Quand le textile portugais veut faire sa marque
Face à la compétition asiatique, l’industrie portugaise du textile tente de se distinguer en misant sur le respect de l'environnement et les conditions de travail de ses employés.

L'entreprise Luipex a enregistré un chiffre d'affaires record l'an dernier.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
« Les deux dernières années ont été fantastiques », lance Eduardo Freitas dans son atelier de couture.
Pourtant, le propriétaire de Luipex, entreprise spécialisée dans la confection de maillots de bain, s'attendait à ce que la pandémie ait des impacts financiers négatifs sur ses activités.
Au contraire, les clients souhaitent maintenant plus de proximité
avec leur fournisseur, en raison des problèmes rencontrés par les chaînes mondiales d’approvisionnement au cours des dernières années.
Dans ce contexte, le Portugal et son industrie du textile établie depuis de nombreuses années se sont imposés comme une option de choix pour plusieurs entreprises européennes de mode.
Nous sommes plus proches de nos clients. Nous sentons qu’un changement s’est produit ou qu’il a été amplifié en raison de la pandémie. Cela a aussi soulevé des questions sur le plan environnemental. Les clients y sont plus sensibles et recherchent la proximité.

Eduardo Freitas est en train d'examiner les activités de son entreprise, Luipex, en compagnie de membres de sa famille.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
L’an dernier, Luipex, située à Guimarães, dans le nord du pays, a enregistré son meilleur chiffre d’affaires depuis sa fondation, il y a une trentaine d’années.
Le scénario a été vécu par plusieurs acteurs du secteur, puisqu’en 2022, l’industrie portugaise du textile a exporté l'équivalent de 6,1 milliards d’euros, soit plus de 9 milliards de dollars canadiens. Un record.
Se démarquer pour rivaliser
Si le succès sourit aujourd’hui aux entreprises de textile du Portugal, la situation n’a pas toujours été aussi rose, loin de là.
José Oliveira, patron du géant Riopele, qui compte 1100 employés, se souvient encore des délocalisations qui ont touché le secteur il y a quelques dizaines d’années. Des clients avaient alors préféré se procurer des textiles dans des pays où les coûts d’exploitation étaient moins élevés, notamment en Asie.

Les entreprises voulaient un meilleur prix, une main-d’œuvre moins chère et, bien sûr, ça a eu un impact sur nos travailleurs ici, au Portugal
, raconte-t-il.
Encore aujourd’hui, les coûts liés à la main-d'œuvre sont bien moins élevés au Portugal que dans le reste de l’Europe occidentale. Le salaire minimum y est de 887 euros par mois, soit environ deux fois moins qu’en France.
Mais pour rivaliser avec ses compétiteurs, le Portugal a dû se démarquer. Il a fallu miser sur la qualité et l’innovation
, explique José Oliveira.

Le grand-père de José Oliveira a fondé l'entreprise Riopele il y a près de cent ans.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Quand son grand-père a fondé Riopele il y a presque cent ans, l’équipement technique de l’usine se limitait à deux machines à coudre. Aujourd’hui, les machines de tissage sont contrôlées à l’aide d’ordinateurs et de caméras, ce qui permet d’améliorer la productivité et le contrôle de la qualité.
En plus de la technologie, le Portugal mise sur les bonnes conditions de travail de ses employés pour se distinguer.

José Rosas, responsable du département de tissage, observe les activités de ses machines sur un ordinateur.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Dans le département des produits de prêt-à-porter de Riopele, la responsable commerciale Cristina Goncalves, confirme que les enjeux sociaux occupent de plus en plus de place dans les exigences de ses clients. Un intérêt grandissant qui contraste avec les critiques longtemps formulées à l’endroit de géants de la mode qui s’approvisionnent dans des pays où les conditions réservées aux employés sont largement inférieures à celles de l’Europe occidentale.
Aujourd'hui, les clients recherchent la traçabilité, le respect des audits sociaux, de l'environnement. On est très actifs là-dessus.
Riopele, qui compte de nombreux clients français et européens, mais aussi, depuis quelques années, des acheteurs canadiens, s’est même doté de son propre parc d’énergie solaire, dans l’espoir de devenir carboneutre d’ici quelques années.

Cristina Goncalves, responsable de la commercialisation chez Riopele, constate l'intérêt grandissant des clients pour la traçabilité des produits.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Tout ça se paie
, précise Anna Cruz, fondatrice de Criterio Singular, une agence qui sert d'intermédiaire entre des usines portugaises et des clients étrangers.
Ils viennent et disent : combien de panneaux solaires tu as?
explique-t-elle pour illustrer les demandes des clients. Ils veulent que les usines aient de bonnes conditions pour les employés. Il faut avoir une usine propre
, ajoute Ana Cruz.
Cette experte de l’industrie constate que de plus en plus de jeunes entreprises sont conscientes que ces critères se traduisent nécessairement par une facture plus élevée pour les produits du textile. De toute façon, Ana Cruz croit que le Portugal et ses 10 millions d’habitants ne peuvent pas rivaliser avec les pays asiatiques qui produisent des vêtements en très grands volumes et à bas prix.
Le Portugal doit comprendre qu'à un certain moment, nous devrons être tournés vers un marché du luxe.

Ana Cruz croit que le Portugal doit se tourner vers le marché de luxe.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Des défis à l’horizon
Dans les locaux de Luipex, à Guimarães, les dirigeants ont bien compris qu’une partie de leur marchandise doit être destinée à des détaillants plus haut-de-gamme. Les étiquettes Dior sont d’ailleurs bien visibles sur certains maillots de bain en cours de production.

L'entreprise Luipex mise notamment sur le respect de l'environnement pour attirer des clients.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
Si l’avenir semble encourageant pour l’entreprise et ses 72 employés, le propriétaire Eduardo Freitas ne cache pas que certains défis l’inquiètent.
Comme d’autres dans son secteur, l’entrepreneur craint évidemment les conséquences de l’inflation qui touche de nombreux pays occidentaux.
L’autre enjeu qui le préoccupe est la difficulté de recruter des employés.
Nous pourrions augmenter notre production, mais nous ne pouvons pas, en raison de la main-d’œuvre
, lance Eduardo Freitas, qui offre toutes sortes de bonus et d'avantages sociaux à ses travailleurs.
Malgré ces défis, l’avenir de ce secteur semble aujourd’hui prometteur. Le textile, qui représente 10 % des exportations totales du Portugal, est devenu un élément central du tissu industriel du pays.
Ce texte est le deuxième de quatre reportages qui seront diffusés à la fois à la radio et sur le web dans le cadre de la série Regards croisés sur l'industrie du vêtement de L’heure du monde.
Après Dacca, au Bangladesh, et le Portugal, on revient au Canada, où l’industrie souhaite augmenter la production locale malgré les nombreuses embûches, comme a pu le constater Karine Mateu.
Enfin, Julie-Anne Lamoureux nous expliquera que, pour des raisons économiques et environnementales, de plus en plus de gens se tournent vers les vêtements usagés.