Les sous-titreurs, une courroie de transmission pour les sourds et les malentendants

Nelly Laberge (au premier plan) et Audrey Leduc-Sauvé (en arrière-plan), en studio dans la nouvelle Maison de Radio-Canada à Montréal. Le sous-titrage codé des émissions est l'une des conditions de licence fixées par le CRTC aux télédiffuseurs.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
À Radio-Canada, les sous-titreurs sont dans les coulisses de l'information au propre comme au figuré : dans l'ombre de leurs studios d'enregistrement, ils sont les artisans d'une quantité phénoménale d'informations destinées aux sourds et aux malentendants, mais pas qu'à eux. Visite guidée de cet univers méconnu et fascinant.
C'est un monde un peu étrange
, reconnaît Valérie Morin, qui participe à la coordination du service de sous-titrage depuis près de deux ans, après avoir été elle-même sous-titreure pendant 12 ans.
Une trentaine de personnes travaillent au sous-titrage codé (STC) presque jour et nuit, sept jours sur sept, dans la nouvelle Maison de Radio-Canada à Montréal. Et quand arrivent des journées terribles comme au début de la guerre en Ukraine, le sous-titreur reste en poste aussi longtemps que dure l'émission spéciale, service public oblige
, dit Valérie Morin.
Encodé dans le signal télé, le STC consiste à traduire le contenu sonore par des sous-titres qui apparaissent à l'écran.
Ce service, qui peut être activé au moyen de la touche CC (pour close caption) sur la plupart des télécommandes, permet aux sourds et aux malentendants de profiter de la télévision
, comme le dit le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), qui le régit (Nouvelle fenêtre).
Ci-dessous, Valérie Morin répond à nos questions pour nous éclairer sur ce travail méconnu.
Qui utilise le sous-titrage codé?
Les sourds et les malentendants, mais aussi les gens qui apprennent le français ou les jeunes qui apprennent à lire... Ou encore, les téléspectateurs qui ne veulent pas mettre le son.
Qu'aimez-vous de votre travail?
On est connectés à l'actualité quelque chose de rare! On écoute et répète littéralement les nouvelles à cœur de jour, ce qui fait qu'on apprend beaucoup et qu'on développe des connaissances générales intéressantes.
Le nombre de faits divers qui sont restés coincés dans ma tête, c'est étonnant! On connaît les noms des premiers ministres de chaque province, comment va la pêche dans les Maritimes ou la campagne électorale en Alberta, la situation de l'immobilier à Vancouver, Toronto, etc. Et on sait qui a du succès au tennis ou en formule 1.
C'est donc un métier qui exerce la mémoire?
Oui, y compris la mémoire à court terme : si deux personnes parlent en même temps, on ne peut pas répéter immédiatement ce qui vient d'être dit. Ça nous oblige à travailler la mémoire à très court terme pour retenir au moins les deux ou trois dernières secondes de ce qui vient de se passer. Parfois un peu plus.
Et si vous vous trompez?
Dans ces cas-là, on retient ce qui est en train d’être dit, on corrige ce qu’on vient de faire et après on dicte [la suite].

Valérie Morin participe à la coordination d'une équipe comptant une trentaine de personnes qui sont responsables de sous-titrer les émissions de télévision, telles que Les mordus de l'info, animée par Sébastien Bovet. Des émissions de radio, comme Aujourd'hui l'histoire, sont aussi sous-titrées.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Ça demande concentration et vigilance! Est-ce comme être en direct, en ondes, tout le temps?
Pas nécessairement. Un grand reportage qu'on reçoit à l'avance sera fait en différé. Au moment de la diffusion, l'équipe de la mise en ondes va dire : Y a-t-il une piste de sous-titrages là-dessus? Oui? OK, c'est beau
.
Pour le direct, on va fouiner dans le conducteur des émissions, qui est comme la partition de l'orchestre, et on sous-titre à l'avance ce qui est préparé pour le télésouffleur de la présentatrice. Exemple, dans l'émission Isabelle Richer : La mère d'un homme noir abattu par la police poursuit la ville de Repentigny pour plus de 400 000 $.
Une partie des émissions en direct est scriptée à l'avance pour aider l'animateur. Par exemple, l'introduction servant à présenter le sujet d'un reportage est rédigée par le journaliste lui-même ou par un membre de l'équipe. C'est en partie ce qu'on retrouve dans un conducteur, qui indique également l'ordre de chaque sujet traité dans l'émission.
Mais si l'animatrice sort de son texte?
Ça arrive! Si Isabelle Richer décide d'aller dans une autre direction, moi, j'arrête de faire défiler ce que j'avais préparé pour dicter, en direct : Nouvelle de dernière heure – virgule – plusieurs personnes ont été arrêtées – virgule – Geneviève – virgule– pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe – point d'interrogation.
Nous utilisons un logiciel de reconnaissance – il s'appelle Dragon – qui retranscrit ce qu'on lui dicte. Mais Dragon, qui est un logiciel statistique, n'est pas intelligent au point de tout retranscrire parfaitement. Il reconnaît les mots souvent utilisés, mais il ne fait pas de beaux accords. À la météo, avec lui, les risques d'orage
deviennent des risques de rage
si on prononce le mot orage
trop vite.
Et le sous-titreur doit le corriger?
Oui. Le CRTC nous oblige à atteindre un taux d'exactitude de 85 %.
Pour ce qui est des émissions préenregistrées, les télédiffuseurs doivent viser un taux de précision du sous-titrage codé de 100 %. Pour la programmation en direct, le sous-titrage codé de langue française doit viser un taux de précision de 85 %.
Vous avez personnellement une formation de traductrice, mais le STC ne comporte pas de traduction?
Nos sous-titreurs restent dans la même langue. Ce que nous faisons, ce n'est pas le sous-titrage bilingue offert par les services de diffusion en continu sur abonnement (comme Netflix) et qu'on choisit pour mieux comprendre un film en anglais.
Mais dans le feu de l'action, et considérant la variété de sujets couverts, comment vous assurez-vous d'atteindre ces taux de précision?
On fait beaucoup de recherches, surtout sur les sujets qu'on connaît moins. Lors des Jeux olympiques, s'il faut nommer huit Suédois en ligne, on sort à l'avance la liste des noms des athlètes, on la garde tout près et on copie-colle les noms le moment venu.
Quand le sous-titreur perd le fil ou n'entend pas bien ce qui s'est dit, il met des points de suspension dans les sous-titres. On est humains, ça arrive... Ces trois points signifient : "Désolée, j'ai fait de mon mieux!"

Du fait que leurs tâches requièrent une attention soutenue, les sous-titreures ne travaillent pas toute la journée en « live » : elles s'occupent aussi d'émissions en différé. « Des aides universelles » les secondent à la transcription et à la recherche.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Disposez-vous d'un droit de regard sur le contenu, une sorte de pouvoir éditorial?
Nous, on n'a pas notre mot à dire dans ce qui va se passer. On fait juste suivre. On est là, et on est prêts. On est synchronisés avec la salle des nouvelles.
Faites-vous autre chose que de l'information?
Oui! On fait notamment En direct de l'univers, par exemple. On pourrait se demander pourquoi sous-titrer une émission musicale... On décrit les paroles des chansons, le contenu des entrevues, les moments d'émotion. Mais on n'exagère pas : un sourd ou un malentendant, ce n'est pas un aveugle, il voit ce qui se passe à l'écran et il ne faut pas le bombarder d'informations non nécessaires.
Dans le cas d'émissions pour enfants, va-t-on mettre des mots savants pour les cris d'animaux ou juste écrire pif paf pouf
? On va être plus dans les onomatopées avec les enfants. Mais, attention : parfois ce sont les parents qui sont sourds ou malentendants, et ils veulent comprendre ce qui se passe dans l'émission.
Il faut tenir compte d'un ensemble de facteurs.

Les sous-titreurs suivent pas à pas et souvent en temps réel le travail de leurs collègues (de l'information, des affaires publiques, de la programmation, etc.) parce qu'ils transmettent le contenu qui est télédiffusé au public lecteur de sous-titres, comme les malentendants et les sourds.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Les indications sonores dans le sous-titrage, qu'est-ce que ça représente?
Les sons, la musique... et même les silences! Quand une pause survient dans la narration, il faut le dire aux téléspectateurs que quelque chose se passe. Sinon, ils peuvent s'imaginer que le sous-titrage a cessé de fonctionner. Pour la musique, par exemple, on va mettre de petites notes et, quelquefois, la qualifier : douce, angoissante ou très rythmée.
Avec l'intelligence artificielle (IA), les sous-titreurs seront-ils remplacés par une machine?
On l'utilise pour générer des transcriptions et c'est de plus en plus précis. Mais plusieurs améliorations devront être apportées avant que l'IA nous remplace. Dès que le son est mauvais, l'IA arrive difficilement à faire une phrase qui se tient. Pour les accents (quelqu'un pour qui le français est une langue seconde, qui parle le chiac ou encore qui a un problème d'élocution), là encore, l'être humain s'en tire mieux [que la machine] et compense, au besoin. Quant au changement d'interlocuteurs, ce n'est vraiment pas au point. Le logiciel de transcription a de la difficulté à distinguer où la question finit et où commence la réponse dans une entrevue.

Valérie Morin a fait sa scolarité primaire et secondaire avec une personne sourde qui était accompagnée, en classe, d'un interprète. « Elle nous avait appris le langage des signes, se souvient la cheffe sous-titreure. Parfois, quand j'ai à prendre des décisions dans mon travail, je pense à elle. »
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Même lorsque l'IA pourra faire le gros du travail pour nous, il faudra probablement encore un opérateur humain pour corriger au besoin. Donc, je vois l'IA comme un bel outil qu'on utilisera de plus en plus, et non comme une menace.
Une discussion animée à plusieurs interlocuteurs, par exemple; comment parvient-on à sous-titrer ça?
Sur un gros plateau de télévision où tout le monde parle en même temps, il faut discerner quelle est l'histoire principale qui ressort des échanges et transcrire ce qui s'y rapporte. Mais advenant qu'une interjection, une blague, fasse rire tout le monde, on va rapporter la blague.
On essaie toujours d'effectuer des choix dans l'intérêt de la personne qui écoute.
Et les différents niveaux de langage, les fautes de français, les phrases boiteuses, vous en faites quoi?
Le registre de langue des gens fait partie de l'information qui est véhiculée. Et on n'est pas là pour censurer les gens.
Je suis là pour dire ce que la personne est en train de dire, et non pour faire une plus belle phrase que la sienne.
Quand la phrase ne se tient vraiment pas, je recours aux points de suspension et je recommence. De toute manière, c'est ce que les entendants ont entendu, eux.
Dans le fond, vous êtes la courroie de transmission entre le diffuseur public et une partie du grand public?
C'est ce que je dis quand je forme un nouveau sous-titreur : Tu ne sous-titres pas pour faire beau, tu ne sous-titres pas pour le CRTC, tu sous-titres pour quelqu'un. Alors, c'est quoi son besoin? Quand tu prends tes décisions, pense à ton public
.