AnalyseAdaptation : l’urgence d’agir

Le premier ministre du Québec, François Legault, s'est rendu à Baie-Saint-Paul, mercredi. Il était accompagné de la députée Kariane Bourassa et du maire Michaël Pilote.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Les propos du premier ministre du Québec sur l’adaptation aux changements climatiques illustrent combien le coût réel de ces bouleversements n’est pas pleinement intégré. « Ce n’est pas illimité, ce qu’on peut ajouter autant sur la taxe foncière des municipalités que sur les impôts sur le revenu du gouvernement », a dit François Legault mardi. Il est clair que l’adaptation a un prix. C’est le temps, plus que jamais, d’en parler.
Sommes-nous prêts à payer plus pour adapter notre territoire aux bouleversements en cours? Cette question est fondamentale, compte tenu des coûts actuels et futurs liés aux changements climatiques et aux événements météorologiques de plus en plus destructeurs.
Le Bureau d'assurance du Canada rapporte qu’environ une personne sur cinq au pays vit en zone inondable ou est exposée à des inondations possibles. C’est 1,7 million de propriétés dans l’ensemble du pays, dont 340 000 au Québec.
La valeur des sinistres assurés liés aux inondations s’est élevée à 405 millions de dollars par année en moyenne entre 1983 et 2008. Depuis, les coûts ont explosé. De 2009 à 2017, le coût d’assurance des sinistres liés à des inondations est passé à 1,8 milliard de dollars par année, en moyenne. En 40 ans, ces coûts ont plus que quadruplé.

Le niveau de l'eau a aussi monté à Rigaud.
Photo : Radio-Canada / Jacaudrey Charbonneau
Selon les données d’Ouranos et du ministère de la Sécurité publique du Québec, les dépenses gouvernementales liées aux inondations ont atteint 70 millions de dollars par année, en moyenne, de 1991 à 2013. Ces dépenses ont bondi à 360 millions en 2017, puis à 438 millions en 2019, des années de fortes inondations. Nous n’avons pas encore les coûts associés aux inondations de ce printemps.
Le Groupe de travail sur l'assurance contre les inondations, formé par le gouvernement du Canada, a conclu l’été dernier que le risque d'inondation résidentielle au pays est estimé à 2,9 milliards de dollars par année. Près de 90 % de ce coût est associé au 10 % des maisons les plus à risque. Et plus du tiers est lié à seulement 1 % des maisons où le risque est le plus élevé.
Un plan d’action?
François Legault dit qu'il y a 1,2 milliard de dollars disponibles pour l'adaptation aux changements climatiques dans différents ministères, des sommes difficiles d’accès, selon les municipalités. Une partie de l’argent supplémentaire annoncé dans le dernier budget d’Eric Girard – soit 1,4 milliard de dollars pour le Plan pour une économie verte – ira à l'adaptation, a promis le premier ministre.
Les municipalités demandent 2 milliards pour l’adaptation aux changements climatiques, mais il est clair, en écoutant le premier ministre, qu’elles n’auront pas accès à autant d’argent. François Legault affirme que c’est un partage des responsabilités avec les municipalités et qu’il y a une limite à ce que les contribuables peuvent payer.
C’est vrai. Mais le temps n’est-il pas venu de mieux expliquer les coûts associés au réchauffement planétaire et à l’adaptation aux changements climatiques?
Il me semble, d’entrée de jeu, que l’État et les municipalités doivent convenir de ne plus construire ou reconstruire en zone inondable. Il faut limiter, immédiatement, les coûts futurs. Dans la foulée, il est tout aussi essentiel d’aider financièrement les citoyens qui doivent déménager pour rendre leur quotidien sécuritaire. Combien tout cela pourrait-il coûter?
Selon une étude citée par Diane Bérard, mardi soir, au CA de Zone économie, si le gouvernement rachetait 10 % des propriétés situées dans le 1 % des secteurs les plus exposés aux inondations, la stratégie pourrait s’avérer payante. Autrement dit, le coût de rachat par l’État, et donc par l’ensemble des contribuables, serait moindre que le coût futur en aide et indemnités associées à des catastrophes météorologiques.

L'eau a atteint des résidences de Saint-Alexis-des-Monts, en Mauricie.
Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé
Cette étude, réalisée par l’Institut canadien pour les choix climatiques, montre qu’un tel rachat viserait 7500 propriétés au Canada, pour un total, au prix courant, de 1,9 milliard de dollars. Ça entraînerait une diminution de 2,2 % des dommages causés par les inondations d’ici la fin du siècle. Et ça représenterait des économies de 120 à 200 millions de dollars par année.
Il est donc clair que le gouvernement du Québec gagnerait à établir un plan, à chiffrer les dépenses potentielles et à agir pour gérer de façon intelligente les coûts associés à cette mesure d’adaptation essentielle. Racheter une partie des maisons à risque pour éviter de payer plus cher en dédommagement, n’est-ce pas la chose la plus prudente à faire?
Repenser la fiscalité municipale
Par ailleurs, les municipalités sont sur la ligne de front des effets des changements climatiques. Si le contribuable ne veut pas payer plus, comme le laisse entendre le premier ministre, qui va donc payer? Où va-t-on trouver l’argent nécessaire pour faire face au défi climatique, d’autant que le gouvernement Legault a choisi de baisser les impôts, répétant ad nauseam que les Québécois sont parmi les plus taxés en Amérique du Nord?
Ça fait des années que les villes et villages réclament une meilleure distribution des revenus fiscaux au Québec. Le temps n’est-il pas venu, encore une fois, de transférer de façon importante un espace fiscal du gouvernement du Québec vers les municipalités pour leur permettre une meilleure intervention locale et régionale en matière de lutte contre les changements climatiques?
Et puisqu’il est question de fiscalité, une autre question importante se pose : le coût de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre est-il bien intégré dans les prix à la consommation pour certains biens et services?
Polluer et avoir ainsi un impact réel sur les changements climatiques ne coûte pas cher. Le prix du carbone demeure faible. Il doit atteindre 170 $ la tonne au Canada d’ici 2030, environ 100 $ la tonne seulement au Québec. Selon plusieurs économistes, ce prix doit être trois ou quatre fois plus élevé pour contribuer à l’atteinte de nos engagements climatiques.
Ce coût, essentiel pour modifier les comportements les plus émetteurs de gaz à effet de serre, n’est pas intégré entièrement dans les prix. Ne pas connaître le vrai prix des biens et des services, c’est reporter le coût, c’est le donner aux prochaines générations.
Il est donc essentiel, en amont, d’intégrer le coût climatique dans les prix, et en aval, de calculer les dépenses nécessaires pour aider les citoyens à faire face à la dure réalité de l’adaptation aux changements climatiques. Ça relève entièrement de la responsabilité et du courage politique de nos gouvernements.