeure partie de ses profits dans la sensibilisation et la lutte contre les surdoses.
Ces substances sont d’origine légale
, dit-il, mais il sait que la vente, elle, ne l’est pas.
Je sais que la police va arriver. Si elle m’arrête, je compte porter ma cause devant les tribunaux
, assure le propriétaire du magasin. Il se dit prêt à aller en prison pour ses convictions et veut, à travers sa démarche, paver la voie à la légalisation, tout comme d’autres militants avant lui l’ont fait pour la marijuana.
Les voitures de police circulent dans le quartier, mais, durant notre présence, aucune ne s’arrête.

Depuis le le 31 janvier 2023 et pour une période de trois ans, Santé Canada autorise la Colombie-Britannique à décriminaliser la possession de 2,5 grammes ou moins d'opioïdes comme l'héroïne, la morphine ou le fentanyl, la cocaïne, les méthamphétamines et l’ecstasy.
Photo : Radio-Canada / Sophie Chevance
En dépit de l’entrée en vigueur, à la fin de janvier, du projet pilote de décriminalisation de la possession de petites quantités de drogues dures en Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral reste clair : la vente ou le trafic de drogues illégales comprises dans l’exemption, quelle qu’en soit la quantité, sont interdits, sauf en cas d’autorisation contraire.
La Ville de Vancouver confirme que, à l’heure actuelle, aucune règle municipale, provinciale ou fédérale ne permet la vente de ces substances et qu’elle ne peut délivrer de permis pour ce genre de commerce.
Le magasin de Jerry Martin est illégal.

Jerry Martin a passé 15 ans dans la rue et est un ancien consommateur.
Photo : Radio-Canada / Sophie Chevance
Un geste de désobéissance civile
C’est un principe de base de la désobéissance civile. Il y a un besoin et il n’est pas comblé par les autorités. Donc, on voit des actions se mettre en place pour répondre à ce besoin [...] Dans l’histoire de la santé publique et des drogues, c’est comme cela qu’on a obtenu un certain nombre de victoires, comme les centres d’injection supervisée
, explique Elody Croullebois, vice-présidente du centre communautaire La Boussole, dans le DTES.
C’est un geste symbolique fort. C’est fou d’avoir recours à ce genre d’initiatives, alors que nous sommes face à une responsabilité de la province.
En 2020, le gouvernement de la Colombie-Britannique s’est engagé dans la voie d’un approvisionnement pharmaceutique sûr d'opioïdes et a même étendu son programme en 2021, mais dans les faits, c’est compliqué : on voit que l’accès n’est pas effectif
, déplore Elody Croullebois.

D'après le service du coroner de la province, le fentanyl est la drogue illicite la plus présente dans les cas de morts par surdose, soit plus de 80 % des décès en 2022. En 2012, ce pourcentage n'était que de 4 % des cas.
Photo : Radio-Canada / Ben Nelms
Malgré les efforts de la province et d'Ottawa, l’année 2022 a été la pire année en matière de surdoses en Colombie-Britannique, juste après 2021. En tout, 2314 personnes ont perdu la vie l’année dernière, soit plus de 6 personnes par jour.
Consommer, mais en connaissance de cause
Devant le drugs store
de Jerry Martin, des personnes se sont présentées pour se procurer de l'ecstasy ou de la cocaïne. D’autres, comme Franck Vragovich, un résident du quartier, attendaient déjà à l’intersection de la rue Main et Cordova, avant même que sa camionnette n’arrive.
Il est le premier à se présenter au comptoir, pour acheter une pochette d'héroïne, à une vingtaine de dollars.

Franck Vragovich dit qu'il fume habituellement du fentanyl, qui est de 20 à 40 fois plus puissant que l’héroïne, selon Santé Canada.
Photo : Radio-Canada / Sophie Chevance
C'est la première fois que je m'en procure de façon sécuritaire. Je n’ai pas vu de vraie héroïne depuis près de 20 ans, elle devrait être bonne
, dit-il en souriant, avant d’ajouter qu’une dose comme celle-ci pourrait être dangereuse pour quelqu’un qui n’en a jamais pris.
J’ai de la tolérance de mon côté, je ne suis pas vraiment inquiet
, conclut-il, avant de repartir vers chez lui.