Difficile de suivre la trace de polluants industriels en Amérique du Nord
Le suivi des polluants transférés d’un pays à l’autre pour être traités ou éliminés est « difficile à l’heure actuelle », selon la Commission de coopération environnementale.

Les transferts de déchets pour élimination du Canada vers les États-Unis, surtout dans des décharges ou des structures de retenue en surface, représentaient annuellement de 2,4 à 2,8 millions de kilogrammes.
Photo : Radio-Canada
Des disparités dans les déclarations des rejets et des transferts de polluants au Canada, aux États-Unis et au Mexique entravent le suivi des déchets industriels à l’échelle du continent, ce qui peut poser un risque pour la santé humaine et les écosystèmes.
C'est ce qu'a constaté la Commission de coopération environnementale (CCE) qui a compilé et analysé les données déclarées par 24 000 établissements industriels. Cet organisme, financé par les gouvernements canadien, américain et mexicain dans le cadre de l'ACEUM, a pour mandat de faciliter la collaboration entre les trois pays dans les dossiers relatifs à la protection de l'environnement.
De 2014 à 2018, les rejets et les transferts de polluants déclarés par les établissements industriels nord-américains sont passés de 5,1 milliards de kg à 5,3 milliards de kg, soit une augmentation de 3 %.
De ce nombre, près de 335 millions de kg ont été transférés hors du site – comme l'envoi d'une cargaison vers une installation externe – bon an mal an afin d'être éliminés.
Au Canada et aux États-Unis, ces transferts représentent environ 6 % du total des polluants déclarés chaque année, tandis qu'au Mexique, cette proportion est passée de 12 à 34 % sur la période étudiée.
Parmi les polluants qui ont été transférés afin d'être éliminés, 210 présentent des risques pour la santé humaine et l'environnement. Il peut s'agir de cancérogènes connus ou présumés, de substances qui peuvent influer sur le développement et la reproduction ou qui ont le potentiel de persister dans l'environnement, note la Commission.
Or, les critères en vertu desquels les établissements industriels font leur déclaration auprès du Registre de rejets et de transferts de polluants (RRTP) varient d'un pays à l'autre. Ces différences entravent notre aptitude à connaître les risques que présente leur élimination
, indique la CCE dans son rapport.
La Commission déplore de ne pas savoir ce que deviennent certains polluants une fois transférés à des tiers (comme des prestataires de services de gestion des déchets) ou au-delà des frontières nationales
.
Des listes différentes de polluants à déclarer
Les polluants que les établissements sont tenus de déclarer ne sont pas les mêmes d'un pays à l'autre. Le Canada en recense plus de 320, tandis que les États-Unis et le Mexique en comptent respectivement plus de 700 et près de 200.
Les composés de manganèse et de zinc, par exemple, qui font partie des principaux polluants en vertu des volumes déclarés, sont visés par le RRTP au Canada et aux États-Unis, mais pas au Mexique (à l'exception d'un composé de zinc).
Le phosphore total est déclaré en large proportion au Canada; il représente 89 % de tous les transferts pour élimination au pays
, donne en guise d'exemple Danielle Vallée, responsable du volet du Registre de rejets et de transferts de polluants à la CCE.
Ce phosphore, une fois envoyé de l'autre côté de la frontière pour être éliminé, n'a pas à faire l'objet d'une déclaration ni aux États-Unis ni au Mexique.
De la même façon, le baryum, un métal qui compte pour 87 % des transferts déclarés aux États-Unis, n'est pas soumis à déclaration au Canada et au Mexique.
Que se passe-t-il si du baryum transite des États-Unis au Canada ou au Mexique, puis qu'il n'est pas sur la liste des polluants qui doivent être déclarés? On perd justement la capacité de le savoir.
La Commission presse aussi le Canada et le Mexique d'emboîter le pas aux États-Unis en ajoutant les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS), aussi appelés « polluants éternels » en raison de leur capacité à persister dans l'environnement, à leur liste de polluants à déclarer.
Ces substances, que l'on trouve notamment dans les emballages alimentaires et les mousses anti-incendie, sont associées à des cancers, à des problèmes de thyroïde et de foie et à des malformations congénitales
, souligne la CCE.
Des niveaux élevés de PFAS ont aussi été trouvés dans des biosolides à base de boues d'épuration, utilisés sur les terres agricoles « aux États-Unis et ailleurs », selon la Commission. En mars dernier, le gouvernement Legault a par ailleurs imposé un moratoire sur l'utilisation de biosolides américains, dont l'épandage a été interdit par le Maine de façon préventive.
Principaux polluants déclarés en Amérique du Nord, de 2014 à 2018
Ils correspondent à eux seuls à près de 45 % des totaux déclarés annuellement.
- Le zinc et ses composés
- Le manganèse et ses composés
- Le plomb et ses composés
- Le cuivre et ses composés
- L'acide nitrique et les composés de nitrate
Les secteurs tenus de déclarer les rejets et les transferts de polluants ne sont pas non plus les mêmes dans tous les pays. Au Canada, on remarque que les rejets de polluants dans l'eau [comme le phosphore total] sont surtout rapportés par les stations d'épuration des eaux usées, explique Mme Vallée. Mais ce secteur n'a pas à faire de déclaration aux États-Unis. Et au Mexique, il relève des municipalités.
Le secteur de l'extraction du pétrole et du gaz, visé par les registres de rejets et de transferts de polluants au Canada et au Mexique, n'est pas inclus aux États-Unis. Toutefois, à compter de l’année de déclaration 2022, les établissements de traitement du gaz naturel aux États-Unis seront tenus de produire des déclarations
, ajoute la CCE.
Ces différences font en sorte que seule la moitié des 20 principaux polluants identifiés dans les différents registres doivent obligatoirement être déclarés dans les trois pays.
La CCE a aussi remarqué que des établissements ayant déclaré un transfert de déchets industriels avaient donné un lieu de destination « inexact, voire inexistant ».
Si le registre canadien est « assez complet », selon Mme Vallée, ceux du Mexique et des États-Unis mériteraient une mise à niveau afin de permettre une comparaison des données sur les rejets et transferts de polluants.
Nous sommes trois pays, nous partageons des écosystèmes, des bassins hydrologiques. Pour bien les gérer, il faut connaître les informations sur les différents polluants qui sont émis des deux côtés de la frontière.
Le suivi de la circulation des déchets industriels et des rejets de polluants est d'autant plus important, dans un contexte de changements climatiques, que les événements météorologiques extrêmes sont appelés à s'intensifier, selon Danielle Vallée.
S'il y a des inondations qui touchent un site d'enfouissement ou une décharge, il faut connaître le risque que représentent les contaminants qui s'y trouvent pour les rivières à proximité, pour les eaux souterraines, pour les communautés
, explique-t-elle. Il faut le savoir pour être en mesure de répondre vite à une catastrophe.